Je ne sais pas vous (d’ailleurs, oui, qu’en
pensez-vous ?), mais je ne comprends vraiment pas cette mode
muséographique snobinarde qui consiste à organiser des expositions dans des
salles sombres, tout habillées de coffrages conçus spécialement pour
l’occasion, avec pour résultat que l’on oublie dans quel musée l’on est, et
même dans quelle ville, puisqu’aucune fenêtre n’est laissée sur le monde. On
évolue dans un espace confiné, étroit, où il semble de bon ton de se marcher
sur les pieds, ou de créer des barrages en restant plantés devant les longs
affichages de textes censés expliquer le concept de l’exposition ou de ses salles.
Vous allez dire (ou plutôt penser, car vous êtes polis) que
je ne suis jamais contente. C’est vrai que je suis plutôt critique, voire
« exigeante » (vous êtes polis, moi aussi !), je le reconnais.
Pourtant il m’arrive de m’enthousiasmer, et c’est bien l’euphorie de quelques
visites très réussies qui m’avait d’abord incitée à écrire ce blog lors des
dernières vacances d’hiver. Et je vous promets bien d’autres billets positifs
et ravis. Mais il arrive que des visites me déplaisent, me déçoivent ou me
fassent réfléchir : la critique peut parfois être constructive, non ?
Aujourd’hui, je suis agacée. Je ne pense pas que ma critique
soit très utile, car les commissaires d’exposition « à la page » ne
me liront pas – et mon but n’est pas non plus de vous décourager d’aller voir
l’exposition que le Musée d’Orsay consacre en ce moment au Douanier Rousseau.
Mais j’aimerais mettre des mots sur ma déception, et essayer d’en comprendre
les causes. Car je me faisais une joie de faire découvrir à nos filles
l’univers coloré et onirique de ce peintre, dont je pense qu’il a tout pour
plaire aux enfants. Et la visite ne combla pas mes attentes.

Car le moins que l’on puisse dire, c’est que le public
n’était pas très tolérant face à la présence des enfants dans l’exposition –
nous n’étions pourtant pas la seule famille, loin de là. Regards noirs en
direction de la grande et de son carnet de dessin, commentaires à voix haute
sur l’encombrement que représente la poussette, agression verbale pure et
simple quand la petite a commencé à pleurer. Car c’est elle qui a le moins
apprécié l’exposition : depuis sa poussette, elle ne devait rien voir,
avec tous ces adultes qui l’entouraient ; nous l’en avons vite sortie,
mais cela n’a pas suffi, elle s’agitait, protestait, jusqu’à pleurer carrément,
obligeant son père à sortir plus tôt que prévu de l’exposition. Etait-elle mal
lunée ? Avait-elle mal aux dents ? Peut-être. J’inclinerais plutôt à
penser que l’atmosphère de l’exposition lui était inconfortable, car dès
qu’elle fut sortie, elle s’est calmée. Et de fait, il faisait trop chaud, trop
sombre, et la concentration des visiteurs dans des salles trop étroites
(pourtant nous n’avions pas fait la queue du tout…) achevait de rendre ce lieu
étouffant, oppressant. Moi-même, j’ai eu l’impression de mieux respirer quand
je suis sortie.
Est-ce vraiment le but recherché ? Le visiteur doit-il
vraiment vivre l’exposition comme un parcours compliqué – parce qu’il faut se
faufiler et louvoyer, mais aussi parce que le contenu même de l’exposition
nécessitait la lecture attentive des affichages, pour comprendre pourquoi le
Douanier Rousseau côtoyait tant de toiles d’autres peintres, ses contemporains
mais aussi antérieurs (pourquoi Ucello ?) ou postérieurs – et comme un moment d’inconfort ? Une exposition, cela
se mérite-t-il ? Et du coup, quelle place les enfants peuvent-ils trouver
dans de tels espaces ? Ces espaces sombres et étroits ne sont pas propices
à la liberté de la visite, où il faut se faufiler de tableau en tableau, dans
un ordre prédéterminé. J’ajoute que l’éclairage forcément artificiel, à grand
renfort de spots en plein sur les œuvres, les rend encore moins faciles à voir :
des reflets empêchent d’appréhender le tableau dans son entier, il faut se
décaler, chercher le bon angle, ce qui est difficile pour un enfant, impossible
dans la cohue. Cette présentation inconfortable, entre ombre et lumière, ne
sert pas les œuvres : ce qui importe, finalement, c’est le concept de l’exposition,
l’idée de son commissaire. Autant acheter directement le catalogue en boutique !
Mais ce qui me gêne le plus dans cette muséographie du
clair-obscur, c’est l’image qu’elle donne de la culture. On entre dans ces
expositions comme dans une grotte, un sanctuaire ; mais c’est en en
sortant que l’on retrouve la lumière et que l’on respire enfin – cherchez
l’erreur. Cette muséographie de l’obscurité transforme le musée en un lieu
secret, coupé du monde et mystérieux, et présente la culture comme une religion
pour initiés. Un lieu sérieux où des adultes émettent des commentaires inspirés
et profonds, et viennent partager entre happy
few le grand secret, jalousement gardé, de la connaissance et de la pensée.
Quel contraste avec l’exposition Fromanger à Beaubourg, exposition intégrée
dans le musée même, sans en être séparée par des barrières qui ressemblent à
des cadres de tableaux, et présentée dans des salles qui n’ont pas été
maquillées pour l’occasion ! Des salles amples et lumineuses, où la
couleur des œuvres de Fromanger éclatait. À Orsay, les couleurs du Douanier devenaient sombres
comme un mystère, à Beaubourg, celles de Fromanger devenaient lumière.
Musée d’Orsay
Du 22 mars au 17 juillet
Ouvert tous les jours sauf le lundi, de 9h30 à 18h (21h45 le
jeudi)
Tarif : 12 euros ; gratuit pour les moins de 18
ans.
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