jeudi 20 septembre 2018

Noun y es-tu ?

Alternatives ludiques au numérique

Après la publication de mon dernier article, une double frustration s'est immédiatement mise à me tarauder : d'une part, je n'avais pas trouvé de réponse satisfaisante à ma question ("Jouer ou visiter, faut-il choisir?"), ni de recette équilibrée pour un bon usage du numérique dans les musées (si tant est qu'un tel usage existe - mais je ne veux pas totalement y renoncer) ; il me semblait pourtant un tantinet réactionnaire (la suite ne va cependant pas donner de moi l'image d'une prêtresse de la modernité, je le crains) de laisser entendre qu'avec des enfants, il valait mieux se contenter d'une simple contemplation des œuvres exposées, sans fioritures numériques ou ludiques, sans faire le moindre effort, au fond, pour s'adapter aux jeunes visiteurs. J'assume volontiers mon côté "vieux jeu" (après tout, quand on enseigne les Lettres classiques, on est déjà une pièce de musée aux yeux de bien des gens, n'est-ce pas ?), mais j'ai plus de peine à renoncer à l'attention portée aux enfants : il me semble évident qu'il faut s'adapter à eux pour que la visite soit un plaisir pour toute la famille. Cette frustration s'est combinée au sentiment d'avoir manifesté dans mes dernières publications un penchant de plus en plus développé pour la critique - une critique qui s'avérait trop peu constructive à mon goût. C'était bien joli de souligner les défauts de tel dispositif ludique ou numérique proposé par les musées parisiens, tourangeaux ou danois, mais cela semblait fort mal venu de la part de quelqu'un qui n'avait rien à proposer d'autre ! J'ai donc décidé de glisser une dose d'enthousiasme dans ce nouvel article, et de vous parler des "trucs qui marchent (parfois mais pas toujours)", ou plus modestement de nos diverses tentatives pour préparer-animer nos visites de musées avec nos filles.

Les ingrédients de mes recettes sont tout ce qu'il y a de plus rétro (je vous avais prévenus), mais ont l'immense avantage de ne pas prendre beaucoup de place : qui n'a pas toujours sur soi un crayon ou un stylo (la version "maman/papa de choc" prévoyant des mini crayons de couleur, comme on en trouve parfois scotchés aux magazines pour enfants) ? Ajoutez quelques feuilles de papier ou un carnet, et vous aurez de quoi occuper vos bambins dans bien des musées. Voilà une formule que nous avons testée en voyage - nous ne partons plus sans deux carnets à dessin - mais aussi, notamment, au centre Pompidou : nous laissons nos filles s'installer devant l'œuvre qui les inspire et, tandis que l'un de nous deux fait porte-trousse et fournit les crayons au fil de leurs inspirations, l'autre peut s'éloigner le temps de parcourir (tranquille !) quelques salles, quitte à y retourner ensuite tous ensemble ; cette alternance surveillance-visite ménage un peu de temps aux parents sans léser les enfants, ravis de se laisser inspirer par les toiles exposées. Il faut cependant reconnaître que cette formule comporte quelques risques (notamment pour les oreilles) : conseil d'amie, ne vous laissez pas prendre au piège du tout-petit qui vous demande de dessiner pour lui ce qu'il se sent incapable de reproduire lui-même ; si par malheur votre œuvre ne coïncide pas avec ses ambitions (souvent exprimées dans un langage qui lui est personnel), la séance de visite dessinée vire au drame, et vous risquez l'expulsion. Autre condition - indépendante de notre volonté : cette activité toute simple nécessite de l'espace pour que l'enfant puisse s'installer sans se faire piétiner par… euh, pardon, sans gêner les autres visiteurs. Certains musées, certaines expositions temporaires dans des salles trop étriquées ne se prêtent pas du tout à la station assise ; et les gardiens de salles ne voient pas toujours cette activité d'un très bon œil, soucieux qu'ils sont de préserver les pieds des visiteurs adultes (écraser un enfant, c'est tout de même inconfortable)… pardon, je recommence, de préserver la sécurité de tous les visiteurs - lors d'une exposition au musée de l'Orangerie, alors que nous avions installé nos filles dans un angle vide de tableaux, avec juste ce qu'il fallait de recul, mais complètement hors du passage des visiteurs, le gardien nous a gentiment demandé de les faire se lever (oui, oui, gentiment, c'est assez rare pour le signaler) ; comme nous protestions qu'elles ne gênaient personne, il nous a répondu qu'une évacuation d'urgence pourrait s'avérer dangereuse pour elles, en leur faisant risquer d'être piétinées (vous voyez, je n'exagère qu'à peine !).

S'il vous manque un ingrédient pour la recette "dessiner c'est gagné", si vous ne trouvez pas un banc libre pour installer face aux œuvres les mignons popotins (ou leurs carnets - à l'Orangerie, mon aînée a trouvé la posture idéale, à genoux entre les deux courbes du banc ovaloïde qui permet de contempler les Nymphéas), il vous faut donc opter pour la position debout qui est, comme chacun sait, celle du visiteur sérieux, absorbé par les informations historiques ou esthétiques et, bien sûr, par les œuvres, qu'il contemple avant de proférer son avis d'un air inspiré (remonter la main jusqu'au menton vous donnera plus de poids en cet instant), bref, celle d'un adulte venu s'instruire, et non griffonner sur un carnet. Une position qui s'avère également très confortable quand votre enfant a reçu (par miracle!) un petit livret de visite sur lequel il est invité à écrire des réponses voire (ça s'est vu !) à dessiner. Certains musées en proposent de très beaux ou de très bien faits, comme la Cité de la musique, le musée du Quai Branly (attention, il faut penser à le demander à l'accueil !), ou encore la Cité du patrimoine et de l'architecture (mais le livret est payant). Je déplore (vous remarquerez que mon penchant à la critique n'a pas tardé à repointer le bout de son nez) que ces livrets soient encore trop souvent absents (soit parce qu'ils n'existent pas, soit parce qu'ils sont épuisés…) ou invisibles : si on ne les propose pas spontanément aux visiteurs ou si on ne les installe pas en libre accès, bien en vue, c'est comme s'ils n'existaient pas ! Et je regrette aussi que leur usage soit le plus souvent réservé, dans l'esprit des personnels de musées, aux enfants en âge de lire et d'écrire : comme si les visites de musées n'étaient possibles que pour des enfants de 7 ans et plus, comme s'il ne s'agissait que de lieux scolaires, voués à l'apprentissage, et non à la découverte, à la curiosité, à l'émotion artistique, à la promenade. Les plus petits seraient ravis de visiter un musée avec en main un livret qui les guiderait, les inviterait à regarder quelques œuvres, et transformerait l'exposition en jeu de piste ! Mes filles ont régulièrement fait cet usage des dépliants fournis plus spontanément à l'entrée des musées ou expositions, dont ils signalent les incontournables : la visite devient alors un "cherche et trouve" géant, ma grande (6 ans et demi) manifestant toujours la même joie quand elle a trouvé une œuvre reproduite sur ce type de plaquette. Une recette reprise par le musée d'Orsay, qui propose plusieurs dépliants-posters (attention, il faut les demander, juste après avoir pénétré dans le musée, à l'accueil situé sur la gauche, où ils sont jalousement rangés dans une étagère et distribués avec parcimonie) : chacun offre une sélection d'œuvres regroupées autour d'un thème ; le support est peu pratique, les sujets un peu bébêtes ("princes et princesses", "héros", "sports de combat") et pas complètement adaptés au contenu du musée, mais l'idée est bonne (parcourir le musée à la recherche de quelques œuvres que l'on regardera de plus près), et d'autant plus bienvenue dans un si grand musée.

Crayons, carnets ou livrets, tout cela, allez-vous me dire, n'est pas bien original. Mais s'il reste de la place dans votre sac à dos à côté du goûter, j'ai plus ringard encore à vous proposer : glissez-y un livre ! Certains ouvrages peuvent à la fois permettre de préparer la visite avec vos enfants, et les accompagner ensuite à travers le musée. Ils ont cet avantage sur les dépliants et autres posters d'avoir été à votre disposition chez vous ou pendant votre trajet dans les transports en commun, mais aussi de fournir aux jeunes visiteurs des informations susceptibles d'attiser leur curiosité. Il existe évidemment pléthore de livres pour enfants consacrés aux plus grands musées français ; beaucoup sont cependant très riches, à la fois en images et en informations, et donc peu adaptés aux plus jeunes. On retrouve encore une fois dans ces documentaires l'approche scolaire qui est, en France, celle du contact que les enfants ont avec les musées (même si aujourd'hui Vigipirate empêche la plupart d'entre eux de s'y rendre avec leur classe, en tout cas en primaire). A les lire, on a l'impression que visiter un musée n'est intéressant que lorsqu'on étudie l'Histoire et que l'on commence à en maîtriser les principales périodes, ce qui intervient assez tard finalement. Je vous proposerai, à rebours de cette approche, des ouvrages qui invitent les enfants non pas à apprendre, mais à rêver et à voyager grâce aux œuvres exposées dans les musées. Il existe ainsi une collection très bien faite, écrite par l'excellente Marie Sellier, dont chaque volume est consacré à un musée en particulier, les titres déclinant la formule Mon petit Louvre / Orsay / Versailles etc. Je suis loin de les avoir tous explorés, mais la formule est plaisante autant qu'efficace : le livre commence comme un inventaire à la Prévert ("Au Louvre, il y a..."), rythmé par la répétition des "il y a" qui l'apparente à une poésie ; chaque double page présente une œuvre du musée, photographiée d'un côté, et décrite de l'autre - encore que décrire ne soit pas le terme approprié. Dans Mon petit Louvre, par exemple, ce sont souvent les œuvres ou les personnages qu'elles représentent qui parlent à la première personne ; le court texte qui accompagne chaque œuvre amène l'enfant à se poser des questions, à regarder de plus près un détail, à interroger ses propres sensations ou émotions. On est donc très loin d'une description informative ou technique : en lisant ces petits livres on se promène déjà dans le musée comme dans un monde imaginaire peuplé de personnages mystérieux ou fascinants. Leur lecture prépare très bien l'enfant à sa visite, en lui donnant envie de voir les œuvres "en vrai", et en ménageant le plaisir de la reconnaissance une fois sur place. Et nous avons également emporté certains de ces ouvrages lors de nos visites, au musée Guimet notamment, où notre aînée a pris goût pour ce jeu de "cherche et trouve" qu'elle reproduit aujourd'hui avec les dépliants des musées. La recette rencontre un peu moins de succès dans les grands musées, soit parce qu'on ne les parcourt jamais en entier (comme le Louvre, mais reconnaître les œuvres découvertes auparavant lors de la lecture reste un plaisir, même s'il est moins répété), soit parce que les œuvres exposées subissent une rotation qui rend le livre vite obsolète (c'est notamment le cas de Mon petit Centre Pompidou). Dans ce cas, emporter l'ouvrage dans son sac est moins indispensable, mais il reste une bonne porte d'entrée dans la visite que vous projetez de faire avec votre enfant.

Il est également possible de laisser une part plus grande à l'imaginaire dans cette préparation de visite par les livres. Nous avons rencontré un grand succès de ce côté avec le livre qui m'a inspiré le titre de cet article, Petit Noun. Il appartient à une autre merveilleuse collection de livres sur l'art destinés aux enfants, la collection "Pont des arts" aux éditions de L'Elan vert, qui compte aujourd'hui 60 ouvrages, la plupart consacrés à une œuvre qui inspire à la fois l'auteur et l'illustrateur pour la création d'une histoire et d'un univers originaux (l'œuvre inspiratrice est toujours reproduite à la fin de l'ouvrage, et l'enfant découvre avec étonnement qu'il a en fait voyagé à l'intérieur d'une œuvre d'art célèbre ou vers elle). Petit Noun est un hippopotame bleu qui vit sur les bords du Nil en des temps immémoriaux ; il a accompagné un ami humain dans la tombe, mais sort un jour de l'oubli pour un voyage initiatique qui l'amène à rejoindre les siens dans une vitrine d'un célèbre musée parisien. L'histoire et les illustrations, toutes douces et poétiques, ont immédiatement séduit notre aînée, alors qu'elle avait 2 ans et demi. Retrouver petit Noun dans sa vitrine est devenu alors une sorte de pèlerinage, nous rendions visite à un ami pour lui remonter le moral - "il est tout seul, il est triste". Cet attachement affectif, qui nous forçait parfois à traverser tout le musée juste pour voir petit Noun avant de partir, a duré assez longtemps, et participe peut-être de la tendresse toute particulière que nous avons tous pour les visites au Louvre : en même temps qu'un lieu de promenade agréable à parcourir (si l'on sait éviter les sections surpeuplées pour privilégier, par exemple, la section "sculpture française", toujours tranquille), le musée était un lieu de retrouvailles avec un personnage aimé, avec un imaginaire porté par un joli livre que nous avions plaisir à relire à la maison. Récemment mon mari l'a emporté avec lui alors qu'il visitait le Louvre avec notre aînée et certains de ses camarades (il s'agissait d'une visite en famille dans le cadre d'un projet d'école, pas d'une visite scolaire), et il a remporté un franc succès en le lisant face à la vitrine pour ma fille et l'une de ses copines (qui ne connaissait pas le livre). Les enfants apprécient toujours les visites contées que nous avons pu tester (à la Cité de la musique ou au Quai Branly, par exemple, mais nous en avons croisé de nombreuses, tout aussi attirantes, au musée Guimet par exemple, ou à la Fondation Vuitton) - alors pourquoi pas des visites-lectures ?


Collection "Mon petit…", ouvrages de Marie Sellier publiés par la Réunion des musées nationaux : 10 opus consacrés à des musées parisiens (et Versailles), conseillés à partir de 5 ans (mais on peut les lire avant !) - 10 euros ; auxquels s'ajoutent 3 opus consacrés à des peintres (Cézanne, Matisse, Degas), conseillés à partir de 8 ans ; prix entre 12 et 13,50 euros.

Collection Pont des Arts : ouvrages de divers auteurs (un tandem auteur-illustrateur), consacrés à une œuvre précise le plus souvent, le choix d'œuvres allant de la préhistoire à Pompon, en passant par Monet, Bosch ou Delacroix ; plusieurs volumes sont consacrés à des œuvres présentent au Louvre (outre Petit Noun, la Joconde, Le Radeau de la Méduse, La Liberté guidant le peuple), mais l'impressionnisme et l'art moderne ne sont pas négligés, chaque période historique se voyant consacrer au moins un ouvrage ; âges conseillés divers selon les volumes ; prix autour de 14-15 euros.

2 commentaires:

  1. Super article ! Nous sommes aussi fan de Petit Noun

    Sabine
    mamusee.fr

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    1. Merci ! J'irai piocher dans votre blog pour de prochaines idées ! Marion

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