samedi 16 avril 2016

Le noir nous va si mal

(Exposition « Le Douanier Rousseau – L’innocence archaïque », Musée d’Orsay)

Je ne sais pas vous (d’ailleurs, oui, qu’en pensez-vous ?), mais je ne comprends vraiment pas cette mode muséographique snobinarde qui consiste à organiser des expositions dans des salles sombres, tout habillées de coffrages conçus spécialement pour l’occasion, avec pour résultat que l’on oublie dans quel musée l’on est, et même dans quelle ville, puisqu’aucune fenêtre n’est laissée sur le monde. On évolue dans un espace confiné, étroit, où il semble de bon ton de se marcher sur les pieds, ou de créer des barrages en restant plantés devant les longs affichages de textes censés expliquer le concept de l’exposition ou de ses salles.

Vous allez dire (ou plutôt penser, car vous êtes polis) que je ne suis jamais contente. C’est vrai que je suis plutôt critique, voire « exigeante » (vous êtes polis, moi aussi !), je le reconnais. Pourtant il m’arrive de m’enthousiasmer, et c’est bien l’euphorie de quelques visites très réussies qui m’avait d’abord incitée à écrire ce blog lors des dernières vacances d’hiver. Et je vous promets bien d’autres billets positifs et ravis. Mais il arrive que des visites me déplaisent, me déçoivent ou me fassent réfléchir : la critique peut parfois être constructive, non ?

Aujourd’hui, je suis agacée. Je ne pense pas que ma critique soit très utile, car les commissaires d’exposition « à la page » ne me liront pas – et mon but n’est pas non plus de vous décourager d’aller voir l’exposition que le Musée d’Orsay consacre en ce moment au Douanier Rousseau. Mais j’aimerais mettre des mots sur ma déception, et essayer d’en comprendre les causes. Car je me faisais une joie de faire découvrir à nos filles l’univers coloré et onirique de ce peintre, dont je pense qu’il a tout pour plaire aux enfants. Et la visite ne combla pas mes attentes.

Alors certes, je pense que notre aînée a aimé l’exposition, même si elle s’est très vite plongée dans une activité de dessin qui occupait davantage son temps et son esprit que la contemplation des œuvres : à sa demande, et suite à notre balade dans le Musée de sculpture en plein air, nous avions emporté pour elle un carnet pour « écrire » et dessiner pendant la visite ; avec son carnet, elle s’asseyait devant chaque tableau (ne voulant en laisser aucun de côté) et dessinait. Au départ, nous avions l’impression qu’elle ignorait les œuvres, et l’incitions à regarder en lui posant des questions. Mais nous nous sommes vite rendu compte que c’était là sa manière de regarder (même si elle était parfois si près qu’elle ne devait pas voir grand-chose) : elle m’a dit, devant une toile de Picasso, qu’elle pourrait rester des heures à la regarder – alors même qu’elle semblait ne pas lui accorder un regard ! Est-ce que les quelques visites que nous avons faites avec un livret lui ont rendu nécessaire une médiation quelconque ? Est-ce sa manière à elle de garder une trace de sa visite ? Cette manie avait en tout cas pour avantage qu’elle marquait « sa » place devant le tableau, obligeant les adultes à rester derrière elle, respectant son espace vital. Cela nous permettait de rester avec elle à contempler et commenter l’œuvre, certes d’un peu trop près, mais sans que personne ne nous passe devant ni ne nous marche dessus.

Car le moins que l’on puisse dire, c’est que le public n’était pas très tolérant face à la présence des enfants dans l’exposition – nous n’étions pourtant pas la seule famille, loin de là. Regards noirs en direction de la grande et de son carnet de dessin, commentaires à voix haute sur l’encombrement que représente la poussette, agression verbale pure et simple quand la petite a commencé à pleurer. Car c’est elle qui a le moins apprécié l’exposition : depuis sa poussette, elle ne devait rien voir, avec tous ces adultes qui l’entouraient ; nous l’en avons vite sortie, mais cela n’a pas suffi, elle s’agitait, protestait, jusqu’à pleurer carrément, obligeant son père à sortir plus tôt que prévu de l’exposition. Etait-elle mal lunée ? Avait-elle mal aux dents ? Peut-être. J’inclinerais plutôt à penser que l’atmosphère de l’exposition lui était inconfortable, car dès qu’elle fut sortie, elle s’est calmée. Et de fait, il faisait trop chaud, trop sombre, et la concentration des visiteurs dans des salles trop étroites (pourtant nous n’avions pas fait la queue du tout…) achevait de rendre ce lieu étouffant, oppressant. Moi-même, j’ai eu l’impression de mieux respirer quand je suis sortie.

Est-ce vraiment le but recherché ? Le visiteur doit-il vraiment vivre l’exposition comme un parcours compliqué – parce qu’il faut se faufiler et louvoyer, mais aussi parce que le contenu même de l’exposition nécessitait la lecture attentive des affichages, pour comprendre pourquoi le Douanier Rousseau côtoyait tant de toiles d’autres peintres, ses contemporains mais aussi antérieurs (pourquoi Ucello ?) ou postérieurs – et comme un moment d’inconfort ? Une exposition, cela se mérite-t-il ? Et du coup, quelle place les enfants peuvent-ils trouver dans de tels espaces ? Ces espaces sombres et étroits ne sont pas propices à la liberté de la visite, où il faut se faufiler de tableau en tableau, dans un ordre prédéterminé. J’ajoute que l’éclairage forcément artificiel, à grand renfort de spots en plein sur les œuvres, les rend encore moins faciles à voir : des reflets empêchent d’appréhender le tableau dans son entier, il faut se décaler, chercher le bon angle, ce qui est difficile pour un enfant, impossible dans la cohue. Cette présentation inconfortable, entre ombre et lumière, ne sert pas les œuvres : ce qui importe, finalement, c’est le concept de l’exposition, l’idée de son commissaire. Autant acheter directement le catalogue en boutique !

Mais ce qui me gêne le plus dans cette muséographie du clair-obscur, c’est l’image qu’elle donne de la culture. On entre dans ces expositions comme dans une grotte, un sanctuaire ; mais c’est en en sortant que l’on retrouve la lumière et que l’on respire enfin – cherchez l’erreur. Cette muséographie de l’obscurité transforme le musée en un lieu secret, coupé du monde et mystérieux, et présente la culture comme une religion pour initiés. Un lieu sérieux où des adultes émettent des commentaires inspirés et profonds, et viennent partager entre happy few le grand secret, jalousement gardé, de la connaissance et de la pensée. Quel contraste avec l’exposition Fromanger à Beaubourg, exposition intégrée dans le musée même, sans en être séparée par des barrières qui ressemblent à des cadres de tableaux, et présentée dans des salles qui n’ont pas été maquillées pour l’occasion ! Des salles amples et lumineuses, où la couleur des œuvres de Fromanger éclatait. À Orsay, les couleurs du Douanier devenaient sombres comme un mystère, à Beaubourg, celles de Fromanger devenaient lumière.


Musée d’Orsay
Du 22 mars au 17 juillet
Ouvert tous les jours sauf le lundi, de 9h30 à 18h (21h45 le jeudi)
Tarif : 12 euros ; gratuit pour les moins de 18 ans.

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