(Édouard Sautai, "Flood" - Galerie Fernand Léger, Ivry-sur-Seine)
Si vous êtes de passage à Ivry-sur-Seine, il est un coin caché où l'art contemporain s'expose sous toutes ses formes : installations, notamment sonores et vidéos, projections lumineuses, mais aussi maquettes, photographies d'installations
in situ - avec une attention particulière à la place de l'art dans la ville.
Avec l'exposition "Flood", Édouard Sautai exploite diverses facettes d'un élément qu'il perçoit comme structurant pour l'espace urbain, mais avec lequel il joue, explorant sa capacité de destruction ou de perturbation. Car l'eau, c'est bien entendu la Seine, dont le trait bleu défile sur le fond noir d'une série de tableaux exposés en cascade, la Seine, filmée en travelling lors de la crue de 2016. La vidéo, projetée dans l'un des deux grands espaces du second sous-sol, montre le paysage urbain à la fois inchangé (Notre Dame, les piétons sur les ponts, les immeubles sur les quais) et pourtant transformé par la montée des eaux (passage oppressant sous les ponts devenus trop bas, arbres qui ont les pieds dans l'eau, volées de marches qui mènent tout droit au fleuve) ; une "modification" qui se traduit aussi dans la bande-son, que l'on peut écouter grâce à quelques casques, et qui met au premier plan le bruit des flots, qui se mêle aux sons de la ville. Ce dispositif permet de se plonger dans cette "remontée" du fleuve, voyage presque maritime dans un paysage pourtant familier.

Car l'eau a ce pouvoir de troubler les repères, et c'est aussi sur le mode ludique qu'Édouard Sautai l'explore pour mieux nous perdre. Les deux autres vidéos projetées au second sous-sol l'illustrent de deux manières bien différentes : dans
Prendre un bol d'air, l'artiste, plongé tête en bas dans l'eau d'une piscine, semble verser le contenu d'une bouteille dans un bol qu'il porte ensuite à sa bouche ; puisque tout est renversé, quand il semble vider la bouteille, il la remplit, et ce sont les bulles d'air qui s'en échappent alors qui figurent le breuvage versé. Ce jeu, répété à l'envi, intrigue, car le cadrage ne permet pas d'emblée de comprendre la posture du personnage, qui semble couché au fond de la piscine ; seules les interruptions, qui interviennent chaque fois que l'artiste reprend son souffle, permettent de remettre les choses à leur place, et de comprendre ce renversement que l'élément liquide rend plus troublant. L'eau est aussi vecteur d'illusion dans
Monumelt, où l'on voit des châteaux de sucre se dissoudre et s'effondrer sans tout à fait comprendre comment : ils sont en fait progressivement plongés dans un aquarium, où les cristaux de sucres, avant de se dissoudre, flottent ou s'envolent, donnant l'impression d'une neige fantasmagorique sur des paysages désertiques. Nos filles sont restées longtemps assises pour contempler les multiples constructions imaginaires et observer la façon dont l'eau les détruisait, certaines s'affaissant sur leurs bases, d'autres s'écroulant progressivement, d'autres semblant presque disparaître en un instant. Leur destruction avait quelque-chose de fascinant et me rappelait d'autres images, d'authentiques bâtiments abattus ou parfois comme avalés par la terre. Les ruines de sucre ne gardaient pas toujours leur aspect ludique, et prenaient parfois des allures fantomatiques qui faisaient écho au Paris modifié par la crue.

La perte de repères dans l'espace et l'illusion, l'eau les crée aussi grâce à ses pouvoirs réfléchissants, particulièrement bien exploités dans l'installation qui semble offrir une échappée au visiteur qui arrive au premier sous-sol de la galerie. Une échappée vertigineuse : pour ma part, j'ai eu l'impression que si j'avançais, j'allais tomber dans le vide - ou tomber au plafond, puisque ce sont ses caissons qui se reflètent dans l'eau répandue sur le fond noir brillant qui occupe tout l'espace de ce petit cabinet. Édouard Sautai joue des reflets et de la perspective avec
Mazzocchio, référence à la peinture italienne de la Renaissance et à ses recherches sur la perspective : une sculpture en bois qui occupe l'angle d'une salle, face à des miroirs, représente un quart de cette figure géométrique, qui se trouve ainsi complétée par le reflet. Ces jeux d'eaux et de miroirs exploitent les divers recoins de la Galerie, dont l'espace se prête à toute installation et est propice à la déambulation (avec pour seul défaut sa disposition sur trois niveaux, sans ascenseur - mais on peut laisser sa poussette au rez-de-chaussée avant de partir pour l'espace d'exposition qui se situe au sous-sol) : hall d'entrée et couloir propices à l'exposition de petites œuvres ou à la présentation de catalogues ou flyers, cages d'escaliers souvent exploitées pour des projections vidéos (cette fois, le miroitement de l'eau semblait flotter au-dessus de nos têtes tandis que nous descendions vers les œuvres), puis, au sous-sol, des salles aux murs blancs, vastes, et très claires malgré l'absence de lumière naturelle. Un espace chaleureux malgré l'éclairage artificiel, peut-être grâce au comptoir d'accueil et au coin bibliothèque qui ouvrent le premier sous-sol. Un espace où il est agréable de déambuler, parce qu'il est ample et très peu fréquenté (la galerie était vide en ce samedi après-midi pourtant pluvieux) - quel dommage ! On imagine assez bien une classe accueillie dans ces salles, sans que les élèves soient entassés - la galerie organise d'ailleurs des animations avec les scolaires (par exemple, reproduire l'expérience des châteaux de sucre). Les enfants sont d'ailleurs très bien reçus à chacune de nos visites, et cette fois nous avons bénéficié d'explications données spontanément, et adressées à notre aînée. J'ajoute qu'aucune mise en garde ni réflexion ne lui a été faite quand elle s'est penchée au-dessus de l'eau miroitante, quoiqu'elle fût près de la toucher. Maîtresses de maternelle (et de primaire), n'hésitez pas, emmenez vos (nos) petits voir "Flood" - ou une prochaine exposition de cette galerie, vous y trouverez toujours ludisme et bon accueil.
Galerie Fernand Léger : 93, avenue Georges Gosnat 94200 Ivry-sur-Seine (à proximité du métro Mairie d'Ivry). Ouvert du mardi au samedi, de 14h à 19h (et/ou sur rendez-vous). Entrée libre - mais il faut sonner pour qu'on vienne vous ouvrir la porte : ne surtout pas penser que la galerie est fermée parce que vous n'arrivez pas à ouvrir la porte ! Exposition "Flood" : du 17 mars au 27 mai 2017.
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