lundi 23 mai 2016

Narcisse urbain

("Vous êtes ici" - Centre Pompidou, Galerie des enfants)


La Galerie des enfants du Centre Pompidou est un vaste espace, sorte de nacelle surplombant l'entrée principale et qui se transforme au gré des "expositions-ateliers" qui s'y succèdent (au rythme de deux par an), et surtout de l'imaginaire des artistes qui y sont invités. L'été dernier, avec "Soulever le monde" (avril-septembre 2015), elle était devenue un immense navire, fantastique, où l'on pouvait tourner des dizaines de gouvernails, qui animaient autant de voiles et autres mobiles ; je me souviens que notre grande y avait passé un moment merveilleux, et avait été fière de pouvoir accrocher ses propres créations sur ces mobiles toujours renouvelés. Car la Galerie des enfants se veut toujours à la fois un lieu de création et de découverte, l'artiste impliquant les enfants dans l'espace qu'il investit et qu'il imagine. La précédente animation, "Châteaux de sable : architectures de rêve" (que nous n'avons pu tester, découragés par la demi-heure d'attente à l'extérieur de la Galerie) invitait les petits à imaginer une construction pour la voir ensuite se modeler dans le sable. La Galerie était alors devenue à la fois plage et atelier de potier.

En ce moment, sous l'inspiration du photographe et street-artiste JR, elle est une ville, dédale de rues et de buildings que les enfants investissent et envahissent de leurs pas, de leurs rires... mais aussi de leurs minois. Car la particularité de JR est qu'il tire ses photographies, pour la plupart des portraits ou des gros plans sur des regards, en format XXL et les installe sur les murs des favelas de Rio ou des buildings de Manhattan, sur un pont parisien ou sur des trains africains. C'est cette pratique monumentale et en même temps si intimiste de la photographie, qui exprime un lien fort entre les hommes et les lieux qu'ils habitent, que JR a voulu transposer dans la Galerie des enfants pour la partager avec eux. Il les invite donc dans une ville imaginaire qui condense ses voyages et ses projets des dix dernières années. Sur les bâtiments en gris, noir et blanc de cette ville mirage, il a collé certaines de ses photographies, tandis que d'autres se présentent "façon puzzles", sous forme de grandes lames magnétiques, invitant les enfants à les décomposer et recomposer à l'infini.

Un plan, qui sert aussi de livret de jeu, est distribué à l'entrée, ainsi qu'une planche de gommettes : l'enfant doit repérer, en différents points de ce labyrinthe urbain imaginaire, des photographies de JR qui apparaissent incomplètes sur son plan, pour ensuite pouvoir les compléter avec la gommette ad hoc. Une autre manière de découvrir les photographies de l'artiste en se les appropriant - moins simple et directement accessible que les puzzles, cependant, car il n'est pas toujours facile d'identifier la photographie modèle dans le dédale des rues, malgré les indications du plan. J'avoue m'être sentie parfois un peu perdue, ce qui était sans doute accentué par la circulation des enfants autour de moi, et par le mouvement perpétuel de mon aînée, peu encline à se laisser guider ; trop petite peut-être pour ce jeu de quête, elle a préféré les puzzles géants, et le simple plaisir de la découverte en liberté de cet espace ludique : car petits et grands semblaient tous apprécier de parcourir les rues de Rio, Paris, Istanbul, Shanghai ou La Havane, Montfermeil ou New York - petit bémol, on ne percevait pas vraiment le passage d'une ville à l'autre, car le décor installé dans la Galerie des enfants est assez uniforme, fait de cubes empilés en tours plus ou moins hautes, sur lesquels sont collés des clichés d'immeubles, tous dans les mêmes teintes du noir et blanc qui étaient également celles des photographies affichées.

Mais ce qui plaisait le plus aux enfants, et ce quel que soit leur âge, c'est qu'ils étaient eux-mêmes invités à exposer dans cette ville imaginaire, en devenant auteurs de leur autoportrait. Les apprentis photographes devaient d'abord créer un fond, en apposant sur des grandes feuilles blanches des tampons ronds de dimensions diverses (dans l'esprit du fond imaginé par JR dans son projet "Inside Out") - l'effet était assez réussi. Puis ils s'installaient dans la cabine photo (aidés de leurs parents, qui aimantent le fond et manipulent le logiciel). Une fois la pose prise, la photographie s'affichait quelques instants plus tard sur la tour du premier point (Rio). Avec l'autorisation des parents, ces photographies (que vous recevez également dans votre boîte mail) continueront ensuite de défiler sur différentes tours de la Galerie des enfants, habitant cette ville imaginaire comme les clichés de JR ont habité les murs de maintes cités autour du monde. Cette activité, qui flatte l'ego narcissique de nos chers bambins, leur permet également de comprendre plus concrètement le geste de JR, du portrait à l'affichage, et complète les explications des animateurs qui vous accueillent à l'entrée, et surtout celles de la vidéo projetée juste à côté de la cabine photo.

Enfin, dans l'esprit de la Galerie des enfants, cet autoportrait photographique permet aux enfants de s'approprier l'espace créé par JR : cette cité devient la leur, ils y retrouvent leur visage en y entrant, et s'y sentent d'emblée chez eux. Ce sentiment est conforté par une autre activité photographique, plus ludique, proposée dans la partie new-yorkaise de la ville imaginaire : couchés sur le côté, dans une position plus ou moins décontractée ou acrobatique, les enfants sont pris en photo sur un fond de buildings (là encore les parents doivent activer le logiciel) ; quand leur cliché est projeté, quelques instants plus tard, à la verticale, ils semblent suspendus dans le vide, accrochés à une gratte-ciel. Cet autre "point-photo" déclenchait l'enthousiasme chez les enfants, surtout chez les plus grands, qui devaient s'imaginer en super-héros survolant New-York !


Du 16 avril au 19 septembre 2016.
Galerie des enfants, niveau 1 - Centre Pompidou.
Ouvert tous les jours (sauf le mardi) de 11h à 19h en période d'exposition.
Tarif : 14€ (tarif réduit à 11€) ; gratuit pour les moins de 26 ans (et pour tous les premiers dimanche du mois).
Pour connaître les différentes activités "en famille" proposées par le Centre Pompidou, voir la page suivante (qui propose un lien vers l'agenda) : https://www.centrepompidou.fr/fr/Visite/Decouvrir-en-famille

jeudi 19 mai 2016

Prière de... s'asseoir

(exposition Pierre Paulin - Centre Pompidou)

Varier les plaisirs (de musées). C'est avec cet objectif que nous avons visité la petite exposition qui présente, au centre Pompidou, quelques-unes des créations du designer Pierre Paulin, qui s'est notamment distingué par ses sièges : les fauteuils Tongue à superposer, le fauteuil Mushroom bleu électrique, les canapés collectifs et banquettes pour deux, Dos-à-dos ou Face-à-face, ou encore le Tapis-siège dont les angles se relèvent pour que vous puissiez vous y appuyer, tous sont présents, dans l'espace lumineux de la Galerie 3 (au premier étage, du côté opposé à l'entrée et à la Galerie des enfants), habilement organisé en plusieurs espaces séparés par des rideaux en plastique blanc aux belles ondulations, et par des paravents tout aussi contemporains. Ils sont accompagnés de quelques meubles, objets et luminaires, mais aussi par des dessins et projets (concernant notamment la salle-à-manger des Pompidou à l'Elysée). Couleurs vives, lignes épurées, matières nouvelles, voilà les marques de la modernité de Paulin, qui connaît et honore cependant ses classiques : la boudeuse avec Dos-à-dos, le fauteuil Crapaud avec Mushroom, ou encore la chaise curule des sénateurs romains.

Sièges et meubles, présentés sur des plateformes dont on peut parfois faire le tour, sont joliment mis en valeur par leur présentation par petits groupes, dans un espace qui semble mouvant, dynamique. Leur découverte est complétée par trois vidéos : la première est une interview de Paulin qui vous accueille dès l'entrée de l'exposition pour vous raconter son parcours ; la seconde, sur un petit écran, permet d'admirer les meubles et aménagements créés par Paulin pour l'Elysée, et d'en comprendre la conception ; la troisième, à nouveau sur grand écran, semblait captiver les visiteurs. Il faut dire qu'elle constituait un bon prétexte pour tester quelques sièges Paulin et s'y lover confortablement. Toutes les places étaient d'ailleurs prises sur les fauteuils Tongue et Grand Tulip disposés dans cet espace rendu d'autant plus cosy par un tapis "pliable" qui habille de douceur mur et sol tout ensemble.

Ludique et créative, la mise en scène de cette exposition est elle-même un acte de design intérieur. On se cache, on dévoile ou devine les meubles, en passant de l'autre côté des rideaux ou en jetant un œil à travers les ronds transparents qui s'y découpent. Un jeu de cache-cache qui a d'emblée amusé notre fille. Elle a été surprise ou intriguée par certains meubles ("ça ne doit pas être très confortable", a-t-elle lancé devant un fauteuil tout en métal), et nous avons joué à reconnaître leurs formes (langue, champignon, serpent...) ou à lui faire deviner la double utilité du Tapis-siège. Le visiteur peut même observer la structure métallique de l'emblématique fauteuil Mushroom. Je n'ai découvert qu'une fois rentrée à la maison que le petit dépliant offert sur les présentoirs à l'entrée de l'exposition proposait, sous le titre "Paulin en famille", un jeu de cherche-et-trouve tel que celui que nous avions improvisé, ainsi que quelques questions et un jeu d'association, plutôt destiné à des enfants qui savent lire les cartels de l'exposition. J'aurais bien aimé pouvoir l'exploiter avec notre aînée, qui n'a cependant pas eu besoin de livret ou de crayons pour apprécier cette promenade au milieu de meubles amusants et accueillants, à l'image de la tente sous laquelle elle a eu envie de danser - ou de coucher ses poupées !


Du 11 mai au 22 août 2016.
Galerie 3, niveau 1 - Centre Pompidou.
Ouvert tous les jours (sauf le mardi) de 11h à 21h (23h le jeudi).
Tarif : 14€ (tarif réduit à 11€) ; gratuit pour les moins de 18 ans.

Taille minimale requise

(exposition Klee - Centre Pompidou)

Une fois n'est pas coutume, c'est à deux, entre adultes, que nous sommes allés visiter l'exposition que le Centre Pompidou consacre à Paul Klee, sous un intitulé mystérieux : "L'ironie à l'œuvre". Il faut lire la présentation de l'exposition pour comprendre que le fil rouge de cette importante rétrospective (près de 250 œuvres sur les presque 10 000 produites par l'artiste) n'est pas le sourire provoqué par l'ironie au sens habituel du terme : les commissaires d'exposition ont plaqué sur cette œuvre prolifique un concept (me semble-t-il) anachronique, celui d'ironie romantique, pour mettre l'accent sur la réflexivité de l'œuvre de Klee (l'artiste tente de dire l'indicible, s'interroge sur les moyens qu'il met en œuvre pour réaliser cette tâche fondamentalement impossible) mais aussi sur la distance qu'il a toujours prise avec les modèles et les courants qui lui ont été contemporains (le cubisme, le constructivisme, le surréalisme, Picasso, etc.). Cette "thèse" est déclinée en plusieurs étapes qui constituent en fait une traversée chronologique de l'œuvre de Klee, et point n'est besoin de comprendre le concept d'ironie romantique et ses applications diverses par les commissaires pour apprécier cette exposition. Très riche, elle permet de découvrir la variété des créations de Klee, des dessins satiriques de ses débuts, qui font penser à Honoré Daumier, à ses toiles les plus connues, en passant par les marionnettes qu'il a créées pour son fils.

Pourquoi vous parler de cette exposition ici, puisque nous l'avons visitée sans les enfants ? Parce qu'on est parents même quand les enfants ne sont pas là, et que nous avons pensé à nos filles pendant la visite. Parce que nous n'avons pas regretté d'y avoir été sans elles et que nous n'y retournerons pas avec elles, comme nous l'avions envisagé. Et pour que vous sachiez à quoi vous attendre si vous voulez visiter cette exposition avec vos enfants.

Le problème ne vient pas d'un manque d'intérêt de l'exposition, qui nous a beaucoup plu à tous les deux, ni de la difficulté des œuvres, magnifiques et, pour la plupart, tout à fait visibles et compréhensibles pour des petits. Non, cela tient à un détail pratique tout bête : la hauteur d'accrochage ! Toute la première partie de l'exposition (deux grandes salles avec de petites "sous-salles") présente des dessins qui sont le plus souvent exposés à hauteur du visage d'un adulte (en tout cas du mien) - quelques autres sont à plat dans des vitrines, notamment ceux qui constituaient des livres satiriques. Le tout bien trop haut pour que notre fille aînée, par exemple, puisse les voir sans être portée.

Si vous voulez (re)découvrir Paul Klee, emmenez donc avec vous vos grands enfants, mais laissez les petits à la maison (à moins d'un tout-petit en porte-bébé). J'ajoute que la quantité d'œuvres, raisonnable pour un adulte, risque de rendre l'exposition un peu longue pour les plus jeunes : l'idéal serait d'opérer pour eux, en amont, un repérage et une sélection. Qu'ils puissent apprécier les couleurs et les formes, la drôlerie et la rêverie de cet artiste hors cadre.



Du 6 avril 2016 au 1er août 2016.
Galerie 2 - Centre Pompidou.
Ouvert tous les jours (sauf le mardi) de 11h à 21h (23h le jeudi).
Tarif : 14€ (tarif réduit à 11€) ; gratuit pour les moins de 18 ans.

lundi 2 mai 2016

En passant par la Lorraine... et par ses musées


(Metz – Centre Pompidou-Metz et Musée de la Cour d’Or ; Nancy – Musée des Beaux-Arts)

Aussi étonnant que cela semble paraître aux yeux de tous ceux à qui nous en avons parlé, il y a matière à faire du tourisme dans la jolie ville de Metz et dans sa rivale et voisine, Nancy. Nous cherchions une destination reliée en train et pas trop éloignée de Paris, pour une courte escapade à quatre pendant notre semaine commune de vacances de printemps. Metz fut notre point de chute, depuis lequel nous avons passé une journée à Nancy. Si la provision de soleil et de chaleur fut plutôt maigre, nous avons été ravis par le charme de ces deux villes (avec un avantage certain pour Metz, moins froide et moins monumentale) et par leur richesse patrimoniale : magnifique cathédrale de Metz, dans sa surprenante pierre ocre, qui gagne à être vue de jour (un coup de cœur pour ses splendides vitraux) comme de nuit ; impressionnante place Stanislas à Nancy ; églises, maisons Art Déco, et bien sûr, de beaux musées.

Comme vous le savez peut-être, le Centre Pompidou a installé voilà quelques années une antenne à Metz, qui fut l’un des objectifs de notre séjour ; mais cette ville possède un second musée d’envergure, et Nancy n’en propose pas moins de trois, parmi lesquels nous fûmes obligés de faire un choix. Bref, beaucoup à visiter, et de quoi nourrir ce blog ! Je vous propose un récit chronologique de nos trois visites, qui nous mènera de la plus réussie à la plus fertile en réflexions. Trois musées en trois jours, et trois musées bien différents dans leurs objets et dans leurs styles, c’est une bonne occasion de réfléchir à ce qui (me) rend un musée agréable.

L’espace est en ce qui me concerne un élément déterminant dans le plaisir (ou le déplaisir) que je prends à une visite. Et c’est une des grandes qualités du Centre Pompidou-Metz : dans ce bâtiment moderne à l’architecture aérienne, une poussette (ou un fauteuil) peut circuler sans problème, grâce aux ascenseurs qui relient les différents niveaux – un confort de visite toujours appréciable ; de plus, comme dans la maison-mère, les salles de ce musée ne sont pas avares en espace, un espace où l’on avance selon un parcours circulaire, qui permet ainsi des retours, des demi-tours, des allers-retours, bref une certaine liberté malgré un circuit prédéfini. C’est ainsi notamment qu’est organisée l’exposition « Magicircus », qui réunit des œuvres de la collection permanente du centre Pompidou ; loin d’être juxtaposées comme autant de chefs d’œuvre venus de Paris (et dont ce serait la seule raison d’être là), celles-ci sont présentées dans un ensemble qui constitue une création en soi, autour d’un thème (musique et peinture) cohérent mais assez large pour permettre de mêler les styles, les époques et les médias : des toiles de Chagall, Kandinsky ou Delaunay (mari et femme), côtoient un mobile de Calder, les Rotoreliefs de Marcel Duchamp, mais aussi des vidéos de ballets, un piano optophonique (chaque touche fait tourner un disque de verre peint qui projette ses couleurs sur le mur), ou des installations qui mêlent musique et lumière. Nous avons été fascinés par le voyage de cercles de lumière projetés, qui glissaient sur les murs d’une petite salle, autour de Rythme de Sonia Delaunay. Et notre aînée est restée longtemps à contempler les jeux de reflets créés par la sculpture métallique programmée de Nicolas Schöffer, Chronos, que l’on peut observer de face ou par le dessus.



Après cette promenade dans la « grande nef » aménagée dans une habile alternance de petits et de grands espaces, qui jouent habilement de l’ombre et de la lumière, il nous restait encore à découvrir deux expositions (une quatrième était en cours d’installation – on ne chôme pas au centre Pompidou-Metz), ou plutôt une exposition et une œuvre : au premier étage, l’exposition « Sublime. Les tremblements du monde » réunit des œuvres du xviiie au xxie siècle (plus quelques dessins de Vinci) autour de la question du rapport à la nature, à ses dangers (volcans, tornades…) autant qu’au danger que l’homme représente pour elle. Moins facile d’accès pour un enfant que la première (beaucoup de petites œuvres), moins ludique aussi, cette exposition présentait cependant quelques belles créations, susceptibles d’interpeler petits et grands.


On peut dire que nos filles se sont senties à l’aise dans les espaces d’exposition, et que leurs parents ont été ravis par l’accueil qui leur a été fait : personne n’a protesté quand la petite a commencé à crapahuter à deux ou à quatre pattes, et la grande a été encouragée à créer face aux œuvres, d’abord dans un petit carnet vierge gracieusement offert (mais demandé) à l’entrée, puis avec des gommettes que lui a « prêtées » une charmante « gardienne » du musée. Cette dernière semblait avoir cœur d’accueillir les visiteurs, et notamment les familles : sans que nous l’ayons demandé, elle nous a spontanément informés sur une œuvre, puis indiqué ce qui pourrait plaire à notre aînée. Un tel accueil est assez rare pour que nous le saluions ! Comme il serait agréable que les « gardiens de musée » ne soient pas ces gardes-chiourme qui aboient sur les enfants avant même qu’ils aient touché une œuvre, ou les surveillent avec suspicion, mais des guides potentiels, formés pour répondre aux questions des visiteurs curieux ! Comme il serait plaisant aussi que la présence d’un enfant dans un musée leur soit à tous aussi naturelle qu’elle l’était au Centre Pompidou de Metz ! Nos filles s’y sont carrément senties chez elles ! Il faut dire que le dernier niveau à visiter était idéal pour laisser libre cours à l’énergie des enfants : l’étage entier est occupé par une œuvre unique, suspendue au plafond, de Tadashi Kawamata (dont une seconde création est exposée dans le hall d’accueil du musée). Sous cette vague de bois, faite de pans de meubles et autres matériaux de récupération, nous avons pu laisser libre cours à l’envie de bouger de la petite comme de la grande – il faut dire que nous entrons dans une période difficile, où la petite, ne supportant plus de rester indéfiniment dans sa poussette, mais ne marchant pas encore toute seule, se retrouve souvent à quatre pattes dans les musées, entraînant parfois sa sœur avec elle ; Under the Water était le cadre idéal pour des moments de liberté et de complicité, après la visite plus cadrée des deux expositions !

L’organisation des espaces de visite du Musée des Beaux-Arts de Nancy, mais aussi l’accueil qui nous y a été réservé ne nous ont pas moins enchantés. Dès la billetterie, l’on s’est empressé de nous encourager à emprunter les ascenseurs (qui relient efficacement tous les niveaux et demi-niveaux du musée), et de nous signaler les salles les plus susceptibles de plaire aux enfants. Outre le dépliant du musée, nous avons obtenu sans difficulté le livret de visite de l’exposition temporaire (consacrée au méconnu mais passionnant Etienne Cournault) proposé aux enfants – livret d’ailleurs offert en libre accès à l’entrée de l’exposition, en même temps que le dépliant adulte (ce qui est assez rare pour être signalé). Nous avons suivi le parcours habituellement conseillé (de haut en bas), un parcours chronologique qui permet de terminer sur les plus belles salles du musée. Prévenus cependant que le plus beau et le plus susceptible de plaire aux enfants se trouvait en fin de visite, c’est-à-dire au rez-de-chaussée, nous avons parcouru assez rapidement les étages du haut, consacrés à la peinture des xive au xviiie siècle – de belles toiles cependant parsèment ces salles, et il y en a pour tous les goûts. Les salles sont claires, spacieuses, un magnifique escalier témoigne de l’inspiration Art Déco des architectes du lieu, et si les toiles ne sont pas toutes des chefs d’œuvre, je n’ai pas eu l’impression (comme dans mon souvenir – ou mes préjugés – concernant les musées des Beaux-Arts de province) de parcourir une collection d’illustres inconnus, qui justifient leur présence par le seul fait qu’ils sont nés dans la région. Ici, une très belle Vierge à l’enfant du Pérugin précède Rubens, Caravage, Fragonard, Greuze ou Delacroix…

Sans parler de la très belle collection d’art moderne et contemporain (peinture et sculpture), qui occupe le rez-de-chaussée, dans un ensemble qui vaut à lui seul la visite. Là peinture et sculpture dialoguent intelligemment, dans un grand espace peu cloisonné que l’on peut découvrir au gré de son inspiration et de ses envies. Des installations et des œuvres contemporaines complètent cette très belle collection : notre grande a eu l’impression que c’était elle qui faisait danser les mots sur un écran sur lequel ils s’avançaient, et elle a aimé s’enfermer dans Infinitiy mirrored room. Fireflies on the water de Yayoï Kusama. Elle était contente aussi de trouver, au détour d’un changement d’étage, le point où les couleurs de Felice Varini devenaient des formes. Enfin, elle s’est comme nous laissé séduire par les œuvres d’Etienne Cournault (quand j’ai acheté l’album de l’exposition, elle a demandé « c’est pour moi ? »), que nous avons été ravis de découvrir. Proche du surréalisme sans y être véritablement affilié, ce peintre a expérimenté divers matériaux et techniques : peinture sous verre, parfois associée à un miroir ; peinture sur du mica ; graffitis ; fresque ; peinture à l’huile, avec du sable ; mais aussi des paillettes métalliques, perles, boules de Noël, etc. – tout lui semblait bon pour créer, dans une œuvre surprenante, changeante, mais toujours résolument moderne. Un vrai coup de cœur !

Nous sommes donc sortis enchantés de ce Musée des Beaux-Arts de Nancy, certes vaste (un sous-sol présente en outre, dans un espace fascinant qui intègre les vestiges des fortifications de la ville, une impressionnante collection de verreries réunissant des créations de la cristallerie Daum de 1878 à nos jours – une très belle exposition, mais à laquelle nous n’avons consacré qu’un regard rapide, car elle intervient à la toute fin d’une très riche et longue visite), mais accueillant pour tous les visiteurs et agréable à parcourir grâce à de beaux volumes. Un musée qui présente certes une grande variété d’œuvres et d’époque, mais ne semble pas pour autant verser dans l’éclectisme : chacun peut s’attarder dans les salles qui l’intéressent le plus, sans que la traversée des autres semble fastidieuse, et l’importance du fonds d’art moderne et contemporain donne malgré tout au musée sa « couleur » propre, une orientation résolument tournée vers aujourd’hui et vers demain.

Ampleur et diversité sans incohérence, le Musée des Beaux-Arts de Nancy montre qu’un grand musée peut ne pas perdre (au sens propre comme au figuré) ses visiteurs. Un exercice auquel le Musée de la Cour d’or, à Metz, échoue lamentablement. Il faut dire qu’il a un projet ambitieux : partir de l’Antiquité gallo-romaine pour arriver à l’art contemporain, dans un parcours de pas moins de 5000 m² ! Pourquoi pas ? Après Nancy, j’étais prête à croire qu’un tel pari était possible. Las ! C’était sans compter le parcours labyrinthique du musée et les centaines de marches que nous avons dû descendre ou monter pour passer d’une salle à l’autre, presque systématiquement, et ce sans jamais qu’on nous permette d’emprunter un ascenseur (pourtant parfois visiblement existant). Quand nous sommes arrivés dans la fameuse cour intérieure du musée, et qui est habitée de très belles sculptures, nous étions déjà épuisés par ce trek muséographique…

Pourtant, il y avait de quoi se régaler les yeux, notamment dans la collection antique du musée : la visite commence par la découverte des vestiges des thermes gallo-romains, agrémentés de bas-reliefs et mosaïques ; suivent des stèles funéraires ornées de bas-reliefs, des sculptures, sans oublier la fameuse colonne de Merten, colonne monumentale ornée en son sommet d’un groupe sculpté impressionnant, et présentée ici en trois morceaux. La collection médiévale n’est pas moins riche, et ne se limite pas aux belles sculptures présentées dans la cour. Elle est ponctuée par des œuvres d’artistes contemporains, dans des installations qui pourraient être intéressantes si elles étaient mises en valeur et signalées : nous n’avons pas pu identifier un parcours cohérent de cette exposition dans l’exposition, elle semblait donc augmenter encore la confusion de notre visite. Pour finir, la collection de peinture, allant modestement de la Renaissance au xxie siècle, présente trop peu d’œuvres remarquables (un beau Gustave Moreau, un Corot…). Et l’exposition temporaire, sur la création artistique dans l’Irak d’aujourd’hui, même si elle présentait quelques œuvres intéressantes, ne suffisait pas à racheter l’inutile vastitude de l’ensemble, et les mètres carrés parcourus pour y parvenir.

Car le Musée de la Cour d’Or a tort de s’enorgueillir de ses 5000 m² de visite (chiffres lancés à l’accueil par une guide qui semblait à la fois vouloir s’en vanter et se réjouir des fatigues que nous encourions avec notre progéniture, globalement assez mal accueillie d’ailleurs dans ce musée - une prime d'antipathie pour la gardienne qui a houspillé notre fille qui passait sur une vitre posée au sol pour qu'on voie en transparence des squelettes, vitre visiblement assez solide pour qu'on marche dessus) : tant d’espace, quand il n’est pas bien organisé, est un handicap. Nos filles ont certes survécu aux mètres carrés de visite, et sans se plaindre, mais nous, nous étions éreintés et agacés. Un grand musée se doit d’être bien agencé, en quelques espaces clairement délimités, sans demi-étages et entresols ; des espaces accessibles aux poussettes et aux fauteuils roulants (un handicapé ne peut probablement pas visiter le Musée de la Cour d’Or…). Le visiteur ne doit pas se perdre dans les collections ou sans cesse se référer à son plan (ou demander son chemin aux gardiens…) : chacune doit être clairement définie et signalée, et l’on ne doit pas se demander sans cesse quand elle finit ! Il est certes charmant de parcourir d’anciens bâtiments transformés en musée (trois différents, en l’occurrence), mais le parcours doit-il forcément être sinueux ? Bref, le Musée de la Cour d’Or aurait bien besoin d’être rénové (une nouvelle entrée est prévue pour 2017), en mettant au centre de ses préoccupations les visiteurs !

Si cette visite m’a déçue, elle m’a permis de mieux comprendre ce que j’attendais d’un musée, outre un accueil chaleureux (notamment vis-à-vis de mes filles) : une visite qui a un « sens », dans les deux acceptions du terme, c’est-à-dire une cohérence, mais aussi une organisation de l’espace qui me guide, qu’elle soit circulaire, linéaire ou par étages, pourvu qu’on s’y retrouve (et ce même si on est libre de s’y perdre !). J’aime les musées lumineux et spacieux, où le visiteur peut aller d’une œuvre à l’autre librement, quitte à en ignorer certaines – tout en sachant ce qu’il néglige, ce qu’il voit et où il va. En ce sens, la muséographie du Musée des Beaux-Arts de Nancy et celle du centre Pompidou-Metz (comme celle du centre parisien), malgré les différences de perspective entre leurs collections, suivent les mêmes principes et répondent aux mêmes attentes : elles offrent au visiteur une promenade au milieu d’œuvres d’art qu’il peut contempler longuement, honorer d’un coup d’œil ou carrément ignorer. Une visite aux antipodes de celles proposées par les expositions « en chambre obscure », où l’on est censé faire la queue devant chaque œuvre pour apprendre ce que le commissaire veut nous transmettre et pour comprendre la thèse qu’il développe. Entre une muséographie du savoir imposé et du mystère d’initiés, et un agencement qui permet la libre contemplation et la découverte, mon choix est fait !


Centre Pompidou-Metz
Ouvert tous les jours sauf le mardi, de 10h à 18h (19h les vendredi, samedi et dimanche, d’avril à octobre). Tarifs : 7, 10 ou 12 euros (selon le nombre d’expositions) ; gratuit pour les moins de 26 ans.
Exposition « Musicircus. Œuvres phares du Centre Pompidou », du 20 avril 2016 au 17 juillet 2017. Exposition « Sublime. Les tremblements du monde », du 11 février au 5 septembre 2016. Exposition Tadashi Kawamata, « Under the Water – Metz », du 6 février au 15 août 2016.

Musée des Beaux-Arts de Nancy
Ouvert tous les jours sauf le mardi, de 10h à 18h. Tarifs : 6 euros (réduit : 4 euros, notamment pour les 12-25 ans) ; gratuit pour les moins de 12 ans.
Exposition « Étienne Cournault (1891-1948) : la part du rêve », du 26 février au 23 mai 2016.

Musée de la Cour d’Or (Metz)
Ouvert tous les jours sauf le mardi, de 9h à 12h30 et de 13h45 à 17h. Tarifs : 5 euros ; gratuit pour les moins de 18 ans.