mardi 7 juin 2016

J(e) suis partout !

(Ana Jotta, "TI RE LI RE" - le Crédac, Centre d'art contemporain d'Ivry)


Les habitants du Val de Marne (94) sont fort bien lotis en ce qui concerne l'art contemporain avec, bien sûr, le Mac Val à Vitry-sur-Seine (j'en reparlerai bientôt), mais aussi, à Ivry-sur-Seine, la Galerie Fernand Léger, qui accueille plusieurs artistes chaque année (je garde notamment un souvenir ébloui de l'exposition de Miguel Chevalier), et le Crédac. Installé dans une ancienne usine (la Manufacture des œillets) qu'il partage avec l'EPSAA (Ecole Professionnelle Supérieure d’Arts graphiques et d’Architecture), avec bientôt pour voisin le Centre Dramatique National du Val de Marne (Théâtre des Quartiers d'Ivry), le Centre d'Art contemporain d'Ivry, dit Crédac, accueille trois expositions par an, expositions personnelles ou collectives d'artistes contemporains français ou étrangers, dans une grande variété de pratiques (sculpture, photographie, installations, vidéo, son, etc.). Visites, conférences, goûters et autres rencontres avec le public sont organisés autour de chaque exposition, qui est complétée également par la programmation du Crédakino, petite salle de projection installée récemment au fond de l'espace d'exposition.

La dernière exposition de cette "saison" est consacrée au travail d'Ana Jotta, artiste portugaise à l'œuvre polymorphe. Elle associe ici son travail de peintre, présenté sur divers supports, et sa manie des collections, qui donne naissance à une installation surprenante, qui tient les promesses de ludisme annoncées par le titre de l'exposition. Autant je suis restée un peu sur ma faim dans la première salle, peut-être trop éparpillée, autant la dernière salle permet une plongée dans un univers personnel un peu fou, qui se prête à la rêverie et à l'imagination.

L'exposition est conçue en trois temps - trois salles de dimensions et d'esprits très différents. La première salle, la plus grande mais aussi la moins cohérente, réunit essentiellement le produit de l'œuvre picturale d'Ana Jotta. Mais ces peintures ne se présentent pas toujours sur des supports attendus : non seulement l'artiste portugaise peint sur de l'acier, du tissu, du papier peint autant que sur toile, mais elle a pour habitude de photographier ses œuvres et d'imprimer les clichés obtenus sur divers supports, tissus, bâche plastifiée. Malheureusement, une grande partie de ces impressions sur des tissus translucides, placées en hauteur et tout contre une fenêtre, recevaient peut-être trop de lumière, car leurs couleurs semblaient toutes pâles : ces œuvres n'attiraient pas l'œil, qui se perdait un peu dans ce grand espace rempli de peintures très différentes les unes des autres. Notre aînée semblait perplexe, même face au Petit cirque créé à partir des photographies qu'Ana Jotta a prises avec son téléphone portable pendant un an, imprimées sur toile et lacérées en lanières. Des lanières trop fines peut-être pour qu'une enfant comprenne leur origine.

La seconde salle, très cohérente au contraire, présente sept peintures toutes réalisées sur un support qui n'est pas celui de l'image fixe, mais de l'image en mouvement : un écran de projection. Ces sept écrans, installés en quinconce, structurent l'espace de la salle, en créant un parcours de cache-cache et de découverte où l'on se faufile jusqu'à la surprenante dernière salle, la plus personnelle et la plus originale.

Car cette fois, la salle ne présente pas les créations d'Ana Jotta, elle est en elle-même une création, comme si l'artiste nous invitait dans son salon loufoque, ou dans son imagination. Les quatre murs sont tapissés d'un papier peint créé à partir d'une des nombreuses collections de l'artiste : publicités, affiches, pages de livres, photographies et dessins, ces images créent une collection qui est source d'inspiration pour Ana Jotta, mais qui a aussi donné naissance à une exposition (A Conclusao da Precedente, Lisbonne, 2014) puis à un livre (Footnotes). C'est à partir du livre tiré de l'expostion que le papier peint présenté au Crédac a été édité. Recouvrant toute la pièce, il offre des heures d'observation et de contemplation, ou de "cherche-et-trouve" (le livret de jeux-affiche offert par le Crédac, destiné aux enfants, mais plutôt adapté aux plus grands, leur propose de chercher le canard reproduit sur son versant affiche). Mais il crée aussi un décor unique et surprenant, bien propre à accueillir une autre série ou collection d'Ana Jotta, celle des J (ou Jotas, en portugais) : l'artiste collectionne les objets qui ont ou prennent la forme de l'initiale de son nom, qui est aussi son homonyme. Elle en expose certains dans une vitrine, d'autres aux murs ou sur le sol de sa salle auto-portrait. L'espace foisonne d'images et d'objets, et c'est leur juxtaposition, leur accumulation qui donne l'impression d'être transporté ailleurs. Surprise, amusée, notre fille a apprécié cette plongée dans les images d'Ana Jotta ; elle a été intriguée par la collection de J ; trop petite pour deviner ce qui se cachait derrière cette forme, je crois que l'explication l'a moins amusée que l'effet de série lui-même, joint à l'étrangeté des objets posés au mur.

Même amusement étonné, un peu "sceptique", face à Genealogic Tree, assemblage d'une fausse lampe de salon (l'abat-jour est en fait un seau !), d'un bouclier, d'une peinture et d'une tête de chien façon trophée, affublée d'une couronne en hermine : elle semblait en fait se demander pourquoi cela nous amusait, ou pourquoi nous nous attendions à ce qu'elle soit surprise ou amusée. Elle a bien volontiers détaillé les objets qui composaient cette "sculpture", et le chien couronné, un peu haut pour qu'elle le remarque d'emblée, l'a fait sourire, mais elle avait plutôt l'air de nous dire : "Pourquoi pas ?" Je crois pouvoir dire qu'elle a apprécié cette exposition, même si ses réactions étaient peu expressives et donc difficiles à interpréter. Elle a observé certaines œuvres, ignoré d'autres, m'a laissé gentiment attirer son attention sur certains détails (un Mickey sur une boîte en carton, les pots de confiture qui soutiennent le tambour de la photographie sur bâche...) ; elle a posé quelques questions (sur le mode de "qu'est-ce que c'est ?"), mais a surtout observé avec un certain détachement ce qui l'entourait. Je crois que la salle au papier peint est ce qui lui a le plus plu, ce qui l'a le plus surprise. Mais au fond, ayant moins d'habitudes que nous (ou d'a priori, si vous voulez) sur ce qu'est une œuvre d'art, et étant encore trop petite pour s'intéresser vraiment à la variété des supports utilisés, elle a semblé un peu indifférente face aux originalités d'Ana Jotta. Peut-être aussi l'exposition manquait-elle d'une cohérence, d'un fil rouge qui l'aurait "accrochée". Dans ce blog, j'essaie de ne pas vous dire seulement ce que moi j'ai pensé des musées et expositions que nous visitons en famille, mais ce n'est pas toujours facile de vous donner le point de vue de ma fille - je parle de l'aînée, car la petite a clairement aimé gambader dans ces grands espaces, quasi vides de visiteurs, et a eu très envie de secouer le Genealogic Tree !

Je peux seulement ajouter, côté enfants, que le Crédac fait l'effort, pour chaque exposition, de préparer et imprimer sur du papier glacé une série de questions-jeux pour les enfants, sur un grand format qui permet d'offrir également au verso une affiche tirée de l'exposition, comme souvenir à emporter chez soi. Il s'agit moins d'appels à l'observation de l'exposition que de questions destinées à prolonger cette observation, en demandant à l'enfant soit de faire des liens avec ce qu'il connaît, soit d'imaginer ou de créer à son tour. Sans doute élaborées en même temps que les visites ou ateliers proposés aux scolaires, ce "dépliant-jeu" est difficile à exploiter avec une enfant de 4 ans, en partie à cause de la difficulté des questions, en partie parce qu'il lui demande de s'arrêter, de s'asseoir pour se concentrer successivement sur une œuvre de l'exposition, sur une image du dépliant et sur une question en prolongement. Il faudrait quasiment venir sans enfant pour préparer la visite, si l'on tient à exploiter ce support ! Mais peut-être est-ce dû aussi au fait qu'occupés à observer l'exposition, à y repérer les détails susceptibles d'intéresser la grande (sans oublier de prendre quelques photos pour vous), tout en courant après la petite, il nous manquait un ou deux bras (et un cerveau) pour lire attentivement et posément les questions du dépliant avant de les expliquer à notre fille. Même quand on ne porte ni bambins ni poussette, être des parents au musée, c'est souvent du sport !


Du 8 avril au 26 juin.
Ouvert tous les jours sauf le mardi, de 14h à 18h (19h le week-end). Entrée libre.
Le Crédac, Centre d'art contemporain d'Ivry
La Manufacture des Œillets
25-25 rue Raspail
94200 Ivry sur Seine
(métro ligne 7 ou RER C)

Un atelier-goûter est prévu le dimanche 19 juin 2016, de 15h30 à 17h (gratuit sur réservation, au 01 49 60 25 06 ou contact@credac.fr).

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