(Fondation Vuitton, exposition "Au diapason du monde" ; Palais de Tokyo, "Enfance - Encore un jour banane pour le poisson rêve")
Attention, ces expositions se terminent très prochainement !
"Trois semaine en août à Paris ! Mais qu'est-ce que vous allez faire ?" s'était inquiété mon dentiste, après s'être enquis du planning de mes vacances. "Nous reposer et nous promener un peu", avais-je répondu (ou à peu près). A l'issue de ces jours qui semblaient devoir être interminables à mon cher dentiste, le programme prévu a été rempli : repos après la canicule danoise (et ses multiples musées), fraîcheur aquatique pendant la canicule francilienne, et surtout quelques virées musée à Paris pour se désennuyer des deux autres ingrédients. Car c'est bien dans des musées que nous nous sommes promenés : au Louvre, où il faisait trop froid, à Beaubourg, où il y a toujours à faire - nous sommes fidèles à nos valeurs sûres. Mais nos meilleures promenades ont eu lieu dans deux musées dédiés à l'art moderne et contemporain - car c'est encore dans ce type de musées que l'on déambule le mieux.
Et quoi de mieux, avec des enfants, que de transformer la visite d'une exposition en promenade ? C'est ainsi par exemple que nous avons abordé nos premiers pas au Louvre avec nos filles : un rythme tranquille, la liberté de s'arrêter devant ce qui plaît, d'ignorer ce qui n'attire pas l'œil. Mais la foule des visiteurs et l'étroitesse des salles d'exposition ne rendent pas toujours possible ce mode de visite. Il faudrait repenser l'espace de certains musées pour les rendre plus accueillants aux familles. J'ignore si c'est cet objectif qui a présidé à la construction et à l'organisation des musées les plus récents, mais je suis toujours frappée par la conception particulière de l'espace qu'illustrent les musées d'art contemporain - comme le Mac Val par exemple. Cet été, nous l'avons vérifié dans deux musées que nos filles visitaient pour la première fois : la Fondation Vuitton et le Palais de Tokyo. Et les deux expositions, qui ne nous attiraient pas forcément au départ, se sont révélées de vrais coups de cœur pour toute la famille.
La Fondation Vuitton a séduit nos filles dès le premier regard, dès l'extérieur : la grande avait déjà réclamé d'y aller en voyant une photo du musée habillé par Buren (c'était il y a deux ans, la Fondation a retrouvé sa transparence depuis) ; la petite a salué notre arrivée en face du bâtiment par un "il est zoli le musée". Une architecture futuriste et lumineuse qui attire l'œil et le visiteur. Le Palais de Tokyo, d'ordinaire plus discret dans le paysage parisien, a joué lui aussi la carte de la séduction de façade, avec la maison de poupée géante qui habille son entrée : le visiteur traverse le rez-de-chaussée pour accéder au musée, et peut même feuilleter les livres de la bibliothèque rose et verte qui y est installée. D'emblée, là aussi, nos filles étaient séduites.

Les œuvres exposées elles aussi s'offrent à la libre interprétation des visiteurs, dans un ensemble qui n'a pas grand-chose à voir avec les expositions des institutions habituelles, que ce soit Beaubourg ou Orsay, où le parcours balisé d'une salle à l'autre correspond à un exposé thématique, chronologique ou logique, une démonstration que l'on est prié de suivre (mais où l'on se perd parfois). Cette liberté va même jusqu'au flou artistique : je serais bien en peine de vous dire précisément quel était le fil conducteur de l'exposition intitulée "Au diapason du monde" - le titre lui-même annonçait les fumées de la métaphore - qui est en fait une sélection d'œuvres du fonds de la Fondation ; quant à "Encore un jour banane pour le poisson rêve" (sous-titre de la saison Enfance ? j'avoue n'avoir pas très bien compris la différence), l'exploration de la notion d'enfance est si vaste que l'on peut projeter ce que l'on veut sur certaines œuvres - comme cette pièce dont les parois de bois se déforment et se resserrent, simulant un isolement et un enfermement anxiogène grâce à un mécanisme que l'on découvre en sortant. D'autres œuvres parlent plus clairement d'enfance, mais les manières sont si diverses que chacun peut y trouver une voix qui le touche : ici des sculptures de métal en forme d'aire de jeux, là des clowns étincelants installés, assis ou couchés, dans une vaste salle ; ailleurs des vitraux explorant les créatures monstrueuses ou fantastiques de l'imaginaire qui berce ou effraie l'enfance, ou encore d'étonnantes fleurs et cactus de papier plissé - plusieurs artisans d'art (plisseur, sculpteurs, ébéniste, etc.) sont ainsi mis en vedette dans l'exposition.
L'imaginaire de l'enfance est aussi exploré par plusieurs projections vidéos : un magnifique montage de Rachel Rose (Lake-valley) mêlant animation et collage, réalisme et onirisme, suit les tribulations d'un animal de compagnie hybride (mi-lapin mi-chat mi-renard), passant sans transition de la solitude d'une banlieue américaine à celle des rêveries de l'enfant ; nos filles ont également été fascinées par Disco Beast de Jonathan Monaghan, qui montre en boucle le voyage initiatique d'une licorne psychédélique, de sa renaissance dans les toilettes disco d'un Starbucks masqué dans un immeuble montgolfière, à son meurtre par un chargeur Samsung au milieu d'un centre commercial impersonnel et glacial comme on en voit dans les jeux vidéos.
Quelques vidéos ponctuent également l'exposition de la Fondation Vuitton. Sur le palier de l'étage consacré à Takashi Murakami, une télé projette des épisodes d'un dessin animé dont les personnages se retrouvent dans les salles avoisinantes, sous forme de sculptures géantes entourées d'un papier peint à fleurs du plus pur kitsch. Les petits films explorent sur le mode parodique-caca-prout l'esthétique du Kawaii (qu'on peut traduire par "mignon") que l'artiste japonais revisite dans ses œuvres. Mais le plus impressionnant est sans doute la série de fresques où Murakami réinvestit la mythologie japonaise pour évoquer le traumatisme du tsunami. Aux autres étages le dialogue entre les œuvres ne repose pas sur un artiste unique ou sur une communauté thématique (du moins qui soit évidente). C'est l'œil du visiteur qui produit la rencontre entre Giacometti et Klein, entre Matisse et une sculpture de Kiki Smith. Dans une autre salle c'est l'aquarium préhistorique de Pierre Huyghe (Cambrian explosion) qui sert de point de rencontre des regards et des œuvres qui s'y reflètent. Si "Au diapason du monde" ressemble un peu plus à une exposition traditionnelle que "Encore un jour banane pour le poisson rêve", qui relève plutôt de la mise en espace, ou de la mise en scène d'un espace protéiforme, on retrouve à la Fondation Vuitton le même type d'affinités subjectives entre les œuvres, ces échos secrets, ces résonances à construire soi-même. Et petits comme grands peuvent se prendre au jeu.

Palais de Tokyo - Saison Enfance : ouvert tous les jours sauf le mardi, de midi à minuit ; entrée 12 € (tarif reduit 9 €), gratuit pour les moins de 18 ans ; exposition jusqu'au 9 septembre.
Fondation Louis Vuitton : ouvert tous les jours sauf le mardi, de 12h à 19h en semaine (21h le vendredi), de 11h à 20h le week-end ; entrée 14 € (tarif réduit 10 €), 5 € pour les moins de 18 ans, gratuit pour les moins de 3 ans ; tarif famille 32 € (jusqu'à 2 adultes et 4 enfants) ; exposition jusqu'au 27 août
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