lundi 2 mai 2016

En passant par la Lorraine... et par ses musées


(Metz – Centre Pompidou-Metz et Musée de la Cour d’Or ; Nancy – Musée des Beaux-Arts)

Aussi étonnant que cela semble paraître aux yeux de tous ceux à qui nous en avons parlé, il y a matière à faire du tourisme dans la jolie ville de Metz et dans sa rivale et voisine, Nancy. Nous cherchions une destination reliée en train et pas trop éloignée de Paris, pour une courte escapade à quatre pendant notre semaine commune de vacances de printemps. Metz fut notre point de chute, depuis lequel nous avons passé une journée à Nancy. Si la provision de soleil et de chaleur fut plutôt maigre, nous avons été ravis par le charme de ces deux villes (avec un avantage certain pour Metz, moins froide et moins monumentale) et par leur richesse patrimoniale : magnifique cathédrale de Metz, dans sa surprenante pierre ocre, qui gagne à être vue de jour (un coup de cœur pour ses splendides vitraux) comme de nuit ; impressionnante place Stanislas à Nancy ; églises, maisons Art Déco, et bien sûr, de beaux musées.

Comme vous le savez peut-être, le Centre Pompidou a installé voilà quelques années une antenne à Metz, qui fut l’un des objectifs de notre séjour ; mais cette ville possède un second musée d’envergure, et Nancy n’en propose pas moins de trois, parmi lesquels nous fûmes obligés de faire un choix. Bref, beaucoup à visiter, et de quoi nourrir ce blog ! Je vous propose un récit chronologique de nos trois visites, qui nous mènera de la plus réussie à la plus fertile en réflexions. Trois musées en trois jours, et trois musées bien différents dans leurs objets et dans leurs styles, c’est une bonne occasion de réfléchir à ce qui (me) rend un musée agréable.

L’espace est en ce qui me concerne un élément déterminant dans le plaisir (ou le déplaisir) que je prends à une visite. Et c’est une des grandes qualités du Centre Pompidou-Metz : dans ce bâtiment moderne à l’architecture aérienne, une poussette (ou un fauteuil) peut circuler sans problème, grâce aux ascenseurs qui relient les différents niveaux – un confort de visite toujours appréciable ; de plus, comme dans la maison-mère, les salles de ce musée ne sont pas avares en espace, un espace où l’on avance selon un parcours circulaire, qui permet ainsi des retours, des demi-tours, des allers-retours, bref une certaine liberté malgré un circuit prédéfini. C’est ainsi notamment qu’est organisée l’exposition « Magicircus », qui réunit des œuvres de la collection permanente du centre Pompidou ; loin d’être juxtaposées comme autant de chefs d’œuvre venus de Paris (et dont ce serait la seule raison d’être là), celles-ci sont présentées dans un ensemble qui constitue une création en soi, autour d’un thème (musique et peinture) cohérent mais assez large pour permettre de mêler les styles, les époques et les médias : des toiles de Chagall, Kandinsky ou Delaunay (mari et femme), côtoient un mobile de Calder, les Rotoreliefs de Marcel Duchamp, mais aussi des vidéos de ballets, un piano optophonique (chaque touche fait tourner un disque de verre peint qui projette ses couleurs sur le mur), ou des installations qui mêlent musique et lumière. Nous avons été fascinés par le voyage de cercles de lumière projetés, qui glissaient sur les murs d’une petite salle, autour de Rythme de Sonia Delaunay. Et notre aînée est restée longtemps à contempler les jeux de reflets créés par la sculpture métallique programmée de Nicolas Schöffer, Chronos, que l’on peut observer de face ou par le dessus.



Après cette promenade dans la « grande nef » aménagée dans une habile alternance de petits et de grands espaces, qui jouent habilement de l’ombre et de la lumière, il nous restait encore à découvrir deux expositions (une quatrième était en cours d’installation – on ne chôme pas au centre Pompidou-Metz), ou plutôt une exposition et une œuvre : au premier étage, l’exposition « Sublime. Les tremblements du monde » réunit des œuvres du xviiie au xxie siècle (plus quelques dessins de Vinci) autour de la question du rapport à la nature, à ses dangers (volcans, tornades…) autant qu’au danger que l’homme représente pour elle. Moins facile d’accès pour un enfant que la première (beaucoup de petites œuvres), moins ludique aussi, cette exposition présentait cependant quelques belles créations, susceptibles d’interpeler petits et grands.


On peut dire que nos filles se sont senties à l’aise dans les espaces d’exposition, et que leurs parents ont été ravis par l’accueil qui leur a été fait : personne n’a protesté quand la petite a commencé à crapahuter à deux ou à quatre pattes, et la grande a été encouragée à créer face aux œuvres, d’abord dans un petit carnet vierge gracieusement offert (mais demandé) à l’entrée, puis avec des gommettes que lui a « prêtées » une charmante « gardienne » du musée. Cette dernière semblait avoir cœur d’accueillir les visiteurs, et notamment les familles : sans que nous l’ayons demandé, elle nous a spontanément informés sur une œuvre, puis indiqué ce qui pourrait plaire à notre aînée. Un tel accueil est assez rare pour que nous le saluions ! Comme il serait agréable que les « gardiens de musée » ne soient pas ces gardes-chiourme qui aboient sur les enfants avant même qu’ils aient touché une œuvre, ou les surveillent avec suspicion, mais des guides potentiels, formés pour répondre aux questions des visiteurs curieux ! Comme il serait plaisant aussi que la présence d’un enfant dans un musée leur soit à tous aussi naturelle qu’elle l’était au Centre Pompidou de Metz ! Nos filles s’y sont carrément senties chez elles ! Il faut dire que le dernier niveau à visiter était idéal pour laisser libre cours à l’énergie des enfants : l’étage entier est occupé par une œuvre unique, suspendue au plafond, de Tadashi Kawamata (dont une seconde création est exposée dans le hall d’accueil du musée). Sous cette vague de bois, faite de pans de meubles et autres matériaux de récupération, nous avons pu laisser libre cours à l’envie de bouger de la petite comme de la grande – il faut dire que nous entrons dans une période difficile, où la petite, ne supportant plus de rester indéfiniment dans sa poussette, mais ne marchant pas encore toute seule, se retrouve souvent à quatre pattes dans les musées, entraînant parfois sa sœur avec elle ; Under the Water était le cadre idéal pour des moments de liberté et de complicité, après la visite plus cadrée des deux expositions !

L’organisation des espaces de visite du Musée des Beaux-Arts de Nancy, mais aussi l’accueil qui nous y a été réservé ne nous ont pas moins enchantés. Dès la billetterie, l’on s’est empressé de nous encourager à emprunter les ascenseurs (qui relient efficacement tous les niveaux et demi-niveaux du musée), et de nous signaler les salles les plus susceptibles de plaire aux enfants. Outre le dépliant du musée, nous avons obtenu sans difficulté le livret de visite de l’exposition temporaire (consacrée au méconnu mais passionnant Etienne Cournault) proposé aux enfants – livret d’ailleurs offert en libre accès à l’entrée de l’exposition, en même temps que le dépliant adulte (ce qui est assez rare pour être signalé). Nous avons suivi le parcours habituellement conseillé (de haut en bas), un parcours chronologique qui permet de terminer sur les plus belles salles du musée. Prévenus cependant que le plus beau et le plus susceptible de plaire aux enfants se trouvait en fin de visite, c’est-à-dire au rez-de-chaussée, nous avons parcouru assez rapidement les étages du haut, consacrés à la peinture des xive au xviiie siècle – de belles toiles cependant parsèment ces salles, et il y en a pour tous les goûts. Les salles sont claires, spacieuses, un magnifique escalier témoigne de l’inspiration Art Déco des architectes du lieu, et si les toiles ne sont pas toutes des chefs d’œuvre, je n’ai pas eu l’impression (comme dans mon souvenir – ou mes préjugés – concernant les musées des Beaux-Arts de province) de parcourir une collection d’illustres inconnus, qui justifient leur présence par le seul fait qu’ils sont nés dans la région. Ici, une très belle Vierge à l’enfant du Pérugin précède Rubens, Caravage, Fragonard, Greuze ou Delacroix…

Sans parler de la très belle collection d’art moderne et contemporain (peinture et sculpture), qui occupe le rez-de-chaussée, dans un ensemble qui vaut à lui seul la visite. Là peinture et sculpture dialoguent intelligemment, dans un grand espace peu cloisonné que l’on peut découvrir au gré de son inspiration et de ses envies. Des installations et des œuvres contemporaines complètent cette très belle collection : notre grande a eu l’impression que c’était elle qui faisait danser les mots sur un écran sur lequel ils s’avançaient, et elle a aimé s’enfermer dans Infinitiy mirrored room. Fireflies on the water de Yayoï Kusama. Elle était contente aussi de trouver, au détour d’un changement d’étage, le point où les couleurs de Felice Varini devenaient des formes. Enfin, elle s’est comme nous laissé séduire par les œuvres d’Etienne Cournault (quand j’ai acheté l’album de l’exposition, elle a demandé « c’est pour moi ? »), que nous avons été ravis de découvrir. Proche du surréalisme sans y être véritablement affilié, ce peintre a expérimenté divers matériaux et techniques : peinture sous verre, parfois associée à un miroir ; peinture sur du mica ; graffitis ; fresque ; peinture à l’huile, avec du sable ; mais aussi des paillettes métalliques, perles, boules de Noël, etc. – tout lui semblait bon pour créer, dans une œuvre surprenante, changeante, mais toujours résolument moderne. Un vrai coup de cœur !

Nous sommes donc sortis enchantés de ce Musée des Beaux-Arts de Nancy, certes vaste (un sous-sol présente en outre, dans un espace fascinant qui intègre les vestiges des fortifications de la ville, une impressionnante collection de verreries réunissant des créations de la cristallerie Daum de 1878 à nos jours – une très belle exposition, mais à laquelle nous n’avons consacré qu’un regard rapide, car elle intervient à la toute fin d’une très riche et longue visite), mais accueillant pour tous les visiteurs et agréable à parcourir grâce à de beaux volumes. Un musée qui présente certes une grande variété d’œuvres et d’époque, mais ne semble pas pour autant verser dans l’éclectisme : chacun peut s’attarder dans les salles qui l’intéressent le plus, sans que la traversée des autres semble fastidieuse, et l’importance du fonds d’art moderne et contemporain donne malgré tout au musée sa « couleur » propre, une orientation résolument tournée vers aujourd’hui et vers demain.

Ampleur et diversité sans incohérence, le Musée des Beaux-Arts de Nancy montre qu’un grand musée peut ne pas perdre (au sens propre comme au figuré) ses visiteurs. Un exercice auquel le Musée de la Cour d’or, à Metz, échoue lamentablement. Il faut dire qu’il a un projet ambitieux : partir de l’Antiquité gallo-romaine pour arriver à l’art contemporain, dans un parcours de pas moins de 5000 m² ! Pourquoi pas ? Après Nancy, j’étais prête à croire qu’un tel pari était possible. Las ! C’était sans compter le parcours labyrinthique du musée et les centaines de marches que nous avons dû descendre ou monter pour passer d’une salle à l’autre, presque systématiquement, et ce sans jamais qu’on nous permette d’emprunter un ascenseur (pourtant parfois visiblement existant). Quand nous sommes arrivés dans la fameuse cour intérieure du musée, et qui est habitée de très belles sculptures, nous étions déjà épuisés par ce trek muséographique…

Pourtant, il y avait de quoi se régaler les yeux, notamment dans la collection antique du musée : la visite commence par la découverte des vestiges des thermes gallo-romains, agrémentés de bas-reliefs et mosaïques ; suivent des stèles funéraires ornées de bas-reliefs, des sculptures, sans oublier la fameuse colonne de Merten, colonne monumentale ornée en son sommet d’un groupe sculpté impressionnant, et présentée ici en trois morceaux. La collection médiévale n’est pas moins riche, et ne se limite pas aux belles sculptures présentées dans la cour. Elle est ponctuée par des œuvres d’artistes contemporains, dans des installations qui pourraient être intéressantes si elles étaient mises en valeur et signalées : nous n’avons pas pu identifier un parcours cohérent de cette exposition dans l’exposition, elle semblait donc augmenter encore la confusion de notre visite. Pour finir, la collection de peinture, allant modestement de la Renaissance au xxie siècle, présente trop peu d’œuvres remarquables (un beau Gustave Moreau, un Corot…). Et l’exposition temporaire, sur la création artistique dans l’Irak d’aujourd’hui, même si elle présentait quelques œuvres intéressantes, ne suffisait pas à racheter l’inutile vastitude de l’ensemble, et les mètres carrés parcourus pour y parvenir.

Car le Musée de la Cour d’Or a tort de s’enorgueillir de ses 5000 m² de visite (chiffres lancés à l’accueil par une guide qui semblait à la fois vouloir s’en vanter et se réjouir des fatigues que nous encourions avec notre progéniture, globalement assez mal accueillie d’ailleurs dans ce musée - une prime d'antipathie pour la gardienne qui a houspillé notre fille qui passait sur une vitre posée au sol pour qu'on voie en transparence des squelettes, vitre visiblement assez solide pour qu'on marche dessus) : tant d’espace, quand il n’est pas bien organisé, est un handicap. Nos filles ont certes survécu aux mètres carrés de visite, et sans se plaindre, mais nous, nous étions éreintés et agacés. Un grand musée se doit d’être bien agencé, en quelques espaces clairement délimités, sans demi-étages et entresols ; des espaces accessibles aux poussettes et aux fauteuils roulants (un handicapé ne peut probablement pas visiter le Musée de la Cour d’Or…). Le visiteur ne doit pas se perdre dans les collections ou sans cesse se référer à son plan (ou demander son chemin aux gardiens…) : chacune doit être clairement définie et signalée, et l’on ne doit pas se demander sans cesse quand elle finit ! Il est certes charmant de parcourir d’anciens bâtiments transformés en musée (trois différents, en l’occurrence), mais le parcours doit-il forcément être sinueux ? Bref, le Musée de la Cour d’Or aurait bien besoin d’être rénové (une nouvelle entrée est prévue pour 2017), en mettant au centre de ses préoccupations les visiteurs !

Si cette visite m’a déçue, elle m’a permis de mieux comprendre ce que j’attendais d’un musée, outre un accueil chaleureux (notamment vis-à-vis de mes filles) : une visite qui a un « sens », dans les deux acceptions du terme, c’est-à-dire une cohérence, mais aussi une organisation de l’espace qui me guide, qu’elle soit circulaire, linéaire ou par étages, pourvu qu’on s’y retrouve (et ce même si on est libre de s’y perdre !). J’aime les musées lumineux et spacieux, où le visiteur peut aller d’une œuvre à l’autre librement, quitte à en ignorer certaines – tout en sachant ce qu’il néglige, ce qu’il voit et où il va. En ce sens, la muséographie du Musée des Beaux-Arts de Nancy et celle du centre Pompidou-Metz (comme celle du centre parisien), malgré les différences de perspective entre leurs collections, suivent les mêmes principes et répondent aux mêmes attentes : elles offrent au visiteur une promenade au milieu d’œuvres d’art qu’il peut contempler longuement, honorer d’un coup d’œil ou carrément ignorer. Une visite aux antipodes de celles proposées par les expositions « en chambre obscure », où l’on est censé faire la queue devant chaque œuvre pour apprendre ce que le commissaire veut nous transmettre et pour comprendre la thèse qu’il développe. Entre une muséographie du savoir imposé et du mystère d’initiés, et un agencement qui permet la libre contemplation et la découverte, mon choix est fait !


Centre Pompidou-Metz
Ouvert tous les jours sauf le mardi, de 10h à 18h (19h les vendredi, samedi et dimanche, d’avril à octobre). Tarifs : 7, 10 ou 12 euros (selon le nombre d’expositions) ; gratuit pour les moins de 26 ans.
Exposition « Musicircus. Œuvres phares du Centre Pompidou », du 20 avril 2016 au 17 juillet 2017. Exposition « Sublime. Les tremblements du monde », du 11 février au 5 septembre 2016. Exposition Tadashi Kawamata, « Under the Water – Metz », du 6 février au 15 août 2016.

Musée des Beaux-Arts de Nancy
Ouvert tous les jours sauf le mardi, de 10h à 18h. Tarifs : 6 euros (réduit : 4 euros, notamment pour les 12-25 ans) ; gratuit pour les moins de 12 ans.
Exposition « Étienne Cournault (1891-1948) : la part du rêve », du 26 février au 23 mai 2016.

Musée de la Cour d’Or (Metz)
Ouvert tous les jours sauf le mardi, de 9h à 12h30 et de 13h45 à 17h. Tarifs : 5 euros ; gratuit pour les moins de 18 ans.

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