(Metz – Centre Pompidou-Metz et Musée de la Cour d’Or ;
Nancy – Musée des Beaux-Arts)

Aussi étonnant que cela semble paraître aux yeux de tous
ceux à qui nous en avons parlé, il y a matière à faire du tourisme dans la
jolie ville de Metz et dans sa rivale et voisine, Nancy. Nous cherchions une
destination reliée en train et pas trop éloignée de Paris, pour une courte
escapade à quatre pendant notre semaine commune de vacances de printemps. Metz
fut notre point de chute, depuis lequel nous avons passé une journée à Nancy.
Si la provision de soleil et de chaleur fut plutôt maigre, nous avons été ravis
par le charme de ces deux villes (avec un avantage certain pour Metz, moins
froide et moins monumentale) et par leur richesse patrimoniale :
magnifique cathédrale de Metz, dans sa surprenante pierre ocre, qui gagne à
être vue de jour (un coup de cœur pour ses splendides vitraux) comme de
nuit ; impressionnante place Stanislas à Nancy ; églises, maisons Art
Déco, et bien sûr, de beaux musées.
Comme vous le savez peut-être, le Centre Pompidou a installé
voilà quelques années une antenne à Metz, qui fut l’un des objectifs de notre
séjour ; mais cette ville possède un second musée d’envergure, et Nancy
n’en propose pas moins de trois, parmi lesquels nous fûmes obligés de faire un
choix. Bref, beaucoup à visiter, et de quoi nourrir ce blog ! Je vous
propose un récit chronologique de nos trois visites, qui nous mènera de la plus
réussie à la plus fertile en réflexions. Trois musées en trois jours, et trois
musées bien différents dans leurs objets et dans leurs styles, c’est une bonne
occasion de réfléchir à ce qui (me) rend un musée agréable.

L’espace est en ce qui me concerne un élément
déterminant dans le plaisir (ou le déplaisir) que je prends à une visite. Et
c’est une des grandes qualités du Centre Pompidou-Metz : dans ce bâtiment
moderne à l’architecture aérienne, une poussette (ou un fauteuil) peut circuler
sans problème, grâce aux ascenseurs qui relient les différents niveaux – un
confort de visite toujours appréciable ; de plus, comme dans la
maison-mère, les salles de ce musée ne sont pas avares en espace, un espace où
l’on avance selon un parcours circulaire, qui permet ainsi des retours, des
demi-tours, des allers-retours, bref une certaine liberté malgré un circuit
prédéfini. C’est ainsi notamment qu’est organisée l’exposition
« Magicircus », qui réunit des œuvres de la collection permanente du
centre Pompidou ; loin d’être juxtaposées comme autant de chefs d’œuvre
venus de Paris (et dont ce serait la seule raison d’être là), celles-ci sont
présentées dans un ensemble qui constitue une création en soi, autour d’un
thème (musique et peinture) cohérent mais assez large pour permettre de mêler
les styles, les époques et les médias : des toiles de Chagall, Kandinsky
ou Delaunay (mari et femme), côtoient un mobile de Calder, les
Rotoreliefs de Marcel Duchamp, mais
aussi des vidéos de ballets, un piano optophonique (chaque touche fait tourner
un disque de verre peint qui projette ses couleurs sur le mur), ou des
installations qui mêlent musique et lumière. Nous avons été fascinés par le
voyage de cercles de lumière projetés, qui glissaient sur les murs d’une petite
salle, autour de
Rythme de Sonia
Delaunay. Et notre aînée est restée longtemps à contempler les jeux de reflets
créés par la sculpture métallique programmée de Nicolas Schöffer,
Chronos, que l’on peut observer de face
ou par le dessus.


Après cette promenade dans la « grande nef »
aménagée dans une habile alternance de petits et de grands espaces, qui jouent
habilement de l’ombre et de la lumière, il nous restait encore à découvrir deux
expositions (une quatrième était en cours d’installation – on ne chôme pas au
centre Pompidou-Metz), ou plutôt une exposition et une œuvre : au premier
étage, l’exposition

« Sublime. Les tremblements du monde » réunit des
œuvres du
xviiie au
xxie siècle (plus qu
elques
dessins de Vinci) autour de la question du rapport à la nature, à ses dangers
(volcans, tornades…) autant qu’au danger que l’homme représente pour elle. Moins
facile d’accès pour un enfant que la première (beaucoup de petites œuvres),
moins ludique aussi, cette exposition présentait cependant quelques belles
créations, susceptibles d’interpeler petits et grands.

On peut dire que nos filles se sont senties à l’aise dans
les espaces d’exposition, et que leurs parents ont été ravis par l’accueil qui
leur a été fait : personne n’a protesté quand la petite a commencé à
crapahuter à deux ou à quatre pattes, et la grande a été encouragée à créer
face aux œuvres, d’abord dans un petit carnet vierge gracieusement offert (mais
demandé) à l’entrée, puis avec des gommettes que lui a « prêtées »
une charmante « gardienne » du musée. Cette dernière semblait avoir
cœur d’accueillir les visiteurs, et notamment les familles : sans que nous
l’ayons demandé, elle nous a spontanément informés sur une œuvre, puis indiqué
ce qui pourrait plaire à notre aînée. Un tel accueil est assez rare pour que
nous le saluions ! Comme il serait agréable que les « gardiens de
musée » ne soient pas ces gardes-chiourme qui aboient sur les enfants
avant même qu’ils aient touché une œuvre, ou les surveillent avec suspicion,
mais des guides potentiels, formés pour répondre aux questions des visiteurs
curieux ! Comme il serait plaisant aussi que la présence d’un enfant dans
un musée leur soit à tous aussi nature

lle qu’elle l’était au Centre Pompidou de
Metz ! Nos filles s’y sont carrément senties chez elles ! Il faut
dire que le dernier niveau à visiter était idéal pour laisser libre cours à l’énergie
des enfants : l’étage entier est occupé par une œuvre unique, suspendue au
plafond, de Tadashi Kawamata (dont une seconde création est exposée dans le
hall d’accueil du musée
). Sous cette vague de bois, faite de pans de meubles et
autres matériaux de récupération, nous avons pu laisser libre cours à l’envie
de bouger de la petite comme de la grande – il faut dire que nous entrons dans
une période difficile, où la petite, ne supportant plus de rester indéfiniment
dans sa poussette, mais ne marchant pas encore toute seule, se retrouve souvent
à quatre pattes dans les musées, entraînant parfois sa sœur avec elle ;
Under the Water était le cadre idéal
pour des moments de lib
erté et de complicité, après la visite plus cadrée des
deux expositions !

L’organisation des espaces de visite du Musée des Beaux-Arts
de Nancy, mais aussi l’accueil qui nous y a été réservé ne nous ont pas moins
enchantés. Dès la billetterie, l’on s’est empressé de nous encourager à
emprunter les ascenseurs (qui relient efficacement tous les niveaux et
demi-niveaux du musée), et de nous signaler les salles les plus susceptibles de
plaire a
ux enfants. Outre le dépliant du musée, nous avons obtenu sans
difficulté le livret de visite de l’exposition temporaire (consacrée au méconnu
mais passionnant Etienne Cournault) proposé aux enfants – livret d’ailleurs
offert en libre accès à l’entrée de l’exposition, en même temps que le dépliant
adulte (ce qui est assez rare pour être signalé). Nous avons suivi le parcours
habituellement conseillé (de haut en bas), un parcours chronologique qui permet
de terminer sur les plus belles salles du musée. Prévenus cependant que le plus
beau et le plus susceptible de plaire aux enfants se trouvait en fin de visite,
c’est-à-dire au rez-de-chaussée, nous avons par

couru assez rapidement les
étages du haut, consacrés à la peinture des
xive
au
xviiie siècle – de
belles toiles cependant parsèment ces salles, et il y en a pour tous les goûts.
Les salles sont claires, spacieuses, un magnifique escalier
témoigne de
l’inspiration Art Déco des architectes du lieu, et si les toiles ne sont pas
toutes des chefs d’œuvre, je n’ai pas eu l’impression (comme dans mon souvenir
– ou mes préjugés – concernant les musées des Beaux-Arts de province) de
parcourir une collection d’illustres inconnus, qui justifient leur présence par
le seul fait qu’ils sont nés dans la région. Ici, une très belle
Vierge à l’enfant du Pérugin précède
Rubens, Caravage, Fragonard, Greuze ou Delacroix…

Sans parler de la très belle collection d’art moderne et contemporain
(peinture et sculpture), qui occupe le rez-de-chaussée, dans un ensemble qui
vaut à lui seul la visite. Là peinture et sculpture dialoguent intelligemment,
dans un grand espace peu cloisonné que l’on peut découvrir au gré de son
inspiration et de ses envies. Des installations et des œuvres contemporaines
complètent cette très belle collection : notre grande a eu l’impression
que c’était elle qui faisait danser les mots sur un écran sur lequel ils s’avançaient,
et elle a aimé s’enfermer dans
Infinitiy
mirrored room. Fireflies on the water de Yayoï Kusama. Elle était contente
aussi de trouver, au détour d’un changement d’étage, le point où les couleurs
de Felice Varini devenaient des formes. Enfin, elle s’est comme nous laissé
séduire par les œuvres d’Etienne Cournault (quand j’ai acheté l’album de l’exposition

,
elle a demandé « c’est pour moi ? »), que nous avons été ravis
de découvrir. Proche du surréalisme sans y être vérita
blement affilié, ce
peintre a expérimenté divers matériaux et techniques : peinture sous verre,
parfois associée à un miroir ; peinture sur du mica ; graffitis ;
fresque ; peinture à l’huile, avec du sable ; mais aussi des
paillettes métalliques, perles, boules de Noël, etc. – tout lui semblait bon
pour créer, dans une œuvre surprenante, changeante, mais toujours résolument
moderne. Un vrai coup de cœur !
Nous sommes donc sortis enchantés de ce Musée des Beaux-Arts
de Nancy, certes vaste (un sous-sol présente en outre, dans un espace fascinant
qui intègre les vestiges des fortifications de la ville, une impressionnante collection
de verreries réunissant des créations de la cristallerie Daum de 1878 à nos
jours – une très belle exposition, mais à laquelle nous n’avons consacré qu’un
regard rapide, car elle intervient à la toute fin d’une très riche et longue
visite), mais accueillant pour tous les visiteurs et agréable à parcourir grâce
à de beaux volumes. Un musée qui présente certes une grande variété d’œuvres et
d’époque, mais ne semble pas pour autant verser dans l’éclectisme : chacun
peut s’attarder dans les salles qui l’intéressent le plus, sans que la
traversée des autres semble fastidieuse, et l’importance du fonds d’art moderne
et contemporain donne malgré tout au musée sa « couleur » propre, une
orientation résolument tournée vers aujourd’hui et vers demain.
Ampleur et diversité sans incohérence, le Musée des Beaux-Arts
de Nancy montre qu’un grand musée peut ne pas perdre (au sens propre comme au
figuré) ses visiteurs. Un exercice auquel le Musée de la Cour d’or, à Metz,
échoue lamentablement. Il faut dire qu’il a un projet ambitieux : partir
de l’Antiquité gallo-romaine pour arriver à l’art contemporain, dans un
parcours de pas moins de 5000 m² ! Pourquoi pas ? Après Nancy, j’étais
prête à croire qu’un tel pari était possible. Las ! C’était sans compter
le parcours labyrinthique du musée et les centaines de marches que nous avons
dû descendre ou monter pour passer d’une salle à l’autre, presque
systématiquement, et ce sans jamais qu’on nous permette d’emprunter un
ascenseur (pourtant parfois visiblement existant). Quand nous sommes arrivés
dans la fameuse cour intérieure du musée, et qui est habitée de très
belles sculptures, nous étions déjà épuisés par ce trek muséographique…

Pourtant, il y avait de quoi se régaler les yeux, notamment
dans la collection antique du musée : la visite commence par la découverte
des vestiges des thermes gallo-romains, agrémentés de bas-reliefs et mosaïques ;
suivent des stèles funéraires ornées de bas-reliefs, des sculptures, sans
oublier la fameuse colonne de Merten, colonne monumentale ornée en son sommet d’un
groupe sculpté impressionnant, et présentée ici en trois morceaux. La
collection médiévale n’est pas moins riche, et ne se limite pas aux belles
sculptures présentées dans la cour. Elle est ponctuée par des œuvres d’artistes
contemporains, dans des installations qui pourraient être intéressantes si
elles étaient mises en valeur et signalées : nous n’avons pas pu
identifier un parcours cohérent de cette exposition dans l’exposition, elle
semblait donc augmenter encore la confusion de notre visite. Pour finir, la
collection de peinture, allant modestement de la Renaissance au
xxie siècle, présente trop
peu d’œuvres remarquables (un beau Gustave Moreau, un Corot…). Et l’exposition
temporaire, sur la création artistique dans l’Irak d’aujourd’hui, même si elle
présentait quelques œuvres intéressantes, ne suffisait pas à racheter l’inutile
vastitude de l’ensemble, et les mètres carrés parcourus pour y parvenir.

Car le Musée de la Cour d’Or a tort de s’enorgueillir de ses
5000 m² de visite (chiffres lancés à l’accueil par une guide qui semblait à la
fois vouloir s’en vanter et se réjouir des fatigues que nous encourions avec
notre progéniture, globalement assez mal accueillie d’ailleurs dans ce musée - une prime d'antipathie pour la gardienne qui a houspillé notre fille qui passait sur une vitre posée au sol pour qu'on voie en transparence des squelettes, vitre visiblement assez solide pour qu'on marche dessus) :
tant d’espace, quand il n’est pas bien organisé, est un handicap. Nos filles
ont certes survécu aux mètres carrés de visite, et sans se plaindre, mais nous,
nous étions éreintés et agacés. Un grand musée se doit d’être bien agencé, en
quelques espaces clairement délimités, sans demi-étages et entresols ; des
espaces accessibles aux poussettes et aux fauteuils roulants (un handicapé ne
peut probablement pas visiter le Musée de la Cour d’Or…). Le visiteur ne doit
pas se perdre dans les collections ou sans cesse se référer à son plan (ou
demander son chemin aux gardiens…) : chacune doit être clairement définie
et signalée, et l’on ne doit pas se demander sans cesse quand elle finit !
Il est certes charmant de parcourir d’anciens bâtiments transformés en musée
(trois différents, en l’occurrence), mais le parcours doit-il forcément être sinueux ?
Bref, le Musée de la Cour d’Or aurait bien besoin d’être rénové (une nouvelle
entrée est prévue pour 2017), en mettant au centre de ses préoccupations les
visiteurs !
Si cette visite m’a déçue, elle m’a permis de mieux
comprendre ce que j’attendais d’un musée, outre un accueil chaleureux
(notamment vis-à-vis de mes filles) : une visite qui a un « sens »,
dans les deux acceptions du terme, c’est-à-dire une cohérence, mais aussi une
organisation de l’espace qui me guide, qu’elle soit circulaire, linéaire ou par
étages, pourvu qu’on s’y retrouve (et ce même si on est libre de s’y perdre !).
J’aime les musées lumineux et spacieux, où le visiteur peut aller d’une œuvre à
l’autre librement, quitte à en ignorer certaines – tout en sachant ce qu’il
néglige, ce qu’il voit et où il va. En ce sens, la muséographie du Musée des
Beaux-Arts de Nancy et celle du centre Pompidou-Metz (comme celle du centre
parisien), malgré les différences de perspective entre leurs collections,
suivent les mêmes principes et répondent aux mêmes attentes : elles
offrent au visiteur une promenade au milieu d’œuvres d’art qu’il peut
contempler longuement, honorer d’un coup d’œil ou carrément ignorer. Une visite
aux antipodes de celles proposées par les expositions « en chambre obscure »,
où l’on est censé faire la queue devant chaque œuvre pour apprendre ce que le
commissaire veut nous transmettre et pour comprendre la thèse qu’il développe.
Entre une muséographie du savoir imposé et du mystère d’initiés, et un
agencement qui permet la libre contemplation et la découverte, mon choix est
fait !

Centre Pompidou-Metz
Ouvert tous les jours sauf le mardi, de 10h à 18h (19h les
vendredi, samedi et dimanche, d’avril à octobre). Tarifs : 7, 10 ou 12
euros (selon le nombre d’expositions) ; gratuit pour les moins de 26 ans.
Exposition « Musicircus. Œuvres phares du Centre
Pompidou », du 20 avril 2016 au 17 juillet 2017. Exposition « Sublime.
Les tremblements du monde », du 11 février au 5 septembre 2016. Exposition
Tadashi Kawamata, « Under the Water – Metz », du 6 février au 15 août
2016.
Musée des Beaux-Arts de Nancy
Ouvert tous les jours sauf le mardi, de 10h à 18h. Tarifs : 6
euros (réduit : 4 euros, notamment pour les 12-25 ans) ; gratuit pour
les moins de 12 ans.
Exposition « Étienne Cournault (1891-1948) : la part du
rêve », du 26 février au 23 mai 2016.
Musée de la Cour d’Or (Metz)
Ouvert tous les jours sauf le mardi, de 9h à 12h30 et de
13h45 à 17h. Tarifs : 5 euros ; gratuit pour les moins de 18 ans.