jeudi 15 août 2019

En cas d'ennui

(Quelques idées musées pour le mois d'août à Paris)


Vous êtes à Paris (ou pas loin) au mois d'août, le temps n'est pas splendide et vous ne savez plus comment occuper vos (plus ou moins) petits qui commencent à trouver que ces vacances portent bien leur nom de "grandes" ? Vous venez de rentrer de voyage, le retour est d'autant plus rude qu'il reste encore deux bonnes semaines avant le 1er septembre ? Voici en vrac et un peu vite deux idées testées pour vous, et dont c'est le moment de profiter - que vous soyez touchés par l'ennui ou non - parce qu'elles ne vont plus durer longtemps.

Pour une combinaison visite et pause ludique, vous pouvez toujours compter sur l'incontournable Galerie des enfants du centre Pompidou ; mais, cerise sur le gâteau, l'installation qui l'occupe cet été (jusque début septembre, dépêchez-vous !) est articulée à la grande exposition "Préhistoire" qui vaut elle-même le détour : nous l'avons visitée à son ouverture, avec nos deux filles et une amie de notre aînée, un jour de grève de l'école, et ce fut un franc succès ; nous projetons d'ailleurs d'y retourner tant nous avons été enthousiasmés par la beauté des œuvres et par l'intelligente mise en regard de l'art contemporain avec des objets venus du fond des âges (magnifiques et fascinantes "Vénus", notamment) - un concept qui pouvait nous laisser sceptiques au premier abord (et la première salle est un raté qui aurait pu confirmer cet a priori), mais qui se révèle constamment pertinent, tant les œuvres ont été bien choisies. Les filles ont bien aimé la partie sur les dinosaures, avec ses figurines et ses vieux films, et nous avons tous joué avec plaisir à "Préhistoire ou 20e siècle ?" face à un magnifique parterre de sculptures et gravures - il était drôle de voir les filles tomber dans le piège face à un Modigliani, mais aussi de nous tromper nous-mêmes assez souvent ! En bref, une des meilleures expositions que j'ai visitées depuis longtemps.

Dans la Galerie des enfants, même mélange des époques, même concept : la Préhistoire au prisme de la modernité. Plusieurs activités développées par les premiers hommes sont ainsi proposées sous une forme revisitée : les empreintes de main sortent d'une imprimante couleur, les colliers de pâtes remplacent les colliers d'os, les enfants peuvent monter des tipis bariolés avec de grands pans de feutrine, s'essayer à imiter une danseuse filmée dans divers lieux modernes et décalés pour illustrer les principaux mouvements du corps humain, faire de la musique en frappant des tuyaux en métal. Même si l'imprimante est parfois à court d'encre et le fil fourni trop épais pour pouvoir y enfiler certaines pâtes (à chaque visite, c'est nous qui avons réalisé les colliers !), nos filles ont adoré cette installation (nous comptabilisons trois visites à ce jour), bien plus réussie que certaines des précédentes !

Nouveauté de cet été (et, malheureusement, de cet été seulement - attention, jusqu'au 26 août !), le musée de l'Orangerie a installé dans une partie de l'espace habituellement dévolu aux expositions temporaires un "repaire" pour les enfants (officiellement à partir de 6 ans, mais notre cadette de 4 ans y a trouvé de quoi s'occuper, de même que de nombreux adultes !) : ils peuvent y participer à une fresque murale collective en dessinant à la craie dans un décor inspiré d'un grand peintre, inventer les paroles des personnages de quelques tableaux en remplissant des bulles au feutre Velléda, compléter des dessins inspirés de plusieurs toiles du musée (dessins à demander à l'entrée de la pièce à l'animatrice qui n'anime rien du tout) ; des crayons de couleur sont disposés sur quelques tables, où les enfants sont aussi invités à inventer des histoires (mais aucun support ne vient nourrir leur inspiration) ; dans un coin, une petite sélection de livres (vraiment modeste) et deux ou trois coussins invitent à la lecture. L'existence de cet espace est complétée par deux initiatives : des projections de courts-métrages animés (sur les thèmes de l'art, de la musique, de la nature) ont lieu toutes les heures entre 10h et 17h dans l'auditorium voisin ; et vous pouvez réclamer à l'accueil (s'il est ouvert : je suis arrivée juste avant que l'hôtesse ne s'absente, ouf !) un coloriage et un livret - ou plutôt un dépliant, comme au musée d'Orsay, quoiqu'un peu moins encombrant - qui invite les enfants à chercher cinq toiles dans la collection Guillaume et leur propose d'imaginer une histoire autour du tableau avant de leur donner quelques explications sur les liens entre le collectionneur Guillaume et les peintres sélectionnés. Toutes ces initiatives sont louables et méritent d'être saluées : mes filles, comme d'autres enfants, étaient ravies de trouver un coin pour elles dans ce musée que nous avions déjà visité plusieurs fois avec elles.

Mais je dois dire que j'ai été un peu déçue et que seuls les courts-métrages m'ont semblé avoir de l'intérêt, même si certains étaient un peu tristounes. Les "histoires" proposées par le dépliant, très courtes, stimulaient moins l'imagination que l'observation, et s'apparentaient davantage à un commentaire d'image sans fantaisie ; elles étaient expédiées en quelques lignes pour ensuite laisser place aux informations. Un équilibre à mettre en rapport avec l'âge des enfants visés par le dispositif : 6-12 ans, âge scolaire, âge où l'on apprend (enfin). J'ai très souvent déploré que les livrets-jeux pour enfants ne soient proposés qu'à partir de 6 ou 7 ans, c'est-à-dire pour des enfants qui savent lire (comme si un parent ne pouvait leur lire consignes et questions) et qui vont à la "grande école", celle où l'on apprend des leçons d'Histoire ; comme si la découverte de l'art ne pouvait se faire que par le prisme d'une frise temporelle et sous une forme informative, même si le support a des apparences ludiques ; comme s'il n'était pas possible de créer un lien entre la créativité stimulée en maternelle dans des activités d'art plastique, et l'art que l'on découvre dans les musées. Comme si les musées devaient être aux yeux des enfants une institution comparable à l'école (dans une vision de l'école un peu "rétro", d'ailleurs), et non un lieu de liberté et d'imagination. Le modèle de l'école était d'ailleurs flagrant dans le "repaire de Lily" : coin lecture comme dans la plupart des classes, craies et feutres Vellédas côté matériel, et des consignes strictes sur chaque table (ne pas laisser ses dessins sur la table en partant, et bien replacer les crayons, qui sont même classés par taille !). Rien à voir avec le désordre créatif qui règne dans les divers "labs" et autres espaces de création que nous avons visités au Danemark ou en Norvège (grandes tables, éviers et tabliers tâchés de peinture, créations disposées partout, façon caverne des Mille et une nuits) - même le "lab" désert de la fondation Henie-Onstad à Oslo (article à venir), qui ne s'anime que le dimanche, portait la trace des créations précédentes (tâches de peinture, crayons en vrac et constructions en Kapla) et semblait être resté dans l'état où l'avait laissé une joyeuse bande de petits artistes. A l'Orangerie, pas question de désordre, encore moins de tâches de peinture : l'animatrice, qui se contentait de surveiller et de ranger, avait gardé les feutres pour elle ! A 17h30 (30 minutes avant la fermeture), elle avait déjà effacé la fresque et les dialogues, et il n'était pas question d'esquisser un nouveau dessin à la craie. Pour qu'un tel espace soit réussi, il faut qu'il soit véritablement animé par une personne qui stimule la créativité des enfants, et ne se contente pas d'être un distributeur de coloriages ! Il faut accepter le désordre, voire le bruit, bref la vie ! Il faut proposer aux enfants autre chose que ce qu'ils peuvent faire chez eux, ou au moins réinventer ces activités traditionnelles ou les articuler à ce qu'ils ont vu dans le musée (je crains que la fresque murale, par exemple, n'ait pas évoqué la moindre œuvre d'art aux enfants présents). Bref il faut encadrer un tel espace non pour le maintenir propre et rangé, mais pour dynamiser les activités proposées, alimenter la créativité des enfants, leur faire voir autre chose (sculpter l'argile au Louisiana, c'était quand même autre chose que de dessiner une robe à un personnage de Matisse !). Bref, l'initiative est assez rare en France (ou du moins dans les grands musées parisiens, paresseux en ce qui concerne l'accueil des enfants) pour qu'on l'applaudisse mais j'aurais aimé que ses instigateurs fasse preuve d'un peu plus d'imagination et de fantaisie, et s'adressent davantage à la créativité des enfants, quel que soit leur âge.

La France a encore beaucoup de progrès à faire pour l'éducation à l'art des enfants (il ne faudrait pas d'ailleurs parler d'éducation, mais plutôt de découverte, pour se libérer du modèle scolaire encore trop présent), même si les visites contées et autres ateliers fleurissent de plus en plus, parfois pour de très jeunes enfants (à la Fondation Louis-Vuitton, par exemple). A signaler, des efforts du côté du musée d'Orsay aussi, du moins sur le papier (et en ligne), avec un comptoir jeunesse mis en place dans le musée (pas encore testé pour vous), et surtout un tarif réduit "Enfant et compagnie" (11 euros au lieu de 14 pour deux adultes accompagnant un enfant de moins de 18 ans, c'est une petite réduction, mais c'est un début !) comme il devrait en exister dans tous les musées pour motiver les parents (et que le musée soit moins cher que le cinéma pour les familles !). A découvrir aussi (pour les jours de pluie ou de paresse) : les "promenades imaginaires" du Musée d'Orsay, podcasts proposant des histoires inspirées de tableaux, ou plutôt des monologues intérieurs de personnages du tableau ou de son décor (le chat d'un tableau de Renoir, la grande sœur d'un bébé peint par Berthe Morizot) ; notre aînée a bien aimé les écouter en regardant le tableau correspondant sur la tablette de son père, mais le caractère décousu du monologue intérieur, combiné aux informations généalogiques et mondaines sur les personnages du tableau et sur l'artiste, ont empêché notre cadette (4 ans) de rester attentive pendant les dix minutes d'écoute. Là encore j'ai été frappée par le manque de fantaisie des deux récits que mes filles ont écoutés : trop de realia, qu'il s'agisse d'identifier les personnages du tableau (fille de, nièce de…) ou de décrire leur ressenti (fillette chamboulée par la naissance d'une petite sœur ou inquiète car son papa est malade). Mais la douceur des voix des lecteurs s'accorde bien avec celle des toiles, et ces lectures ont offert un temps de rêverie calme à notre aînée.

Mais il y a encore du travail en direction de la toute petite enfance : des supports de visite devraient être créés pour les tout-petits et les classes de maternelle devraient toutes aller se promener dans un musée - se promener, et non visiter, pour que le musée soit pensé comme un espace ouvert et libre, davantage comme un parc que comme une école. Ainsi on pourrait articuler découverte de l'art et développement de la créativité. Et aller au musée avec des enfants, avec ou sans activité ludique, ne semblerait plus incongru. Car vous pouvez aussi faire le pari d'une visite de musée traditionnelle, sans support ni activité ludique ! Nous avons testé in extremis l'exposition sur les Hittites ("Royaumes oubliés. De l'empire hittite aux Araméens") du musée du Louvre (malheureusement terminée depuis le 12 août), et nos filles ont vraiment apprécié, tant les objets étaient beaux : elles n'ont certes rien "appris", mais elles en ont pris plein les yeux, et c'est bien l'essentiel !


Centre Pompidou : "Préhistoire. Une énigme moderne", jusqu'au 16 septembre 2019 ; "La fin du paléolithique" (Galerie des enfants), jusqu'au 2 septembre 2019, gratuit pour les enfants accompagnés d'un adulte muni d'un billet d'entrée dans le musée.

Musée de l'Orangerie - le repaire de Lily, du 3 juillet au 26 août 2019 : gratuit (avec un billet du musée : 9 euros pour les adultes, gratuit pour les moins de 18 ans), sans réservation, aux horaires du musée (tous les jours sauf mardi, 9h-18h), niveau -2 ; activités en français et en anglais.
Attention : fermeture des salles de la collection Walter-Guillaume du 4 septembre 2019 au 31 mars 2020 (tarif réduit en conséquence).

Les petits M'O du Musée d'Orsay : 9 promenades imaginaires à écouter en observant le tableau (sur son ordinateur ou dans le musée).

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