
À l'heure où nous songeons à nos prochains voyages - pour oublier l'hiver - j'ai eu envie de me replonger dans nos dernières vacances d'été. En juillet dernier, après une semaine plage-aquarium-plage-promenade-plage au Croisic - avec tout de même une petite excursion anti-canicule à Batz-sur-Mer, où l'on peut visiter un musée des marais salants très
child-friendly (1) -, nous avons passé quelques jours plus "culturels" à Nantes. Une ville qui nous a semblé inépuisable : nous y sommes restés cinq jours, qui ont été bien remplis, et nous n'avons pas eu le temps de tout voir - sans compter que deux des principaux musées (musée des Beaux-Arts et musée Dobrée) étaient fermés pour travaux (mais une petite partie de leurs collections était visible, assez pour ne pas être frustré, et pour avoir envie de revenir !).
Ne vous méprenez pas sur le titre de cet article : Nantes n'a rien d'une ville-musée. Vivante et changeante, elle est tout sauf figée. Son centre ville a certes le charme de l'ancien, relevé par quelques coquetteries d'urbanisme moderne (très beaux lampadaires sur la place de l'opéra, et aussi ces drôles d'arches en plastique translucide placées à quelques croisements, et dont je n'ai toujours pas compris l'utilité). Mais un nouveau centre, moderne et tourné vers l'inventivité, vers l'avenir, se bâtit progressivement sur l'île des machines, ancien site des chantiers navals. Le cœur de cette nouvelle Nantes, c'est bien entendu le tandem fantastique formé par le Carrousel des Mondes marins (un manège sur trois étages, habité de créatures réelles ou inventées, la plupart articulées, à admirer mais aussi à chevaucher et à animer le temps d'un tour qui ravit toutes les générations) et par la halle qui abrite les Machines de l'île, série de prototypes qui sont animés sous vos yeux les uns après les autres. Ces lieux, qui à eux seuls valent de venir à Nantes, sont à la fois tournés vers un passé littéraire (celui des mondes imaginés par le Nantais Jules Verne, dont l'univers, qui est aussi celui de notre enfance, surgit devant nos yeux), et vers l'avenir ; un avenir très concret, bien qu'il semble un peu fou, celui de l'arbre aux hérons, qui devrait se dresser sur l'île aux Machines et que viendront habiter les araignées, fourmis et autres chenilles articulées, sans oublier les hérons dont un "petit" prototype nous a permis d'imaginer le vol majestueux. Rendez-vous en 2021 : je vous l'ai dit, nous avons quitté Nantes avec la ferme intention d'y revenir.
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Installation pérenne de Daniel Buren,
sur les bords de Loire, sur l'île aux Machines
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Mais je n'oublie pas l'objet de ce blog, que je ne vais pas transformer en guide touristique accéléré - ni en prospectus vantant les merveilles des machines, même s'il ne faudrait pas me lancer sur le sujet du tour en éléphant,
souvenir impérissable pour nous tous. Si je vous parle de Nantes aujourd'hui, c'est parce que la culture, et notamment cette partie de la culture que l'on découvre dans les musées, l'art, y tiennent une place à la fois centrale et atypique. Car ils sont à la fois partout et nulle part : ils ne sont cantonnés dans aucun lieu, puisque tous les lieux peuvent les accueillir. Tout particulièrement l'été, grâce à une manifestation de grande ampleur nommée le Voyage à Nantes, qui transforme la ville en musée vivant : depuis 2012, elle est en effet parcourue par un fil vert, tracé sur le bitume, qui mène les visiteurs à travers la ville, côtoyant ses principales attractions touristiques, les envahissant à l'occasion, dans une promenade ponctuée d'une cinquantaine d'étapes artistiques - installations, expositions temporaires et œuvres devenues permanentes depuis les précédentes éditions du Voyage ou de son ancêtre, le festival Estuaire. Ce fil vert, on peut le croiser par hasard ou décider de le prendre comme guide, on peut le quitter pour le reprendre plus loin, ou un autre jour. Un livret, distribué dans la plupart des points-étapes, fournit non seulement un plan de l'itinéraire mais une présentation de chacune des étapes, pour ceux qui devraient ou voudraient faire un choix. Et il y en a pour tous les goûts, même si l'art contemporain est bien entendu à l'honneur : cette année, le château des ducs de Bretagne accueillait une exposition d'icônes qui retrace le destin des Grecs chassés de Turquie après la Première Guerre Mondiale ; quant au Musée des Beaux-Arts, il s'exposait en version "nomade" dans trois lieux différents, qui présentaient une sélection d'œuvres autour du thème du voyage.
Design, architecture, sculpture, vidéo... Tous ces médiums de l'art contemporain étaient exploités au fil du parcours, et bien d'autres encore : une cabine téléphonique transformée en aquarium, un terrain de foot au tracé oblique auquel un miroir convexe rend sa forme traditionnelle, une installation sonore et lumineuse dans la salle de l'opéra (qui permet d'en admirer le magnifique plafond peint sous divers éclairages), un mobile géant hissé par une grue au-dessus d'une place sur laquelle sont installés les containers de couleurs dans lesquels ses différents éléments semblent avoir été découpés, un mètre ruban géant posé dans la cour d'un bâtiment de bureaux... Car l'art, à Nantes, se fond dans la ville et devient un élément à part entière du paysage urbain : pendant le Voyage à Nantes, l'art investit les lieux du quotidien (une piscine, dont les usagers nageaient sous un banc de poissons argentés), les rues (un passage piéton dont les lignes se croisent ou se courbent), les parcs ; partout dans la ville, des enseignes créées par différents artistes se sont installées aux devantures des boutiques. Et les Nantais comme les visiteurs ne sont pas seulement invités à regarder : le terrain de foot attire les sportifs et, non loin, un magnifique dragon en bois cracheur d'eau s'avère être une aire de jeux géante pour les enfants ; tables de ping-pong revisitées, arbre à paniers de basket, bars à l'architecture surprenante, airs de pique-nique et potagers ou vergers ouverts à tous, cantines, terrains de jeu, canapés-bibliothèques, les œuvres deviennent cadre de vie autant qu'objets de regard, et tous sont appelés à les traverser, à les habiter. Ainsi de cette palissade non rectiligne, dont les courbes et les angles débordent sur la rue et abritent des bancs où celui qui les traverse peut s'arrêter pour contempler les vagues de lumières et d'ombres qui s'y jouent.




Car le jeu semble le maître-mot de ce Voyage à Nantes : jeu avec les codes du mobilier urbain, jeu avec l'espace-même de la ville, et espaces de jeu pour petits et grands. Deux des grands moments de nos visites nantaises illustrent bien ce ludisme ambiant. Le sommet de ce parcours fut pour moi le jeu de piste absolument jubilatoire que Claude Ponti avait tracé à travers le Jardin des Plantes : ce fut un plaisir pour nous de retrouver l'univers de cet auteur jeunesse très décalé et imaginatif - nous nous y sommes replongés depuis, et notre fille est absolument conquise par les aventures de Blaise et autres poussins, par
La pelle l'Adèle ou par
Ma vallée, par
Broutille, peut-être mon préféré, à moins que ce ne soit
Le château d'Anne Hiversère ou
L'Écoute-aux-portes... Plusieurs motifs ponctuaient ce parcours un peu fou et si poétique : des bancs décalés (banc géant sous lequel passent les promeneurs, bancs en vague, bancs "façon Dalton", dont le plus petit est au ras du sol, etc.) et, surtout, la grande aventure de pots de fleurs qui, nés "tout nus" d'un pot géant (lui-même créé à partir de pots assemblés, l'intérieur tourné vers nous), vont acquérir dans leur traversée du parc, en passant à l'intérieur de créations florales qui sont autant de cré
atures fantastiques, des yeux, un nez, des pieds... Chaque été depuis 2013, Claude Ponti vient enchanter et amuser le jardin des Plantes nantais, inventant de nouvelles
créatures de verdure qui viennent l'habiter, rejoignant certaines œuvres pérennes, comme le banc géant. Leur présence dans tous les recoins de ce magnifique jardin, très agréable à parcourir en lui-même, calme et varié, transforme la promenade en chasse aux pots de fleurs, en quête de la prochaine loufoquerie claudepontiesque. Un vrai bonheur pour petits et grands.

Autre artiste, autre espace, autres styles : le bâtiment principal du musée Dobrée avait été vidé de ses œuvres en vue de travaux imminents mais, avant d'être envahi par les plâtriers, il avait été abandonné à l'inspiration du Gentil Garçon, artiste multi-support qui, lui aussi, s'est pris au jeu du Voyage - jeu avec l'espace du musée inhabité (ses couloirs se peuplèrent de bras porte-lampes-torches fantomatiques, ses escaliers de lampes suspendues...) et avec les œuvres de trois musées de la ville, dont deux étaient alors en travaux : le musée Dobrée lui-même, le Musée des Beaux-Arts et le Muséum d'histoire naturelle. Des dialogues ludiques (mimétisme de couleurs et de formes) ou mystérieux, des mises en scène surprenantes (de toutes petites œuvres dans une sorte de maison de poupées) qui créaient une atmosphère parfois inquiétante, parfois amusante, toujours stimulante. Une très bonne idée que ce coup de folie dans un espace défraîchi.

Il incitait également à venir découvrir les collections du musée Dobrée, présentées malgré les travaux dans un espace plus récent mais plus petit : on peut en avoir un aperçu grâce à une sélection, renouvelée régulièrement, mais qui compte toujours les pièces maîtresses (le laraire gallo-romain de Rezé, l'écrin du cœur d'Anne de Bretagne, une vierge en ivoire du
xive siècle...) de cette collection pour le moins éclectique (numismatique, archéologie, notamment militaire, sculptures antiques et médiévales, objets venus d'Asie, arts graphiques, manuscrits...). Ce résumé de collection, présenté de manière claire et esthétique, dans un espace lumineux et agréable, augure bien de l'ensemble de la collection, et ce d'autant plus que ses concepteurs ont eu la bonne idée de conserver cinq activités ludiques et interactives destinées aux enfants. Si la borne tactile propose, autour des œuvres de la collection, des jeux (puzzles en temps limité, etc.) un peu difficiles pour notre fille qui avait alors 4 ans et demi, elle a pris grand plaisir à inventer sa propre monnaie (d'après un modèle détaillant les différents éléments constitutifs) ou les tenues de trois chevaliers d'époques différentes. Cette attention au jeune public (qui serait parfaite si les poussettes étaient autorisées dans l'un comme dans l'autre bâtiment du
musée Dobrée), si elle est développée à l'échelle de l'immense collection du musée, et dans chacun de ses domaines, en fera un musée aussi agréable que passionnant lors de sa réouverture.

Ce panorama muséique de Nantes ne serait pas complet si je n'évoquais pas rapidement les autres "vrais" musées de la ville, même si, au fond, ce ne sont pas eux qui nous fournirent les moments les plus riches en surprises. Le Muséum d'histoire naturelle et le Musée d'Histoire de Nantes, qui est abrité dans le château des ducs de Bretagne, offrent tous deux des activités pour les enfants, sous forme de livrets notamment, avec un succès variable cependant. Le questionnaire proposé par le Musée d'Histoire de Nantes, sous forme d'une plaquette plastifiée à rendre en quittant le château, était en effet bien difficile pour notre fille, et nous avons opéré une sélection, parmi les questions mais aussi parmi les sections de ce musée trop grand, trop riche et trop abstrait pour elle - malgré la multitude d'objets qu'il permet d'observer, ce musée, en suivant un fil chronologique exigeant et en abordant des thématiques difficiles quoiqu'inévitables (la traite des noirs et l'esclavage, la Grande Guerre, etc.), est plus adapté à des enfants qui ont une certaine connaissance de l'Histoire de France et de ses horreurs ; il manque d'illustrations des usages des objets présentés. J'avoue que moi-même je ne suis pas fanatique de ce genre de musée d'histoire d'une ville ou d'une région et, même si celui de Nantes est très riche, très beau, j'ai davantage apprécié le château qui l'accueille, son architecture, sa belle cour et les vues qu'il offre (notamment si l'on fait le tour des remparts) sur la ville de Nantes, ses toits, ses clochers, sa magnifique cathédrale, la tour Bretagne et la tour rescapée des usines Lu, devenues aujourd'hui le Lieu Unique...
La visite du Muséum d'histoire naturelle m'a elle aussi laissé un souvenir en demi-teinte - mais encore une fois peut-être est-ce affaire de goût personnel, car c'est un très beau musée. Mais j'avoue que les "cailloux" me laissent froide, et les animaux empaillés aussi. Cela dit, autant le Musée d'Histoire de Nantes m'avait semblé peu passionner ma fille, autant elle a été contente d'observer pierres précieuses et animaux naturalisés et, surtout, de parcourir l'exposition temporaire sur les fourmis, assez ludique, pensée pour le jeune public, auquel un espace créativité et lecture y est consacré.
À l'étage "animaux", dans la partie permanente de l'exposition, un coin coloriage est également installé, avec de nombreux animaux différents. Un livret nous avait aussi été donné, sur demande, pour parcourir cette partie du musée, mais nous avons parfois échoué à identifier les animaux qu'il nous invitait à retrouver - étaient-ils absents temporairement ? Ou est-ce trop difficile ? Encore une fois, un matériel ludique à améliorer.

Mais si je me montre un peu critique envers deux institutions culturelles de la ville, c'est peut-être aussi parce que Nantes avait placé la barre très haut. L'esprit du Voyage avait également atteint les extérieurs de ces deux musées, mais on peut regretter qu'il n'ait pas franchi leurs portes pour y semer son grain de folie. Il n'en reste pas moins que, Voyage ou non, Nantes est une ville qui vaut le détour, tant par sa richesse culturelle que pour le plaisir qu'on prend à la parcourir, de passage en parc, de place en bord de Loire. Passer et repasser par les rues du centre ville, entre le passage Pommeraye et l'Opéra, ou encore du côté de l'île des Machines, nous faisait oublier les kilomètres avalés et a imprimé dans nos mémoires le souvenir d'une atmosphère estivale, légère et détendue, un air de vacances bien rare dans une ville de cette taille.

(1) Le musée est intéressant - pour qui aime les reconstitutions du mode de vie des Français d'antan et des techniques ancestrales - mais il a surtout pour mérite d'être très accueillant pour les enfants : plusieurs parcours ont été préparés pour eux, en fonction de leur âge (livret d'observation pour les petits - parfait pour notre fille de quatre ans -, chasse aux indices avec lampe de poche pour les plus grands), et en fin de parcours une salle leur est offerte pour laisser libre cours à leur créativité (ciseaux, colle, feutres à disposition, sur de petites tables adaptées) ; l'été dernier, ils pouvaient créer des figures à la Arcimboldo avec des photos des objets exposés dans le musée - notre grande a adoré !
Informations (parfois incomplètes ou à vérifier) sur le livret offert par le Voyage à Nantes ou sur le
site du Voyage.
Les Machines : horaires variables selon les périodes, voir le
site ; tarifs (attention, billetterie pour le Carrousel séparée de celle de la Nef, réservée aux billets pour la Galerie et l'éléphant) : 8,50 euros (tarifs réduits ; possibilité d'une visite du Carrousel sans tour de "manège", 6,30 euros ; gratuit pour les moins de 4 ans, sauf pour le Carrousel avec un tour, gratuit jusqu'à un an) ; tarifs réduits et tarifs groupes ou familles.
Musée Dobrée : le musée est actuellement fermé pour rénovation, mais des expositions temporaires se succèdent dans certains espaces restés ouverts au public ; entrée gratuite ; horaires variables, voire les information
en ligne.
Château des ducs de Bretagne et Musée d'Histoire de Nantes : cour et remparts en accès libre tous les jours de 8h30 à 19h (20h l'été) ; intérieurs et musée ouverts tous les jours sauf le lundi, de 10h30 à 18h (mais tous les jours sans exception, de 10h à 19h en juillet et août). Tarif : 8 euros (tarif réduit - jeunes, enseignants etc. : 5 euros), gratuit pour les moins de 18 ans.
Muséum d'histoire naturelle : ouvert tous les jours sauf le mardi, de 10h à 18h ; entrée tarif plein 4 euros (tarif réduit : 2 euros), gratuit jusqu'à 18 ans. Poussettes non admises dans la plupart des espaces (exposition temporaire, vivarium, mezzanine où sont exposés les animaux naturalisés).
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