mercredi 15 juin 2016

Chaises longues et "statues d'art"

(Musée Bourdelle)

Disait-elle "là, là" ou était-ce, comme mon oreille de mère a cru l'entendre, "dada" ? C'est avec ce cri encore mal articulé mais qui traduisait en tout cas  un enthousiasme évident que notre cadette (15 mois maintenant) pointait son doigt vers l'impressionnante statue équestre présentée (dans sa version en plâtre) dans la plus haute salle du musée Bourdelle. Tout son corps et toute son attention étaient tendus, depuis sa poussette, vers ce cheval (dada ?) monumental qui occupait devant elle un espace sans doute exceptionnel, puisque nous-mêmes adultes nous sentions tout petits. Etait-ce le plaisir de reconnaître l'animal, était-ce la taille ou encore la position très surélevée de la sculpture qui motivait cette réaction physique et sonore si explicite ? Impossible de le savoir. Ce qui est certain, c'est que l'intérêt suscité d'abord par la statue équestre du général Alvéar n'a pas faibli au cours de notre visite : il était évident que le musée Bourdelle plaisait bien à notre visiteuse en poussette.

Il n'est pas toujours facile de savoir l'impression que produisent sur elle les œuvres que nous voyons. A peine commençons-nous à déceler, à certains indices, les lieux qui lui plaisent et l'intéressent : il semblerait ainsi que, quand sa curiosité est assez éveillée, elle ne ressente pas le besoin de sortir de sa poussette pour explorer les lieux à deux ou quatre pattes ; alors même qu'elle est à un âge où "il faut que ça bouge", nous avons eu des visites réussies et agréables, comme ici au musée Bourdelle, ou récemment encore au Mac Val, tandis que d'autres furent assez pénibles - le Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris, par exemple, ne l'a intéressée que comme terrain de sport, avec ses escaliers à descendre et monter indéfiniment ! Pourquoi une enfant de 15 mois va-t-elle accepter ou refuser de garder ses pieds immobiles pour mieux ouvrir ses yeux ? Mystère. Peut-être cela a-t-il quelque-chose à voir avec l'espace et la lumière qui y règne, mais aussi avec la mise en place des œuvres : au Mac Val, beaucoup d'entre elles sont facilement visibles depuis une poussette, parce qu'elles sont directement installées sur le sol ; au musée Bourdelle, la dimension monumentale de certaines sculptures a sans doute contribué à accrocher son regard, l'incitant à regarder ensuite autour d'elle. Peut-être cela est-il aussi une question d'humeur ou de sensibilité (je n'irais pas jusqu'à dire "artistique", elle est si jeune !). Qui sait ? Une fois n'est pas coutume, même s'il est encore plus difficile à retranscrire et à expliquer que celui de sa sœur, j'essaierai aujourd'hui de vous donner, en même temps que celui des autres membres de la famille, le point de vue de la "petite".

Il faisait chaud et lourd dans Paris, et la première bonne surprise que nous offrit le musée Bourdelle fut de la fraîcheur : le premier espace de visite, juste après l'entrée, n'est pas une salle mais un jardin. Cette petite cour arborée donnant sur la rue, et entourée d'une galerie couverte, est ornée de nombreuses statues, dont certaines le bordent, majestueuses et monumentales, tandis que d'autres s'y cachent, bronzes discrets qu'il faut débusquer au milieu des feuillages ; on peut s'installer là pour les contempler, lire ou rêver, à l'ombre ou au soleil, car la cour est agréablement pourvue de bancs et autres sièges de jardin, tandis que la galerie offre d'estivales chaises longues. De ce point de vue ombragé, on peut contempler de dos les quatre figures du Monument au général Alvéar (La Liberté, La Force, La Victoire et L'Eloquence) qui se profilent entre les arcades de briques, gardiens du lieu, on peut aussi admirer de loin les autres sculptures du jardin, ou contempler à son aise l'Héraclès archer qui vise éternellement, très concentré, d'invisibles oiseaux. On peut également, comme notre aînée, jouer à la "statue d'art", en prenant des poses plus ou moins clownesques, destinées autant à singer l'immobilité de la sculpture qu'à amuser la galerie, c'est-à-dire ses parents et sa sœur, toujours extrêmement bon public. C'est donc sous le signe du jeu et du rire que nous sommes entrés dans ce musée - qui en outre a fait resurgir pour moi de merveilleux souvenirs de vacances croates et scandinaves (1). Et c'est après que ses pieds nus aient pris le frais du jardin, et après avoir ri de l'enthousiasme clownesque de sa grande sœur, que la "visiteuse en poussette" a pénétré dans le Grand Hall, espace lumineux à la mesure des plâtres gigantesques pour lesquels il a été construit (comme celui de La France, sorte de Pallas-Athéna géante dont la lance semble devoir crever le plafond), et qui met tout de même en valeur les œuvres plus "petites", comme les bas-reliefs imaginés pour la façade du théâtre des Champs-Elysées ou comme les figures d'inspiration antique, Centaure mourant ou Sapho rêveuse.

Seul défaut du lieu, le Grand Hall est très sonore, et les cris d'enthousiasme de notre cadette y résonnaient si bien que nous étions gênés de la voir ainsi troubler le silence quasi religieux que les monuments semblaient inspirer aux rares visiteurs, dont plusieurs étaient absorbés par leurs croquis, et à la sévère gardienne, qui a en outre exprimé sa crainte que notre grande détruise les plâtres imposants... mais, paraît-il, fragiles (je continue à ne pas comprendre comment une enfant de 4 ans aurait pu endommager ou détruire ces mastodontes...). Mais passé cet accueil un peu frais qui a dans un premier temps redoublé la timidité que le solennel Grand Hall faisait naître en nous, je dois dire que notre visite fut on ne peut plus plaisante, et que c'est sous l'œil bienveillant des autres gardiens que nous avons traversé les différents espaces qui composent le Musée Bourdelle. L'un d'entre eux incitait même les visiteurs à quitter toute réserve dans la salle "pédagogique", où la direction du musée a installé plusieurs outils destinés à comprendre la genèse des sculptures (vidéo sur le coulage du bronze, moule à défaire et refaire façon puzzle en volume, etc.), mais aussi quelques bronzes authentiques que l'on est autorisé à toucher !

Cette pièce "tactile", qui a beaucoup intéressé la grande (elle est restée longtemps devant la vidéo, et a adoré défaire les pièces du moule), a laissé la plus petite indifférente - la salle étant étroite, elle s'y est vite énervée, et est allée nous attendre avec son père dans un coin du jardin. Même chose avec la pièce qui restitue l'atmosphère de l'appartement de Bourdelle, réunissant mobilier d'époque et collection personnelle de l'artiste (notamment de peintures) pour recréer un intérieur qui était aussi l'atelier de peinture de Bourdelle, et plonger le visiteur dans le passé. Presque intime, cette pièce n'est pas pratique pour une poussette, et globalement reste anecdotique pour qui n'est pas spécialiste. Elle participe cependant à la variété des espaces de visite proposés par le musée Bourdelle, dont le parcours évite toute monotonie : chaque salle semble avoir son atmosphère propre, de l'appartement figé dans le temps à l'extension construite en 1992, qui accueille des morceaux de l'œuvre monumentale dans un décor impersonnel. Sans oublier bien sûr l'atelier de sculpture, capharnaüm chaleureux, envahi par des sculptures qui semblent sortir tout juste du burin. Là aussi le temps s'est arrêté, bronzes et marbres se cachent derrière des rideaux ou paraissent avoir été abandonnés par l'artiste sur les sellettes où il les a façonnés. Ce désordre organisé a touché notre petite visiteuse aussi bien que ses parents. Pourtant, il n'y avait là plus rien de monumental, et la lumière était plus tamisée, mais elle semblait intriguée par le lieu, sa curiosité éveillée par les trois têtes de femmes, semblables mais faites de trois matériaux différents, qui étaient posées sur la grande table de bois, à portée de son regard.

Mais ce qui a peut-être contribué à charmer notre petite, et ce qui nous a paru en tout cas le plus agréable, c'est l'organisation même du parcours du musée Bourdelle, dont le fil conducteur n'est autre que le jardin : le jardin sur rue, atrium par lequel on pénètre dans l'univers de Bourdelle, et qui dessert le Grand Hall, l'appartement et l'atelier (qui mène à la salle "tactile"), mais aussi le jardin intérieur, sentier envahi par la verdure, où les sculptures se cachent et se révèlent, passant de l'ombre à la lumière au gré des bosquets. C'est ici que nous avons fait une pause goûter et que la petite a été ravie de pouvoir se dégourdir les jambes. C'est aussi sur ce jardin qu'ouvrent les verrières du parcours chronologique, cœur du musée où l'on découvre pas à pas l'œuvre de Bourdelle, en des salles successives qui ne cessent de dialoguer, grâce à des ouvertures multiples, avec le jardin, véritable espace d'exposition. Et, toujours, l'on revient au jardin : c'est par lui que l'on accède à l'ascenseur, qui mène à l'extension récente (en sous-sol), mais aussi à la terrasse, qui permet d'admirer d'autres œuvres mais offre aussi un nouveau point de vue sur... le jardin. Ce sont ainsi les espaces extérieurs qui donnent son unité à ce musée aux lieux hétéroclites, dont les différents morceaux ont été bâtis au fil du dernier siècle. Des jardins qui font de ce musée un lieu propice à la détente, à la rêverie, à la promenade : un musée idéal, donc - avec ou sans enfants !


(1) Cette alliance du bronze, du feuillage et de la brique me rappelait, je ne savais trop pourquoi, la Suède, puis plus objectivement les maisons d'Ivan Meštrović près de Split et de Carl Milles près de Stockholm, deux lieux splendides pour qui aime le mélange sculpture-nature ; les tresses de La Liberté et de La Victoire ressemblent à certaines coiffures des femmes de Milles, tandis que la filiation avec Rodin est largement partagée par Bourdelle et Meštrović.

Musée Bourdelle
18, rue Antoine Bourdelle 75015 Paris
(métro Montparnasse - Bienvenüe / Falguière)
Ouvert tous les jours sauf le lundi, de 10h à 18h.
Entrée gratuite pour tous dans les collections permanentes (les expositions temporaires sont payantes).

2 commentaires:

  1. Ah nous aussi nous avons adoré ce musee qui a beaucoup de charme. Nous avons testé les ateliers avec les grandes, ils sont d'une grande qualité (elles ont découvert la gravure). Pour les plus de 8 ans. Il va falloir attendre un peu :-). Cecile D.

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    1. Merci pour ta visite, et pour le tuyau sur les ateliers Bourdelle : ça nous fait des "réserves" pour plus tard !!

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