dimanche 19 mars 2017

L'âge de l'impressionnisme


(Musée de l'Orangerie ; Musée d'Orsay)


Il n'y a pas d'âge pour aller au musée - vous le savez, c'est mon credo. Pour autant, je ne suis pas idéaliste au point de penser qu'on peut emmener n'importe-quel enfant, de n'importe-quel âge, dans n'importe-quel musée ou exposition. Il y a des œuvres inadaptées aux yeux innocents. Il y a aussi des accrochages hors du regard, soit parce que les toiles sont petites, soit parce qu'on n'a pas pensé aux plus jeunes (et aux épaules de leurs parents), il y a des décors oppressants et des salles bondées où l'on craint de voir son enfant écrasé - toutes circonstances contre lesquelles je peste d'ailleurs... Mais, sorti de cela, je trouve dommage que l'on se censure en pensant qu'un enfant est trop jeune, qu'il ne va pas comprendre, pas savoir - car j'ai souvent l'impression qu'avant 6-7 ans, c'est-à-dire avant l'âge de la lecture et des "leçons", l'enfant n'est pas un visiteur naturel et attendu. Forts de ce principe, nous ne nous sommes laissés intimider ni par la taille des musées (Louvre, Orsay, mais aussi Reina Sofia ou Prado à Madrid) ni par les époques ou les styles (Antiquités du Louvre, peinture italienne à Venise, ou très contemporaine au MacVal et ailleurs). Depuis son plus jeune âge, notre aînée a découvert Dali et Niki de Saint Phalle, Magritte et le Douanier Rousseau, Léonard de Vinci et Fromanger... Bref elle est habituée à toutes sortes d'œuvres, elle se montre prête à s'y intéresser - notre but n'étant pas de la transformer en encyclopédie de l'histoire de l'art (elle n'a évidemment pas retenu tous ces noms d'artistes, et ce n'est même pas sûr que nous les ayons systématiquement nommés devant elle), mais d'ouvrir sa curiosité et de faire du musée un lieu familier et tout sauf intimidant à ses yeux.

Il n'en reste pas moins que, dans nos visites, il y eut des réussites et des flops, des coups de cœur et des instants d'indifférence. Affaire d'humeur, de goût ou d'âge ? C'est la question que je m'étais posée lors de notre première visite au musée d'Orsay, il y a deux ans environ. Alors que les sculptures du Louvre ou les objets des Arts décoratifs éveillaient sa curiosité, paysages et natures mortes avaient semblé ne pas la toucher. Nous avions beau la guider à travers la galerie des impressionnistes pour lui montrer nos toiles préférées, et attirer son attention sur tel ou tel détail susceptible de l'étonner ou de la séduire, elle avait très peu réagi (pas plus négativement que positivement d'ailleurs). J'avais envisagé une explication que motivait son goût pour les histoires : il était plus difficile de trouver à raconter autour des toiles des impressionnistes, alors que les mythes ou la Bible nourrissaient habituellement nos visites. C'est là la modernité des impressionnistes : leurs personnages n'ont pas d'histoire autre qu'intime, et leurs paysages suscitent, davantage que la curiosité, souvenirs d'émotions et sensibilité personnelle - de l'impalpable difficile à transmettre (à moins de tomber dans un cours d'histoire de l'art, ce qui n'est jamais notre but). Mis à part le Déjeuner sur l'herbe, où nous avions pu lui faire repérer la nudité incongrue du personnage féminin, qui l'avait un peu amusée, nous avions eu le sentiment qu'elle n'avait pas de goût pour l'impressionnisme.

Deux ans plus tard, pourtant, la voilà qui affirme "j'adore les impressionnistes", et qui réclame un poster des Nymphéas dans sa chambre ! Qu'est-ce qui explique ce revirement ? Plus de maturité ?Sans doute. D'autres lieux que le musée d'Orsay ? Probablement aussi. Car avant d'y retourner, nous avons (re)découvert avec elle et sa sœur deux hauts lieux de l'impressionnisme, aux dimensions moins intimidantes, aux décors plus intimes. Il y eut d'abord cette visite au musée Marmottan : après l'exposition noire de monde "L'art et l'enfant", nous avions pu apprécier le calme relatif et la blancheur reposante des salles Monet, et notre aînée avait jeté un œil distrait sur Impression soleil levant ou Le train dans la neige - même si elle s'était surtout amusée à retrouver les toiles reproduites dans le petit dépliant du musée... avant d'aller s'ébattre dans le bac à sable du jardin du Ranelagh !

C'est à deux pas du manège et des toboggans d'un autre jardin - celui des Tuileries - qu'un même décor de vastes salles vastes aux courbes blanches accueille au Musée de l'Orangerie les grandes toiles des Nymphéas de Monet - et c'est là qu'eut lieu le véritable coup de foudre. Notre grande a été sensible à l'atmosphère de paix créée par ces toiles immenses, qui semblent enrober le visiteur comme dans un cocon de verdure, et le projeter dans un jardin rêvé. Nous avons fait plusieurs voyages entre les deux grandes salles oblongues, comparant, identifiant les heures, repérant les jeux de matière, découvrant la confusion entre la nature et son reflet dans le bassin. Elle semblait touchée, enthousiaste - un vrai beau moment ! Qui s'est agréablement prolongé dans les salles du sous-sol du musée, qui n'ont pas à rougir face aux grandes salles des Nymphéas : présentant la collection Jean Walter-Paul Guillaume (constituée par le marchand d'art Jean Guillaume dans le premier tiers du xxe siècle, elle fut remaniée et enrichie par sa veuve, qui voulut y associer le nom de son second époux, Jean Walter, lorsqu'elle la vendit à l'État français), elles comptent non seulement une impressionnante collection de Renoir, Monet et Cézanne, mais aussi des Modigliani, Derain, Matisse, Picasso, Soutine, etc. Une riche collection, qui a éveillé le sens de l'observation de notre fille : nous avons joué à comparer les poses, les expressions et les styles de nus de Picasso et de Derain, elle a remarqué les regards songeurs des yeux mi-clos des portraits de Modigliani, et l'aspect torturé, mi-triste, mi-effrayant, des paysages comme des portraits de Soutine. Ces salles, d'une taille raisonnable mais d'une grande richesse, offrent donc une belle introduction à l'art de la fin du xixe siècle et du début du xxe. Et même si aucun livret n'est prévu pour les enfants, des ascenseurs permettent de circuler aisément avec une poussette, et l'accueil aux familles est chaleureux - ce qui ne gâche rien !

C'est donc avec enthousiasme que notre aînée a accueilli l'annonce d'une nouvelle visite au musée d'Orsay quelques jours plus tard : "moi, j'adore l'impressionnisme !" Et sans snober les danseuses de Degas, elle s'est montrée sensible aux paysages, aux jeux de lumière et de couleur sur La cathédrale de Rouen, ou sur les Meules de Monet, au vent qui souffle dans les étoles de la Femme à l'ombrelle tournée vers la droite et de sa voisine tournée vers la gauche. Elle a bien sûr été heureuse de retrouver d'autres nymphéas et, si elle n'a pas refusé quelques explications techniques sur le repassage à l'époque de Degas ou sur les Raboteurs de parquet de Caillebotte, ce sont surtout les paysages qui l'ont attirée ce jour-là. Et la voilà qui nous livre une autre explication de ce soudain goût pour l'impressionnisme : parlant des paysages qu'elle dessine elle-même (nouvelle période, récemment engagée, dans sa création artistique), et notamment de ceux qu'elle a peint lors d'une journée "à la campagne" avec le centre de loisir, elle a affirmé à son père "moi aussi, je fais de l'impressionnisme" !



Musée de l'Orangerie : ouvert tous les jours sauf mardi de 9h à 18h ; tarif plein 9 euros, réduit 6,50 euros, gratuit pour les moins de 25 ans (18 si hors UE) et pour les titulaires de la carte blanche du Musée d'Orsay ; gratuit pour tous le premier dimanche de chaque mois. Circulation très facile en poussette grâce aux ascenseurs. Promenade aux Tuileries (manège, jeux) dans la foulée !

Musée d'Orsay : ouvert tous les jours sauf le lundi, de 9h30 à 18h (21h45 le jeudi). Tarifs : 12 euros ; tarif réduit 9 euros (pour tous à partir de 16h30 - 18h le jeudi) ; gratuit pour les moins de 18 ans (moins de 25 si résident de l'UE). Deux cafés à l'intérieur.

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