mercredi 9 mars 2016

En avant la couleur!

(exposition Gérard Fromanger)

 

Souffle de mai 1968-2005
Ludique et colorée. Non, il ne s’agit pas là d’une animation-attraction pour enfants, comme la très fréquentée (et très commerciale) boîte à Chagall de la Cité de la musique (1). Ces deux adjectifs qualifient à mes yeux la très sérieuse exposition que le centre Pompidou consacre en ce moment à Gérard Fromanger.

Pourtant, cet artiste engagé, proche de l’esthétique de la figuration narrative, a fait saigner le drapeau tricolore, et peint le portrait des penseurs qui l’influençaient, comme Foucault ou Deleuze, qui furent aussi ses commentateurs. S’inspirant de la photographie, il travaille à partir d’images projetées dans son atelier plongé dans le noir. Une réflexion formelle qui n’est jamais séparée d’un regard politique sur la société moderne. Bref, je vous l’ai dit, quelqu’un de tout à fait sérieux.

Cela n’empêche que nous avons passé presque deux heures dans les six ou sept salles qui retracent, en une cinquantaine d’œuvres de formats et de natures diverses, les différents moments de sa création de 1957 à 2015. Et cela sans traîner le moins du monde notre fille de quatre ans, qui est d’elle-même restée longuement devant certaines toiles. Sans non plus, rassurez-vous, devoir lui expliquer mai 68 ou la guerre Froide. Et sans petit livret ludique, sans support dédié aux enfants, sans compétences ni connaissances précises en histoire de l’art.

Car bon nombre des œuvres exposées sont facilement accessibles et se prêtent à une lecture non savante, voire ludique. Devant Hommage à Topino-Lebrun 1- La Mort de Caïus Gracchus, on peut jouer à comparer l’œuvre avec le tableau qui lui a servi de source, La Mort de Caius Gracchus de François Topino-Lebrun, mais aussi à relier chaque silhouette à la légende de hachures qui la recouvre. Un jeu de reconnaissance auquel notre aînée (trop jeune encore pour s’amuser du clin d’œil fait aux cartes des leçons de géographie) s’est livrée avec encore plus de joie face aux légendes aux couleurs vives de Quel est le fond de votre pensée ?. Autre analogie amusante, celle de Bastille réseaux avec le plan du métro. Les réseaux de fils sont un autre « trait » de la peinture de Gérard Fromanger, qui l’utilise pour sa série de portraits, eux aussi hauts en couleurs.


Car la couleur est (presque) partout dans cette exposition, dont le ton est donné dès la première oeuvre, Souffle de mai 1968, une demi-sphère de plexiglas rouge translucide, à travers laquelle on peut jouer à se faire des grimaces. Couleur des silhouettes sur des fonds blancs ou noirs, parmi lesquelles on peut jouer à repérer un enfant à vélo ou une poussette, à moins que l’on ne veuille en profiter pour expliquer la symétrie. Couleur de la peinture qui coule sur les toiles (notamment pour la série Le Rouge) – une vidéo montre le procédé en acte, pour la réalisation d’un drapeau tricolore envahi par une coulée de rouge. Couleurs explosives qui envahissent le planisphère dans À mon seul désir, où l’on peut repérer la dame à la licorne, la colombe de la paix, et le profil du peintre. Un artiste qui se représente au milieu de la tourmente de l’Histoire dans Vision du monde – notre fille n’a que quatre ans, mais elle a longuement contemplé cette toile imposante, pour y identifier une pyramide, une cigogne, une cathédrale, images de culture et de sérénité mêlées voire superposées à celles de la guerre (version bataille navale ou version explosion de couleurs). Et même si son observation nous a menées à des considérations aussi profondes que « la guerre, c’est mal », j’ai apprécié ce moment de « cherche et trouve » pictural. Il est agréable de pouvoir parler d’un tableau avec un enfant si petit, et c’est gratifiant pour lui d’en découvrir les éléments, d’en comprendre le message, ne serait-ce que partiellement ou naïvement.

À mon seul désir
L’œuvre de Fromanger se prête bien à cette initiation. Selon l’âge de votre enfant, l’exposition permet une promenade dans un monde de couleurs, une observation ludique de certaines toiles, mais aussi une réflexion sur la matière (peinture qui coule, mais aussi sculpture qui imite la peinture qui coule) et sur la technique (une vidéo est projetée qui montre le peintre au travail), ou, pour les plus grands, sur les liens entre l’art et l’Histoire. Pour nous, ce fut un agréable moment en famille, même la petite applaudissait au milieu de ces couleurs vives – ou en voyant, en arrivant au 4e étage, la belle lumière d’hiver qui inondait alors les toits de Paris.


Du 17 février au 16 mai 2016.
Tous les jours sauf le mardi, de 11h à 22h.
Centre Pompidou, Galerie d’art graphique et Galerie du Musée – à l’intérieur de l’exposition permanente (4e étage, accessible par le 5e étage).
Tarif : 14 euros (réduit : 11 euros). Gratuit pour les moins de 18 ans.
Deux ateliers sont proposés aux enfants en lien avec l’exposition : « Le Charivari Fromanger » (2-5 ans) et « Le scénario Fromanger ! » (6-10 ans) – 10 euros (un enfant + un adulte).

Pas d'espace goûter à l'intérieur des collections, mais un café au sommet du bâtiment avec vue splendide sur Paris, et un autre sur les galeries qui surplombent le hall. Sortie temporaire autorisée.

(1) Adossée à une merveilleuse exposition, « Chagall : le triomphe de la musique », terminée le 31 janvier, la « boîte » a continué jusqu’au 6 mars, preuve que son objectif premier était tout sauf pédagogique. Je ne vais pas écrire un billet sur ce sujet, puisqu’il est trop tard pour s’y rendre, mais ce mini parc d’attraction, peu encadré, était plus propre à exciter les enfants qu’à les instruire. Rien à voir par exemple avec ce que propose le Musée Jacquemart-André.


Petit épilogue - le 14 mai 2016

A deux jours de la fin de l'exposition, étant "de passage" au Centre Pompidou, je n'ai pas pu résister au plaisir de faire un petit tour dans l'exposition Fromanger (encore très fréquentée). Notre grande s'est plantée devant Vision du monde et m'a demandé : "c'est quoi, déjà, l'histoire, maman ?" ; après m'avoir dit qu'elle ne voyait que de la tempête, elle a commencé à identifier des motifs, et a fini par me demander pourquoi le peintre avait l'air triste. En quelques instants, elle avait "senti" la toile, avec ses mots d'enfant, c'était beau !

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire