
(Liz Magor, The Blue One Comes in Black - Crédac)
Je l'ai déjà dit
ici, le Crédac est un lieu que nous affectionnons : à dix bonnes minutes de marche/trottinette de la maison, c'est notre "musée de proximité" ; à travers la verrière de sa grande salle si lumineuse, on a une vue imprenable sur Ivry ; surtout, c'est un espace d'exposition ouvert et ample comme on les aime, on l'on circule aisément (notamment en poussette), avec le charme brut du décor industriel (ascenseur monte-charge inclus).

Mais je dois avouer que notre dernière visite nous a un peu laissés sur notre faim - et n'a pas enthousiasmé notre amateure d'art contemporain en herbe. Tout avait pourtant bien commencé pour elle, avec la découverte de petits tabourets en plastique recyclé, pile à sa taille. Elle en a embarqué un pour la visite, et l'a planté au milieu de la grande salle. Pour très vite le déplacer ; il faut dire à sa décharge - même si le tabouret s'est révélé une fausse bonne idée, qui a davantage accaparé son attention que les œuvres - que la grande salle semblait singulièrement vide et nue ce jour-là. Quelques couvertures pendant aux murs sur des cintres, une chaise au milieu avec, reposant sur son dossier, ce qui semble être une housse à vêtements, et enfin, posés au sol sur des socles de pierre grise, des sacs en papier jaunis, remplis de pochettes plastiques remplis de papier ou de napperons. En somme, des rebuts, des objets abandonnés dont l'aspect modeste ou usé renforce l'impression de nudité qui se dégageait de la grande salle. Mais, à en croire le descriptif distribué à l'entrée, ces objets ne sont pas toujours ce qu'ils semblent : la housse à vêtements est en silicone durci au platine ; de près, elle est incroyablement rigide. Les couvertures en sont bien, emballées dans la housse de leur dernier passage au pressing, mais elles ont été "réparées" par l'artiste à l'aide de gypse, de paillettes ou de fil. Le rebut anobli au statut d'œuvre d'art, ou l'œuvre d'art imitant le rebut (les sacs de course en papier moulés et teintés), voilà le double principe de création de Liz Magor, illustré par les sculptures
All the Names II et
III, boîtes de silicone translucides qui contiennent, ainsi figés comme dans un cube de glace, des paquets cadeaux ou des papiers et livres abandonnés.

Mais les trompe-l'œil les plus marquants sont peut-être les petites sculptures suspendues au mur de la salle 2 :
Palm Pet présente, sur une boîte en carton qui n'en est pas une, une petite créature, marionnette créée par l'artiste, avec une tête en laine et un corps fait d'un gant qui, si l'on s'approche, s'avère ne pas en être un (probablement du gypse polymérisé - la matière privilégiée par Liz Magor pour ses sculptures trompe l'œil). Face à cette œuvre, il faut jouer du près et du loin, pour l'effet de surprise et l'effet d'ensemble, pour la matière et la silhouette. Mais accrochées un peu haut, ces sculptures n'étaient pas facilement accessibles pour notre aînée (je ne parle même pas de la cadette, qui est globalement restée sans réaction pendant toute la visite) ; il fallait la porter pour lui montrer l'œuvre, lui faire comprendre la surprise qu'elle aurait dû ressentir, et qui ne pouvait donc pas être spontanée. L'ensemble était un peu trop abstrait pour elle, je le crains, peut-être un peu trop triste (contrairement à l'exposition
d'Ana Jotta, qui pourtant partait elle aussi de rebuts et de récupérations), et elle n'a pas semblé apprécier la visite. Pourtant, s'il y a une enfant capable d'apprécier le travail de récupération, c'est bien ma fille, qui refuse que l'on jette le moindre emballage cartonné !

Il faut dire qu'il manquait peut-être une médiation, même pour nous, adultes. Le descriptif distribué, moins clairement présenté salle par salle, était un peu long pour qu'on le lise tout en déambulant au milieu des œuvres avec un enfant. Quant au dépliant-questionnaire habituellement offert aux jeunes visiteurs du Crédac, il était en rupture de stock - dommage, car il nous aurait permis d'orienter l'observation des œuvres de notre fille, sans cela peu accrochée. Nous avons regretté que la guide présente dans la salle au moment de notre visite n'ait pas laissé quelques instants les deux seuls autres visiteurs présents cet après-midi-là, pour nous faire profiter de ses explications, ne serait-ce que quelques minutes. De toutes les expositions que nous avons vues au Crédac, celle de Liz Magor est à mon sens celle qui nécessitait le plus une présentation. Malgré une volonté d'accueillir les jeunes visiteurs (ateliers-goûters, livrets, accueil des classes...), chacune de nos visites au Crédac nous a laissé l'impression que notre fille était vraiment trop jeune pour être regardée comme une visiteuse (une autre fois, la même personne guidait une famille et ne nous a jamais proposé de nous joindre à la visite, que nous avons suivie "en rodeurs", avant de nous imposer à l'atelier improvisé en fin de visite). Encore une fois, il semble qu'avant 6-7 ans, bref l'âge du primaire, un enfant ne soit pas un public digne d'intérêt pour les musées, voire pas un public du tout...
Et ça m'agace : aujourd'hui, il est de bon ton de faire écouter de la musique à vos enfants avant même qu'ils aient vu le jour, et il semble évident (au moins pour les éditeurs et les libraires) qu'il faut les familiariser avec les livres très tôt. Mais pour ce qui est des musées, c'est-à-dire des arts autres que musicaux (peinture, sculpture, photographie, architecture), et même, dirais-je, de la culture en général, dès qu'elle ne se pratique pas dans le cercle privé (et discret) de la famille. Je ne compte plus le nombre de fois où j'ai entendu murmurer "Ce n'est pas un endroit pour un enfant" ou ses variantes (même sur un bateau pendant un tour des calanques de Marseille!). L'année dernière, la maîtresse de notre fille, à la recherche d'une sortie de fin d'année, a trouvé saugrenue l'idée d'emmener ses petits au MacVal voisin. Et je ne parle pas de l'étonnement des gens quand nous leur expliquons que nous partons en vacances à l'étranger (Stockholm, Madrid et Venise avec notre grande, entre ses 18 mois et ses 2 ans et quelques - elle garde encore, plus de deux ans après, un souvenir enthousiaste de Venise). Récemment encore nous nous sommes entendu dire, à propos de nos futures vacances de printemps : "mais Milan, il n'y a que des visites, avec des enfants, ce n'est pas possible". En résumé, avec des enfants, vous êtes condamnés à partir en vacances à la mer ou à la montagne, à vous limiter aux loisirs de plein air où vos bambins présenteront une nuisance sonore limitée et éviteront les regards dégoûtés des adultes visitant églises ou musées.
Je m'insurge contre cela, à la fois égoïstement (dix ans de plage/montagne, je ne survivrai pas !), et pour le bien de mes enfants (et de ceux des autres) : comment veut-on que les enfants deviennent des adultes sensibles aux arts, de futurs visiteurs de musée, si l'on retarde le plus possible leur rencontre avec le beau ? Si le musée reste pour eux ce lieu où les traînent leurs professeurs de lettres ou d'histoire, et les œuvres d'art le support de l'épreuve d'Histoire des Arts du brevet des collèges, comment veut-on qu'ils en aient une image autre que scolaire et rébarbative ? Le musée doit être d'abord un lieu de partage et de liberté, un lieu où l'on se promène à la rencontre d'un coup de foudre artistique, qui peut venir n'importe-où, n'importe-quand, et surtout pas quand il est commandé.
Les enfants sont étonnants, sans idées préconçues, prêts à tout regarder, à tout écouter, et c'est à l'âge de la maternelle, celui où leur créativité est le plus stimulée et mise en avant, que l'on devrait les emmener découvrir les innombrables variations que présente l'art et leur faire comprendre que les musées ne sont pas, comme semblent l'être les concerts de musique classique (j'ai revu
Fauteuils d'orchestre récemment, j'ai adhéré à fond au personnage de Dupontel), réservés à une élite culturelle et financière, qu'ils sont ouverts à tous et à tous les âges.

Du 9 septembre au 18 décembre 2016.
Ouvert tous les jours sauf le lundi, de 14h à 18h (19h le week-end). Entrée libre.
Le Crédac, Centre d'art contemporain d'Ivry
La Manufacture des Œillets
25-25 rue Raspail
94200 Ivry sur Seine
(métro ligne 7 ou RER C)
Un atelier-goûter est prévu le dimanche 27 novembre 2016, de 15h30 à 17h (gratuit sur réservation, au 01 49 60 25 06 ou contact@credac.fr).
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