mercredi 17 octobre 2018

Va, cours, vole... et visite

("L'envol ou le rêve de voler" - la Maison rouge)

Ces derniers temps nous avons souvent visité des expositions peu de temps avant leur clôture, et je n'ai pas toujours eu le temps de vous en parler avant qu'il ne soit trop tard. Si je me permets aujourd'hui un article "de dernière minute", c'est qu'il ne s'agit pas seulement d'une exposition qui se termine bientôt, mais d'un lieu qui ferme définitivement à la fin du mois. Et puisque les vacances de la Toussaint approchent, si vous avez un peu de temps pour une visite onirique avec vos petits, je vous conseille de vous rendre à la Maison rouge, lieu dédié depuis 14 ans à la création contemporaine, et dont le fondateur a annoncé la fermeture définitive.

C'est un lieu plaisant que cette maison qui n'en est pas une - puisqu'il s'agit d'une ancienne usine, le nom de l'espace d'exposition lui venant d'un pavillon situé dans la cour intérieure de l'usine. Un lieu où l'on déambule, de ceux qui s'adaptent si bien aux œuvres contemporaines - et aux jeunes visiteurs. Un lieu fait de plusieurs espaces reliés par des sas ou des escaliers, où jamais l'on ne sent à l'étroit, malgré le caractère intimiste de ces salles à taille humaine. Un lieu tout de blanc vêtu, et généreusement éclairé, notamment par la courette intérieure, qui sert aussi de terrasse au petit café accueillant et convivial.

Pour cette exposition d'adieux, le thème ô combien choisi fut l'envol, le vol et le rêve de voler. Un thème traité de tant de manières que l'exposition, malgré un grand nombre d'œuvres, ne cesse de surprendre le visiteur par la variété des objets exposés : photographies, dessins et peintures,  captations de spectacles ou films anciens (le Voyage sur la Lune de Méliès), œuvres vidéos originales, installations (dont un hexagone de miroirs qui a beaucoup amusé nos filles) et sculptures (une chaise sur le dossier de laquelle reposent des ailes d'ange a particulièrement séduit nos petites visiteuses), mais aussi des machines volantes, authentiques ou imaginées par les artistes. C'est ainsi une fusée qui accueille les visiteurs depuis la cour intérieure, tandis qu'ils quittent l'exposition sous une nuée de super héros volants.

Notre cadette (3 ans et demi) a été tout particulièrement enchantée par cette visite qui répondait à sa curiosité naturelle pour ce qui est nouveau. Se laisser surprendre par la découverte d'un nouveau type d'objet - éléments d'une collection ethnographique ou engin volant à la Léonard de Vinci, "photographie" d'une sorcière écrasée sur le mur en regard du mur en question, toujours taché de sang - lever le nez vers le ciel ou s'allonger sur un pouf… c'était une véritable exploration ! Des pauses sont ménagées à divers points de l'exposition, grâce à des poufs ou mini fatboys sur lesquels les filles ont adoré s'alanguir pour se reposer, faire des grimaces ou regarder des vidéos - celle d'un homme dansant au milieu du jardin de pierres qu'il avait créé en plein désert a fasciné notre aînée. Il y a même un matelas géant qui permet aux visiteurs (trop peu à la fois, malheureusement) de regarder les vidéos de spectacles chorégraphiques projetés sur un écran suspendu au plafond ! Le corps du visiteur est ainsi sans cesse sollicité pour participer à l'envol physique et métaphorique que propose l'exposition (il y a même une installation qui propose aux adultes de prendre une posture proche de celle de l'oiseau en vol - étrange !). Plus qu'une visite, une véritable expérience, tout à fait adaptée aux jeunes enfants. Courez-y, ou plutôt volez-y !



"L'envol ou le rêve de voler", jusqu'au 28 octobre 2018 à la Maison rouge : entrée 10 euros, gratuit pour les moins de 13 ans, tarif réduit (7 euros) entre 13 et 18 ans. Des billets coupe-file sont en vente sur le site de la fnac - à tenter peut-être, nous avons fait la queue dehors 20-30 minutes un mercredi après-midi hors vacances. Ouvert tous les jours sauf lundi et mardi de 11h à 19h, nocturne le jeudi (21h).

jeudi 20 septembre 2018

Noun y es-tu ?

Alternatives ludiques au numérique

Après la publication de mon dernier article, une double frustration s'est immédiatement mise à me tarauder : d'une part, je n'avais pas trouvé de réponse satisfaisante à ma question ("Jouer ou visiter, faut-il choisir?"), ni de recette équilibrée pour un bon usage du numérique dans les musées (si tant est qu'un tel usage existe - mais je ne veux pas totalement y renoncer) ; il me semblait pourtant un tantinet réactionnaire (la suite ne va cependant pas donner de moi l'image d'une prêtresse de la modernité, je le crains) de laisser entendre qu'avec des enfants, il valait mieux se contenter d'une simple contemplation des œuvres exposées, sans fioritures numériques ou ludiques, sans faire le moindre effort, au fond, pour s'adapter aux jeunes visiteurs. J'assume volontiers mon côté "vieux jeu" (après tout, quand on enseigne les Lettres classiques, on est déjà une pièce de musée aux yeux de bien des gens, n'est-ce pas ?), mais j'ai plus de peine à renoncer à l'attention portée aux enfants : il me semble évident qu'il faut s'adapter à eux pour que la visite soit un plaisir pour toute la famille. Cette frustration s'est combinée au sentiment d'avoir manifesté dans mes dernières publications un penchant de plus en plus développé pour la critique - une critique qui s'avérait trop peu constructive à mon goût. C'était bien joli de souligner les défauts de tel dispositif ludique ou numérique proposé par les musées parisiens, tourangeaux ou danois, mais cela semblait fort mal venu de la part de quelqu'un qui n'avait rien à proposer d'autre ! J'ai donc décidé de glisser une dose d'enthousiasme dans ce nouvel article, et de vous parler des "trucs qui marchent (parfois mais pas toujours)", ou plus modestement de nos diverses tentatives pour préparer-animer nos visites de musées avec nos filles.

Les ingrédients de mes recettes sont tout ce qu'il y a de plus rétro (je vous avais prévenus), mais ont l'immense avantage de ne pas prendre beaucoup de place : qui n'a pas toujours sur soi un crayon ou un stylo (la version "maman/papa de choc" prévoyant des mini crayons de couleur, comme on en trouve parfois scotchés aux magazines pour enfants) ? Ajoutez quelques feuilles de papier ou un carnet, et vous aurez de quoi occuper vos bambins dans bien des musées. Voilà une formule que nous avons testée en voyage - nous ne partons plus sans deux carnets à dessin - mais aussi, notamment, au centre Pompidou : nous laissons nos filles s'installer devant l'œuvre qui les inspire et, tandis que l'un de nous deux fait porte-trousse et fournit les crayons au fil de leurs inspirations, l'autre peut s'éloigner le temps de parcourir (tranquille !) quelques salles, quitte à y retourner ensuite tous ensemble ; cette alternance surveillance-visite ménage un peu de temps aux parents sans léser les enfants, ravis de se laisser inspirer par les toiles exposées. Il faut cependant reconnaître que cette formule comporte quelques risques (notamment pour les oreilles) : conseil d'amie, ne vous laissez pas prendre au piège du tout-petit qui vous demande de dessiner pour lui ce qu'il se sent incapable de reproduire lui-même ; si par malheur votre œuvre ne coïncide pas avec ses ambitions (souvent exprimées dans un langage qui lui est personnel), la séance de visite dessinée vire au drame, et vous risquez l'expulsion. Autre condition - indépendante de notre volonté : cette activité toute simple nécessite de l'espace pour que l'enfant puisse s'installer sans se faire piétiner par… euh, pardon, sans gêner les autres visiteurs. Certains musées, certaines expositions temporaires dans des salles trop étriquées ne se prêtent pas du tout à la station assise ; et les gardiens de salles ne voient pas toujours cette activité d'un très bon œil, soucieux qu'ils sont de préserver les pieds des visiteurs adultes (écraser un enfant, c'est tout de même inconfortable)… pardon, je recommence, de préserver la sécurité de tous les visiteurs - lors d'une exposition au musée de l'Orangerie, alors que nous avions installé nos filles dans un angle vide de tableaux, avec juste ce qu'il fallait de recul, mais complètement hors du passage des visiteurs, le gardien nous a gentiment demandé de les faire se lever (oui, oui, gentiment, c'est assez rare pour le signaler) ; comme nous protestions qu'elles ne gênaient personne, il nous a répondu qu'une évacuation d'urgence pourrait s'avérer dangereuse pour elles, en leur faisant risquer d'être piétinées (vous voyez, je n'exagère qu'à peine !).

S'il vous manque un ingrédient pour la recette "dessiner c'est gagné", si vous ne trouvez pas un banc libre pour installer face aux œuvres les mignons popotins (ou leurs carnets - à l'Orangerie, mon aînée a trouvé la posture idéale, à genoux entre les deux courbes du banc ovaloïde qui permet de contempler les Nymphéas), il vous faut donc opter pour la position debout qui est, comme chacun sait, celle du visiteur sérieux, absorbé par les informations historiques ou esthétiques et, bien sûr, par les œuvres, qu'il contemple avant de proférer son avis d'un air inspiré (remonter la main jusqu'au menton vous donnera plus de poids en cet instant), bref, celle d'un adulte venu s'instruire, et non griffonner sur un carnet. Une position qui s'avère également très confortable quand votre enfant a reçu (par miracle!) un petit livret de visite sur lequel il est invité à écrire des réponses voire (ça s'est vu !) à dessiner. Certains musées en proposent de très beaux ou de très bien faits, comme la Cité de la musique, le musée du Quai Branly (attention, il faut penser à le demander à l'accueil !), ou encore la Cité du patrimoine et de l'architecture (mais le livret est payant). Je déplore (vous remarquerez que mon penchant à la critique n'a pas tardé à repointer le bout de son nez) que ces livrets soient encore trop souvent absents (soit parce qu'ils n'existent pas, soit parce qu'ils sont épuisés…) ou invisibles : si on ne les propose pas spontanément aux visiteurs ou si on ne les installe pas en libre accès, bien en vue, c'est comme s'ils n'existaient pas ! Et je regrette aussi que leur usage soit le plus souvent réservé, dans l'esprit des personnels de musées, aux enfants en âge de lire et d'écrire : comme si les visites de musées n'étaient possibles que pour des enfants de 7 ans et plus, comme s'il ne s'agissait que de lieux scolaires, voués à l'apprentissage, et non à la découverte, à la curiosité, à l'émotion artistique, à la promenade. Les plus petits seraient ravis de visiter un musée avec en main un livret qui les guiderait, les inviterait à regarder quelques œuvres, et transformerait l'exposition en jeu de piste ! Mes filles ont régulièrement fait cet usage des dépliants fournis plus spontanément à l'entrée des musées ou expositions, dont ils signalent les incontournables : la visite devient alors un "cherche et trouve" géant, ma grande (6 ans et demi) manifestant toujours la même joie quand elle a trouvé une œuvre reproduite sur ce type de plaquette. Une recette reprise par le musée d'Orsay, qui propose plusieurs dépliants-posters (attention, il faut les demander, juste après avoir pénétré dans le musée, à l'accueil situé sur la gauche, où ils sont jalousement rangés dans une étagère et distribués avec parcimonie) : chacun offre une sélection d'œuvres regroupées autour d'un thème ; le support est peu pratique, les sujets un peu bébêtes ("princes et princesses", "héros", "sports de combat") et pas complètement adaptés au contenu du musée, mais l'idée est bonne (parcourir le musée à la recherche de quelques œuvres que l'on regardera de plus près), et d'autant plus bienvenue dans un si grand musée.

Crayons, carnets ou livrets, tout cela, allez-vous me dire, n'est pas bien original. Mais s'il reste de la place dans votre sac à dos à côté du goûter, j'ai plus ringard encore à vous proposer : glissez-y un livre ! Certains ouvrages peuvent à la fois permettre de préparer la visite avec vos enfants, et les accompagner ensuite à travers le musée. Ils ont cet avantage sur les dépliants et autres posters d'avoir été à votre disposition chez vous ou pendant votre trajet dans les transports en commun, mais aussi de fournir aux jeunes visiteurs des informations susceptibles d'attiser leur curiosité. Il existe évidemment pléthore de livres pour enfants consacrés aux plus grands musées français ; beaucoup sont cependant très riches, à la fois en images et en informations, et donc peu adaptés aux plus jeunes. On retrouve encore une fois dans ces documentaires l'approche scolaire qui est, en France, celle du contact que les enfants ont avec les musées (même si aujourd'hui Vigipirate empêche la plupart d'entre eux de s'y rendre avec leur classe, en tout cas en primaire). A les lire, on a l'impression que visiter un musée n'est intéressant que lorsqu'on étudie l'Histoire et que l'on commence à en maîtriser les principales périodes, ce qui intervient assez tard finalement. Je vous proposerai, à rebours de cette approche, des ouvrages qui invitent les enfants non pas à apprendre, mais à rêver et à voyager grâce aux œuvres exposées dans les musées. Il existe ainsi une collection très bien faite, écrite par l'excellente Marie Sellier, dont chaque volume est consacré à un musée en particulier, les titres déclinant la formule Mon petit Louvre / Orsay / Versailles etc. Je suis loin de les avoir tous explorés, mais la formule est plaisante autant qu'efficace : le livre commence comme un inventaire à la Prévert ("Au Louvre, il y a..."), rythmé par la répétition des "il y a" qui l'apparente à une poésie ; chaque double page présente une œuvre du musée, photographiée d'un côté, et décrite de l'autre - encore que décrire ne soit pas le terme approprié. Dans Mon petit Louvre, par exemple, ce sont souvent les œuvres ou les personnages qu'elles représentent qui parlent à la première personne ; le court texte qui accompagne chaque œuvre amène l'enfant à se poser des questions, à regarder de plus près un détail, à interroger ses propres sensations ou émotions. On est donc très loin d'une description informative ou technique : en lisant ces petits livres on se promène déjà dans le musée comme dans un monde imaginaire peuplé de personnages mystérieux ou fascinants. Leur lecture prépare très bien l'enfant à sa visite, en lui donnant envie de voir les œuvres "en vrai", et en ménageant le plaisir de la reconnaissance une fois sur place. Et nous avons également emporté certains de ces ouvrages lors de nos visites, au musée Guimet notamment, où notre aînée a pris goût pour ce jeu de "cherche et trouve" qu'elle reproduit aujourd'hui avec les dépliants des musées. La recette rencontre un peu moins de succès dans les grands musées, soit parce qu'on ne les parcourt jamais en entier (comme le Louvre, mais reconnaître les œuvres découvertes auparavant lors de la lecture reste un plaisir, même s'il est moins répété), soit parce que les œuvres exposées subissent une rotation qui rend le livre vite obsolète (c'est notamment le cas de Mon petit Centre Pompidou). Dans ce cas, emporter l'ouvrage dans son sac est moins indispensable, mais il reste une bonne porte d'entrée dans la visite que vous projetez de faire avec votre enfant.

Il est également possible de laisser une part plus grande à l'imaginaire dans cette préparation de visite par les livres. Nous avons rencontré un grand succès de ce côté avec le livre qui m'a inspiré le titre de cet article, Petit Noun. Il appartient à une autre merveilleuse collection de livres sur l'art destinés aux enfants, la collection "Pont des arts" aux éditions de L'Elan vert, qui compte aujourd'hui 60 ouvrages, la plupart consacrés à une œuvre qui inspire à la fois l'auteur et l'illustrateur pour la création d'une histoire et d'un univers originaux (l'œuvre inspiratrice est toujours reproduite à la fin de l'ouvrage, et l'enfant découvre avec étonnement qu'il a en fait voyagé à l'intérieur d'une œuvre d'art célèbre ou vers elle). Petit Noun est un hippopotame bleu qui vit sur les bords du Nil en des temps immémoriaux ; il a accompagné un ami humain dans la tombe, mais sort un jour de l'oubli pour un voyage initiatique qui l'amène à rejoindre les siens dans une vitrine d'un célèbre musée parisien. L'histoire et les illustrations, toutes douces et poétiques, ont immédiatement séduit notre aînée, alors qu'elle avait 2 ans et demi. Retrouver petit Noun dans sa vitrine est devenu alors une sorte de pèlerinage, nous rendions visite à un ami pour lui remonter le moral - "il est tout seul, il est triste". Cet attachement affectif, qui nous forçait parfois à traverser tout le musée juste pour voir petit Noun avant de partir, a duré assez longtemps, et participe peut-être de la tendresse toute particulière que nous avons tous pour les visites au Louvre : en même temps qu'un lieu de promenade agréable à parcourir (si l'on sait éviter les sections surpeuplées pour privilégier, par exemple, la section "sculpture française", toujours tranquille), le musée était un lieu de retrouvailles avec un personnage aimé, avec un imaginaire porté par un joli livre que nous avions plaisir à relire à la maison. Récemment mon mari l'a emporté avec lui alors qu'il visitait le Louvre avec notre aînée et certains de ses camarades (il s'agissait d'une visite en famille dans le cadre d'un projet d'école, pas d'une visite scolaire), et il a remporté un franc succès en le lisant face à la vitrine pour ma fille et l'une de ses copines (qui ne connaissait pas le livre). Les enfants apprécient toujours les visites contées que nous avons pu tester (à la Cité de la musique ou au Quai Branly, par exemple, mais nous en avons croisé de nombreuses, tout aussi attirantes, au musée Guimet par exemple, ou à la Fondation Vuitton) - alors pourquoi pas des visites-lectures ?


Collection "Mon petit…", ouvrages de Marie Sellier publiés par la Réunion des musées nationaux : 10 opus consacrés à des musées parisiens (et Versailles), conseillés à partir de 5 ans (mais on peut les lire avant !) - 10 euros ; auxquels s'ajoutent 3 opus consacrés à des peintres (Cézanne, Matisse, Degas), conseillés à partir de 8 ans ; prix entre 12 et 13,50 euros.

Collection Pont des Arts : ouvrages de divers auteurs (un tandem auteur-illustrateur), consacrés à une œuvre précise le plus souvent, le choix d'œuvres allant de la préhistoire à Pompon, en passant par Monet, Bosch ou Delacroix ; plusieurs volumes sont consacrés à des œuvres présentent au Louvre (outre Petit Noun, la Joconde, Le Radeau de la Méduse, La Liberté guidant le peuple), mais l'impressionnisme et l'art moderne ne sont pas négligés, chaque période historique se voyant consacrer au moins un ouvrage ; âges conseillés divers selon les volumes ; prix autour de 14-15 euros.

mercredi 12 septembre 2018

Touché coulé : écrans tactiles et autres gadgets


Interactif. C'est l'adjectif à la mode, l'impératif qui doit s'imposer, à l'école comme dans les musées, pour que les visiteurs ou les enfants ne se sentent pas passifs, pour qu'ils s'approprient la culture et le savoir. Jusqu'aux publicités qui interagissent avec les usagers du métro parisien, comme pour leur donner le sentiment d'avoir prise sur les écrans, alors que tant de choses leur échappent.

Même les musées qui font le minimum d'efforts en termes d'accueil du public et de modernisation de leur muséographie - comme le Louvre, qui n'a pas besoin de ça pour attirer les touristes - se peuplent d'écrans tactiles : si présents que mes filles tentent de faire glisser le contenu du moindre cartel un peu lumineux à leur portée, ces nouveaux gadgets remplacent aujourd'hui les sempiternels audioguides. Ne vous méprenez pas, je ne juge pas ces outils forcément inutiles : ils apportent souvent beaucoup d'informations - que l'on s'empresse cependant d'oublier, à moins d'être un spécialiste. Les mieux faits d'entre eux attirent le regard sur des détails et invitent à observer autrement les œuvres. Mais j'avoue que j'ai depuis longtemps renoncé aux audioguides - d'autant plus si je visite avec mes filles, mais même sans elles - car ils sont chronophages, me donnent mal à la tête et contraignent trop le rythme de ma visite. Ils tendent de plus à m'isoler de mes compagnons, avec lesquels j'aime bien échanger sur ce que je vois, même de manière superficielle : faudrait-il sacrifier l'interaction sur l'autel de l'interactivité ?

Les écrans et l'interactivité 2.0 ont des effets similaires : j'avais déjà constaté à Bordeaux et Biarritz que le tout-interactif a ses limites (techniques, notamment), et isole les visiteurs tout autant que les audioguides. Certes, on peut être plusieurs devant un écran tactile, mais un seul a la main, et les enfants, qui n'en maîtrisent pas forcément le fonctionnement, s'empressent de le manipuler, à tort et à travers parfois ; si un visiteur inconnu est installé devant l'écran, il faut attendre son tour, les regards curieux (surtout ceux des enfants) étant souvent perçus comme indiscrets. Pourtant, un écran installé dans un espace public comme le musée pourrait être un support d'échange, de partage ; mais nous sommes si habitués à être seuls sur nos Smartphones et tablettes que nous reproduisons cette solitude sans y penser. Quant à se servir de l'écran tactile en famille, cela fonctionne parfois, mais c'est tellement moins facile que de parler d'une œuvre que l'on regarde tous : il faut se serrer autour de l'écran, canaliser les envies de toucher à tout, partout, et souvent expliquer ce que montre/dit l'écran. Bref, beaucoup d'énergie dépensée. Pour que cela en vaille la peine, il faut que le contenu et la mise en place de l'écran soient optimisés : par exemple, dans la section très récente des arts de l'Islam, au Louvre, des écrans permettent de connaître les étapes de fabrication de certains objets exposés ; le contenu - texte et images - est clair, accessible, pas très long ; mais les écrans n'ont pas toujours été positionnés face aux œuvres, et il faut parfois chercher l'objet concerné (quand il n'est pas absent), et se tordre pour l'avoir dans son champ de vision quand on est devant l'écran.

Expérience interactive au Musée national
du Danemark (Copenhague), rendue
compliquée par la manipulation précipitée
de notre aînée, qui avait réglé l'activité…
en danois !
A ces détails pratiques s'ajoute le risque de dysfonctionnements techniques : les écrans bloqués ou qui ont des sautes d'humeur ne sont pas rares. L'interactivité se mérite, elle naît parfois dans les tâtonnements, voire les échecs - comme semble le penser Claude Clovsky, concepteur de la dernière installation de la Galerie des enfants à Beaubourg : il invite en effet les enfants à interagir avec un immense écran, à l'aide de formes en mousse censées provoquer chacune une réaction différente à l'écran (apparition d'une forme, d'une couleur, etc.) ; le problème, c'est que cela ne fonctionne pas du tout, si bien qu'à notre dernière visite le petit guide qui expliquait les effets produits par chaque forme avait été retiré, les hôtesses avouant que le constat avait été fait par le concepteur comme par les visiteurs de l'absence de réaction - du moins de celles prévues - à la mise en mouvement des fameuses formes en mousse ; seule la fonction effacer semble fonctionner comme prévu ! On nous a expliqué que c'était tout à fait dans l'esprit du concepteur, qui explore les failles de l'interactivité, se plaît à créer des pages web ratées, à mettre en scène l'effort que devrait supposer toute interactivité - au rebours de la facilité qu'on lui attribue trop souvent. Belle idée, mais sans doute peu adaptée au jeune public : les petits visiteurs, ne pouvant identifier les effets de leurs actions sur l'écran parmi les multiples images générées automatiquement par un ordinateur, s'en désintéressent bien vite et se mettent à empiler les arobases et les hashtags en mousse dans un jeu de construction plus familier, et moins virtuel.

Mais au-delà des failles techniques et pratiques de la mise en place d'écrans tactiles, leur principal défaut est à mes yeux leur trop grand pouvoir d'attraction, qui les rend aptes à détourner l'attention des enfants des objets qu'ils ont physiquement sous les yeux, pour leur préférer des images mouvantes mais virtuelles : au Louvre, il nous fut parfois difficile de détourner l'attention de nos filles de l'écran ne serait-ce que pour leur montrer l'objet exposé concerné par la vidéo. Je rageais de les voir happées par les images alors qu'elles avaient à portée de regard des objets magnifiques. Pire, quand un espace d'exposition est peuplé d'écrans, ceux-ci accaparent les enfants et leur font complètement oublier ce qui les entoure : au Louvre, la visite s'est transformée en quête du prochain écran ; une expérience qui s'était déjà produite à la Grande Galerie de l'évolution, alors que les objets à observer n'étaient pas des coupes ou morceaux de faïences, mais des animaux naturalisés, plus susceptibles d'intéresser les petits. Une amie a vécu la même chose avec ses nièces : impossible de les décoller des écrans pour les ramener face aux animaux. Pourtant, mes filles sont tout sauf des geeks addicts aux écrans : elles n'ont jamais nos téléphones en main, la tablette de leur père sert seulement aux dessins animés en vacances ; la grande a une tablette pour enfants dont elle se sert à peine, et leur dose de télévision n'est pas illimitée. Cela ne les empêche pas d'avoir compris le fonctionnement des écrans tactiles, comme si elles étaient nées une tablette en main ! Et de goûter les plaisirs de l'interactivité au point d'en oublier le reste, et ce qui nous paraît, à nous adultes, l'essentiel de la visite : les œuvres.

Je ne sais s'il faut attribuer ce pouvoir d'attraction au caractère interactif des écrans tactiles, ou s'il n'est pas plutôt l'apanage de toute image en mouvement. Au musée du Quai Branly, de nombreuses petites télévisions sont disséminées dans tout l'espace d'exposition (certaines, tactiles, offrent un choix de langues et de vidéos) ; parfois cachées dans de petites grottes secrètes, elles séduisent d'autant plus qu'on les contemple caché (et seul, encore une fois) ; mais leur contenu (et leur fonctionnement, pour les écrans tactiles) n'est pas adapté aux non-lecteurs (et je dirais même aux enfants), beaucoup de vidéos étant sous-titrées ; c'est dommage car, encore une fois, ce média attire les plus jeunes et pourrait être l'occasion de leur faire comprendre la fonction des objets exposés, en montrant les rituels dans lesquels ils interviennent. En l'absence de cet effort de pédagogie, j'ai encore une fois perçu ces écrans comme un frein à notre visite et des occasions régulières de mini-conflit du type "allez, on y va" qui s'éternise. Il faut penser aux enfants quand on installe ce genre d'outils dans un musée, mais aussi à leurs parents !

Comme les audioguide, finalement, les écrans influent sur notre rythme de visite et tendent à atomiser le parcours dans le musée : coups d'accélérateur quand l'enfant court d'écran en écran, les parents peinant à le suivre tout en jetant un œil rapide (et frustré) sur les objets exposés, et effets de ralentissement quand on peine à décrocher l'enfant de l'écran ; parents et enfants regardent trop souvent dans des directions différentes, et l'on y perd en partage - en interaction.

Des effets similaires se produisent cependant quand les musées testent des dispositifs ludiques qui proposent d'autres types d'interaction - on ne peut accuser les écrans de tous les maux ! Je l'ai observé il y a trois ans lors d'une visite du Musée des Beaux Arts de Tours, qui fut ponctuée par la découverte de "box" (sic) destinées aux enfants (à partir de 3 ans - elles sont toujours en place actuellement) ; mon aînée, qui avait alors 3 ans (la cadette, encore tout bébé, n'était pas encore pour moi un visiteur cobaye-sujet d'observation), a adoré jouer à la dînette avec les légumes censés lui permettre de reconstituer une nature morte, se déguiser comme les personnages des portraits XVIIIe siècle (perruque poudrée comprise), faire un puzzle en regardant le tableau qui lui servait de modèle, ou encore scruter à la loupe une toile italienne pour trouver des détails cachés. Nous étions nous aussi enthousiastes face à ce dispositif qui manifestait une volonté de bien accueillir les tout-petits et leurs familles… jusqu'à ce que la visite se transforme en grande quête des boîtes à surprises : dès qu'elle entrait dans une salle, notre fille cherchait la nouvelle "box" et n'était absolument pas réceptive à nos invitations à venir observer telle ou telle œuvre ; si la salle recelait une activité, elle s'y plongeait longuement (nous laissant ainsi contempler la salle à notre aise, certes, mais ignorant tout ce qui n'était pas la "box") ; sinon, elle nous traînait vers la salle suivante. Finalement, notre enthousiasme initial s'est teinté d'un peu de frustration et d'énervement : c'est dommage de devoir batailler pour que votre enfant admire deux-trois chefs d'œuvre, avant de se plonger dans une activité ludique ! Jouer ou visiter, faudrait-il donc choisir l'un au détriment de l'autre ?

Notre récent voyage au Danemark m'a replongée dans cette interrogation, et j'ai de nouveau constaté combien il était difficile de trouver une bonne formule qui combinerait visite et ludisme : séparer espace de visite et espace de jeu, comme le font les Danois, semble une bonne idée a priori, et préserve un vrai temps pour la visite ; mais cela laisse tout de même l'impression diffuse que le musée à proprement parler n'est pas un lieu pour les enfants, qui s'y ennuient en attendant de pouvoir aller jouer. Mêler visite et ludisme est périlleux, l'équilibre à trouver acrobatique : à Tours, les boîtes étaient plutôt bien faites (certaines destinées aux plus jeunes, d'autres plus difficiles pour notre fille de 3 ans) ; y en avait-il trop ? Etaient-elles trop proches des jeux habituels des enfants (dînette, puzzles, déguisements) ? Encore aujourd'hui je ne saurais dire ce qui n'allait pas, mais je suis sortie de cette visite un peu déçue finalement. Le Musée national du Danemark, à Copenhague, proposait une autre formule avec ses "boredom buttons" également destinés aux enfants : disséminés dans le musée (paraît-il, car nous n'en avons trouvé que deux), ils déclenchaient, quand on les pressait, une animation qui envahissait l'espace d'exposition aussi bien sur le plan sonore que visuel ; près du chariot du soleil, la pièce toute entière était ainsi plongée dans l'obscurité pour permettre aux visiteurs de regarder sur le mur du fond une projection animée mettant en scène un récit de type mythologique de la naissance de ce symbole ; dans une salle consacrée aux armes, c'est le bruit d'une canonnade qui retentissait dans toute la salle, pendant qu'un trou virtuel apparaissait dans l'un des murs, face au canon que nous étions ainsi invités à regarder de plus près - si l'on n'était pas effrayé par le vacarme (bien réel, lui) qu'il était censé produire ! Je ne peux émettre un jugement général à partir de ces deux seules expériences (et j'avoue que cette fois, c'est moi qui ai guetté les boutons de salle en salle, en vain !). Mais mes filles n'ont pas semblé plus séduites que cela (la petite a même été apeurée par le canon) et nous avons trouvé que ces effets spéciaux gênaient l'observation des œuvres (gêne qui s'imposait d'ailleurs aux autres visiteurs présents au même moment dans la salle, obligés d'attendre pour pouvoir contempler le chariot du soleil, une des pièces maîtresses de la collection du musée). Nos filles se sont davantage amusées des armures à soupeser installées à proximité des véritables cottes de maille.

Introduire du ludisme sans gêner les visiteurs adultes, sans non plus parasiter la visite des enfants et les détourner complètement des œuvres, amuser et instruire tout en laissant libre le rythme de visite des familles, voilà le défi lancé aux musées du XXIe siècle. Pas sûr que ce soient des écrans et autres gadgets 2.0 qui permettent de le relever !


Claude Clovsky, "Une enfant de 5 ans en ferait autant", Galerie des Enfants du Centre Pompidou, du 14 avril au 24 septembre 2018 : à partir de 4 ans ; accès avec le billet du musée.

Musée des Beaux Arts de Tours : ouvert tous les jours sauf le mardi, de 9h00 à 12h45 et de 14h00 à 18h00 ; entrée 6 euros, tarif réduit (notamment pour les 12-18 ans) 3 euros, gratuit pour les moins de 12 ans et le premier dimanche du mois.

Musée national du Danemark : ouvert tous les jours (sauf le lundi de septembre à juin), 10h-17h : le musée des enfants est ouvert de 10h à 16h30 ; entrée 95 kr. (environ 13 euros), ticket famille 80 kr. (environ 11 euros), gratuit pour les moins de 18 ans.

mercredi 22 août 2018

Promenades ludiques - ou les bonnes surprises du mois d'août à Paris

(Fondation Vuitton, exposition "Au diapason du monde" ; Palais de Tokyo, "Enfance - Encore un jour banane pour le poisson rêve")


Attention, ces expositions se terminent très prochainement !


"Trois semaine en août à Paris ! Mais qu'est-ce que vous allez faire ?" s'était inquiété mon dentiste, après s'être enquis du planning de mes vacances. "Nous reposer et nous promener un peu", avais-je répondu (ou à peu près). A l'issue de ces jours qui semblaient devoir être interminables à mon cher dentiste, le programme prévu a été rempli : repos après la canicule danoise (et ses multiples musées), fraîcheur aquatique pendant la canicule francilienne, et surtout quelques virées musée à Paris pour se désennuyer des deux autres ingrédients. Car c'est bien dans des musées que nous nous sommes promenés : au Louvre, où il faisait trop froid, à Beaubourg, où il y a toujours à faire - nous sommes fidèles à nos valeurs sûres. Mais nos meilleures promenades ont eu lieu dans deux musées dédiés à l'art moderne et contemporain - car c'est encore dans ce type de musées que l'on déambule le mieux.

Et quoi de mieux, avec des enfants, que de transformer la visite d'une exposition en promenade ? C'est ainsi par exemple que nous avons abordé nos premiers pas au Louvre avec nos filles : un rythme tranquille, la liberté de s'arrêter devant ce qui plaît, d'ignorer ce qui n'attire pas l'œil. Mais la foule des visiteurs et l'étroitesse des salles d'exposition ne rendent pas toujours possible ce mode de visite. Il faudrait repenser l'espace de certains musées pour les rendre plus accueillants aux familles. J'ignore si c'est cet objectif qui a présidé à la construction et à l'organisation des musées les plus récents, mais je suis toujours frappée par la conception particulière de l'espace qu'illustrent les musées d'art contemporain - comme le Mac Val par exemple. Cet été, nous l'avons vérifié dans deux musées que nos filles visitaient pour la première fois : la Fondation Vuitton et le Palais de Tokyo. Et les deux expositions, qui ne nous attiraient pas forcément au départ, se sont révélées de vrais coups de cœur pour toute la famille.

La Fondation Vuitton a séduit nos filles dès le premier regard, dès l'extérieur : la grande avait déjà réclamé d'y aller en voyant une photo du musée habillé par Buren (c'était il y a deux ans, la Fondation a retrouvé sa transparence depuis) ; la petite a salué notre arrivée en face du bâtiment par un "il est zoli le musée". Une architecture futuriste et lumineuse qui attire l'œil et le visiteur. Le Palais de Tokyo, d'ordinaire plus discret dans le paysage parisien, a joué lui aussi la carte de la séduction de façade, avec la maison de poupée géante qui habille son entrée : le visiteur traverse le rez-de-chaussée pour accéder au musée, et peut même feuilleter les livres de la bibliothèque rose et verte qui y est installée. D'emblée, là aussi, nos filles étaient séduites.

Et la comparaison ne s'arrête pas là. Si les deux bâtiments sont très différents (le Palais de Tokyo date de 1937 !), on y trouve les mêmes salles vastes et sans fenêtres, mais claires malgré tout grâce au blanc de leurs murs et à l'éclairage artificiel, claires aussi parce qu'elles ne sont pas chargées d'œuvres à l'excès. Des salles où l'on déambule librement, où l'art ne se contente pas d'être accroché, mais se trouve au sol, au centre de la salle, ou dans des recoins parfois obscurs. Le passage même d'une salle à l'autre est l'occasion d'une promenade, que l'on traverse des couloirs vitrés, emprunte des ascenseurs jusqu'aux terrasses de la Fondation, ou que l'on monte et descende dans les différents sous-sol du Palais de Tokyo, qui est un vaste labyrinthe. Promenade ou exploration, la visite de ces deux musées laisse suffisamment de liberté à son visiteur pour qu'il ait l'impression de se l'approprier : dans l'exposition "Au diapason du monde", chaque étage constitue un ensemble cohérent, et même si un livret les numérote, rien n'empêche de les aborder dans l'ordre que l'on souhaite ; au Palais de Tokyo, certains espaces offrent de multiples sorties ou entrées, portes dérobées et passages secrets qui invitent à revenir sur nos pas pour tout voir. La visite se vit comme la traversée d'espaces successifs, salle de classe déjantée, escaliers hantés de lustres étranges, portes menant vers le mystère (il y a même un rideau qui s'abat d'un coup à votre passage) - une aventure pleine de surprises.

Les œuvres exposées elles aussi s'offrent à la libre interprétation des visiteurs, dans un ensemble qui n'a pas grand-chose à voir avec les expositions des institutions habituelles, que ce soit Beaubourg ou Orsay, où le parcours balisé d'une salle à l'autre correspond à un exposé thématique, chronologique ou logique, une démonstration que l'on est prié de suivre (mais où l'on se perd parfois). Cette liberté va même jusqu'au flou artistique : je serais bien en peine de vous dire précisément quel était le fil conducteur de l'exposition intitulée "Au diapason du monde" - le titre lui-même annonçait les fumées de la métaphore - qui est en fait une sélection d'œuvres du fonds de la Fondation ; quant à "Encore un jour banane pour le poisson rêve" (sous-titre de la saison Enfance ? j'avoue n'avoir pas très bien compris la différence), l'exploration de la notion d'enfance est si vaste que l'on peut projeter ce que l'on veut sur certaines œuvres - comme cette pièce dont les parois de bois se déforment et se resserrent, simulant un isolement et un enfermement anxiogène grâce à un mécanisme que l'on découvre en sortant. D'autres œuvres parlent plus clairement d'enfance, mais les manières sont si diverses que chacun peut y trouver une voix qui le touche : ici des sculptures de métal en forme d'aire de jeux, là des clowns étincelants installés, assis ou couchés, dans une vaste salle ; ailleurs des vitraux explorant les créatures monstrueuses ou fantastiques de l'imaginaire qui berce ou effraie l'enfance, ou encore d'étonnantes fleurs et cactus de papier plissé - plusieurs artisans d'art (plisseur, sculpteurs, ébéniste, etc.) sont ainsi mis en vedette dans l'exposition.

L'imaginaire de l'enfance est aussi exploré par plusieurs projections vidéos : un magnifique montage de Rachel Rose (Lake-valley) mêlant animation et collage, réalisme et onirisme, suit les tribulations d'un animal de compagnie hybride (mi-lapin mi-chat mi-renard), passant sans transition de la solitude d'une banlieue américaine à celle des rêveries de l'enfant ; nos filles ont également été fascinées par Disco Beast de Jonathan Monaghan, qui montre en boucle le voyage  initiatique d'une licorne psychédélique, de sa renaissance dans les toilettes disco d'un Starbucks masqué dans un immeuble montgolfière, à son meurtre par un chargeur Samsung au milieu d'un centre commercial impersonnel et glacial comme on en voit dans les jeux vidéos.

Quelques vidéos ponctuent également l'exposition de la Fondation Vuitton. Sur le palier de l'étage consacré à Takashi Murakami, une télé projette des épisodes d'un dessin animé dont les personnages se retrouvent dans les salles avoisinantes, sous forme de sculptures géantes entourées d'un papier peint à fleurs du plus pur kitsch.  Les petits films explorent sur le mode parodique-caca-prout l'esthétique du Kawaii (qu'on peut traduire par "mignon") que l'artiste japonais revisite dans ses œuvres. Mais le plus impressionnant est sans doute la série de fresques où Murakami réinvestit la mythologie japonaise pour évoquer le traumatisme du tsunami. Aux autres étages le dialogue entre les œuvres ne repose pas sur un artiste unique ou sur une communauté thématique (du moins qui soit évidente). C'est l'œil du visiteur qui produit la rencontre entre Giacometti et Klein, entre Matisse et une sculpture de Kiki Smith. Dans une autre salle c'est l'aquarium préhistorique de Pierre Huyghe (Cambrian explosion) qui sert de point de rencontre des regards et des œuvres qui s'y reflètent. Si "Au diapason du monde" ressemble un peu plus à une exposition traditionnelle que "Encore un jour banane pour le poisson rêve", qui relève plutôt de la mise en espace, ou de la mise en scène d'un espace protéiforme, on retrouve à la Fondation Vuitton le même type d'affinités subjectives entre les œuvres, ces échos secrets, ces résonances à construire soi-même. Et petits comme grands peuvent se prendre au jeu.

Un autre point commun entre ces deux musées est le bon accueil qu'ils réservent aux familles : au Palais de Tokyo, nos filles se sont vu offrir un livret-dépliant aussi mystérieux que l'exposition (j'avoue que nous ne l'avons malheureusement pas exploité, il semblait s'agir d'un journal intime), ainsi que d'une mini-boîte de crayons ; passée la frustration de trouver l'espace enfants fermé, elles ont été ravies de colorier sur la grande table prévue à cet effet près de l'entrée de l'exposition - des cahiers de coloriage pour adultes sont mis à disposition des visiteurs, petits et grands, qui les colorent successivement, une chouette idée que ces coloriages collaboratifs avec des inconnus ! À la Fondation Vuitton, nous avons croisé beaucoup de bambins, dont de tout petits qui participaient à une visite-conte-atelier à travers les œuvres de Murakami, captivés par leur charmante guide qui les emmenait comme dans une aventure ponctuée de pauses comptines ou histoires, et les invitait à observer d'une manière ludique (cueillir des fleurs avec les yeux...). Mais la bonne idée de la Fondation Vuitton est sa communivation directe avec le jardin d'acclimatation, auquel le billet d'entrée de la Fondation donne accès (l'entrée est payante sinon ; il ne reste plus qu'à débourser "quelques" euros pour les attractions !). Plusieurs familles, dont la nôtre, prolongeaient la promenade dans le jardin d'acclimatation : un musée, un pique-nique, et tournez manège !


Palais de Tokyo - Saison Enfance : ouvert tous les jours sauf le mardi, de midi à minuit ; entrée 12 € (tarif reduit 9 €), gratuit pour les moins de 18 ans ; exposition jusqu'au 9 septembre.

Fondation Louis Vuitton : ouvert tous les jours sauf le mardi, de 12h à 19h en semaine (21h le vendredi), de 11h à 20h le week-end ; entrée 14 € (tarif réduit 10 €), 5 € pour les moins de 18 ans, gratuit pour les moins de 3 ans ; tarif famille 32 € (jusqu'à 2 adultes et 4 enfants) ; exposition jusqu'au 27 août

vendredi 17 août 2018

Quelque-chose à redire au royaume du kids friendly (mais si peu)

(Copenhague et ses environs)


Vous l'aurez compris, mon mari et moi aimons les musées et ce que l'on peut appeler plus globalement les visites culturelles, et estimons que nos filles (aujourd'hui 3 et 6 ans)  peuvent également les apprécier. Si ces visites ponctuent notre année, elles sont évidemment au programme quand nous partons en vacances, en France comme à l'étranger. L'été, nous tentons de trouver un compromis entre les plaisirs culturels et les joies de la plage - un pari gagné haut la main cette année grâce à Copenhague, où nous avons trouvé un équilibre si parfait que nous craignons d'avoir toutes les peines du monde à l'égaler l'année prochaine ! Et ce qui n'a pas peu contribué à cette réussite (1), c'est le souci quasi constant, dans les institutions culturelles, de bien accueillir les enfants. Au zoo de Copenhague (exceptionnel à mes yeux, mais je n'ai pas beaucoup de points de comparaison), où le parcours était régulièrement ponctué d'aires de jeux et de points de restauration (parfois combinés, comme dans la partie "Savane", où l'aire de jeux est gigantesque, idéale pour dégourdir les jambes des petits pendant que Papa ou Maman fait la queue pour commander le repas), cela était frappant  : les Danois ont un certain talent pour penser à hauteur d'enfant. Et pour penser aux enfants, tout simplement, dans des lieux où l'on y pense si peu en France et ailleurs (en Europe en tout cas) : des nombreux musées et châteaux que nous avons visités, seuls deux (la Glyptothèque de Copenhague et le château de Rosenborg - mais les bijoux de la couronne suffisaient à faire briller les yeux de nos deux choupettes) n'avaient pas leur coin enfant. Et quand je dis "coin", c'est un euphémisme qui qualifie bien mal la plupart des espaces dédiés aux plus jeunes dans les musées et châteaux danois : le plus modeste était celui du château de Kronborg à Helsingborg - alias Elseneur - qui proposait à mi-parcours deux grandes tables, l'une dévolue aux coloriages (sur la thématique des princes et rois danois), l'autre aux constructions en Lego - sans oublier les échasses et chevaux de bois mis à disposition de tous (les adultes ne se privaient pas) dans la cour. Pour un château danois, c'était vraiment le minimum syndical.

Au Louisiana, musée d'art moderne situé à quelques kilomètres de Copenhague, c'est un véritable royaume qui est consacré aux enfants : un espace à part organisé sur pas moins de trois étages, avec au minimum 5 activités différentes proposées (coloriages pour les plus petits, peinture, argile, architecture et, pour les plus grands, conception de sa propre police), la plupart articulées soit avec le cadre du musée lui-même (son architecture moderne, les sculptures qui ornent son jardin), soit avec les expositions en cours (par exemple, un "tutoriel" permettait aux apprentis peintres de produire un paysage à la manière de l'artiste allemande Gabriele Münter, exposée cet été). Toute liberté est laissée aux enfants de circuler de table en table, d'étage en étage, dans un espace vaste, clair et lumineux, le tout avec vue sur le jardin du musée - ce royaume des enfants (notons que certains parents s'essayaient aussi aux activités créatives) est bien à l'image du musée lui-même, dont les salles se fondent dans le cadre verdoyant du parc, qui est lui-même un lieu d'exposition en même temps que de promenade, de pique-nique et de jeu (nous avons joué à chat sur les pelouses en contrebas, avec d'un côté vue sur les mobiles de Calder qui ornent la terrasse du café du musée, de l'autre vue sur la mer) ; les multiples espaces d'exposition communiquent régulièrement avec l'extérieur, que ce soit par des baies vitrées qui font entrer la lumière et la verdure dans la pièce, ou grâce à ce salon dédié à la contemplation de la mer et de livres d'art ; de même que le parc surgit au détour des couloirs, l'art se cache dans les recoins du parc, dont certains sont accessibles grâce à un toboggan géant. Les grands retrouvent leur âme d'enfant tandis que les petits trouvent leur place, dans le parc et dans le musée comme dans l'espace qui leur est dédié. Si vous ajoutez qu'en contrebas du parc se trouve une plage à laquelle on accède par une sortie spéciale (attention, on ne peut plus retourner dans l'enceinte du musée ensuite), vous comprendrez que la journée que nous avons passée au Louisiana (dont plus d'une heure dans l'espace enfant) fut un pur bonheur pour nous quatre, et un bon condensé des plaisirs combinés de ce séjour estival.

S'il est peut-être devenu habituel que le ludisme et l'enfance trouvent leur place dans un musée d'art moderne (je pense notamment à la Galerie des enfants du Centre Pompidou, à Paris), il est par contre plus surprenant de rencontrer des espaces dédiés aux plus jeunes dans des musées d'art ou d'histoire. Pas à Copenhague, où la galerie nationale (ou musée national d'art, SMK), qui propose une riche collection d'art européen, des chefs d'œuvre des maîtres italiens au plus contemporain, en passant par la peinture française des débuts du 20e siècle, dispose également de son espace enfant (payant, environ 4,50 euros par enfant), véritable caverne d'Ali Baba du créatif, où une profusion de crayons, pots de peinture, ciseaux, pistolets à colle et tabliers entourent de grandes tables et quelques chevalets. Cette semaine-là, le thème proposé était le noir et blanc, et ces deux seules (non-)couleurs se retrouvaient dans les diverses activités, que ce soit la peinture (nous avons testé bien des nuances de gris avec la plus petite), la pâte à modeler, ou la construction (avec des planchettes de bois, la petite a créé un fauteuil, la grande une maison avec jardin). Le thème change chaque semaine, ce qui révèle un souci pédagogique similaire à celui du Louisiana, bien que réalisé différemment, la même liberté de mouvement et de création étant par ailleurs observée (dans les deux musées, les animateurs se contentaient essentiellement d'accueillir les visiteurs et de remplir les pots de peinture, ce qui était au départ légèrement déconcertant). Inutile de dire que, là comme au Louisiana, nos filles sont sorties enthousiastes de leur passage à l'espace enfant, qu'elles attendaient avec impatience, comme une récompense après la visite du musée. Mise à part la légère gêne ressentie à l'idée que le musée lui-même soit vécu comme une obligation imposée par les parents et subie par les enfants (qui ne cessaient de réclamer "leur" moment), je dois dire que nous étions tout aussi ravis de ce temps de création partagé, instant de calme (dont nous avons même profité au SMK pour visiter en alternance certaines sections) et de pause au milieu des visites. J'ai bien craint un moment de ne pouvoir caser dans la valise toutes les créations de nos deux artistes en herbe, mais sinon j'applaudis des deux mains et rêve de trouver le même genre d'espace dans tous les musées d'art (2).

Et dans tous les châteaux ou musées d'histoire ! Là encore, le Danemark a de sacrées leçons à donner à la France : le Musée national du Danemark, notamment, fait largement concurrence au Louisiana, dans un genre totalement différent. Là, le royaume des enfants est une immense aire de jeux aux multiples recoins, qui permettent de remonter dans le temps (en s'asseyant sur les bancs d'une école des années 1930, en lavant le linge dans un baquet, en préparant un repas dans une cuisine médiévale ou en pêchant sur un bateau viking) mais aussi de voyager (jouer à la dînette dans des habits indiens, tenir une épicerie et jouer à la marchande au Penjab) ; grâce aux déguisements (indiens ou vikings), aux épées, casques et boucliers, l'enfant plonge dans des aventures qui mêlent l'Histoire à sa propre imagination ; il met la main à la pâte, que ce soit pour porter de l'eau en courbant l'échine ou pour hisser des briques sur un ancien chantier de construction ; il explore, en se hissant sur l'échelle du navire moderne, ou en montant sur le toit d'une demeure des mille et une nuits. Que vient faire l'Inde, me direz-vous, au Musée national du Danemark ? C'est qu'en plus de ses richissimes collections retraçant l'Histoire du pays de la préhistoire jusqu'à nos jours, ce musée contient également une sections ethnographique (et une autre consacrée aux colonies), si bien que l'on peut faire le tour des 5 continents en le visitant. Je dois avouer que nous n'avons pas pu imposer à nos filles (et à nous-mêmes) une visite exhaustive de cet énorme musée, et que nous avons fait l'impasse sur une bonne partie des sections extra-européennes. La dînette et la marchande du Penjab nous ont donc semblé un peu déconnectées du musée tel que nous l'avons visité. Plus globalement, ce "Musée des enfants" ressemble davantage à une aire de jeux géante qu'à un musée, et le fait qu'il se trouve dans un espace complètement isolé de celui des collections tend à lui ôter ses vertus pédagogiques (ce qui n'était pas le cas pour les armures présentées dans le musée pour être soupeser). Cela, évidemment, n'empêcha pas nos filles d'être enthousiastes, et de n'avoir aucune envie de quitter le musée (alors même que l'heure du repas était proche). Ce qui est une grande victoire, même pour nos filles ! Mais
une certaine gêne a commencé à s'immiscer en moi, et mon esprit (trop) critique s'est tout doucement réveillé de la torpeur dans laquelle l'avait plongé le plaisir que j'avais à voir une grande place enfin réservée aux enfants dans de grands musées.

J'ai fini par mettre le doigt sur ce qui me gênait : cet isolement quasi systématique de l'espace des enfants dans les divers musées que nous avons visités. A chaque fois, il faut franchir une porte pour y entrer - quand il ne faut pas carrément changer d'étage, voire de bâtiment, comme au SMK, où une signalétique est nécessaire pour vous guider jusqu'au royaume des enfants. Finalement, la place des enfants dans le musée est bien à l'écart, certes pas hors du musée comme semblent le penser bien des personnels de musée en France, mais hors des salles d'exposition. Cela fait naître implicitement l'idée que les espaces consacrés aux collections (artistiques comme historiques) ne conviennent pas aux enfants, et qu'il faut donc créer un lieu qui leur soit dédié, c'est-à-dire adapté à eux - au lieu d'envisager de rendre le musée plus accueillant pour les plus jeunes. Je trouve ça dommage, car cela présuppose au fond que les enfants ne sont pas capables d'apprécier la beauté des œuvres d'art, ou de comprendre l'utilité ou le mystère des objets venus du passé. Même si l'on ne peut pas tout leur expliquer (nous en serions bien incapables, d'ailleurs, n'étant spécialistes ni d'art ni d'Histoire), on peut attirer leur attention sur certains objets, en distillant quelques informations qui les éclairent, ou tout simplement les laisser découvrir les œuvres et choisir celles qui les touchent. L'espace enfant devrait toujours être pensé et perçu (par les enfants, surtout) comme un prolongement de la visite, un complément ludique ou créatif, et non comme une récompense pour avoir subi la visite des adultes. Cela fonctionnait plutôt bien au Louisiana et, en partie du moins, au Musée national ; mais ailleurs, la séparation, trop nette, révélait le mépris implicite pour l'intellect des petits.

Cela s'est avéré évident lorsque nous avons visité le magnifique château de Frederiksborg, qui accueille également le Musée d'Histoire nationale : comme à chaque fois, nous avons commencé par la visite du château, qui a enthousiasmé nos filles (la petite fut frustrée de ne pas pouvoir descendre dans la splendide chapelle que l'on découvre d'un balcon, la grande fascinée par les armures et, surtout, par la robe de mariée de la princesse Mary exposée dans la salle consacrée aux princes héritiers à travers les siècles) ; après le pique-nique et la promenade dans le beau parc du château, nous avons terminé par l'espace enfant, situé dans les caves (à côté des toilettes…). Là, dans une salle voûtée, sont exposés de magnifiques déguisements de princes et princesses, d'un luxe tel que l'on n'est pas autorisé à les toucher : il faut demander l'aide de l'un des animateurs du lieu. Qu'à cela ne tienne ! Après avoir examiné toutes les tenues et établi un palmarès, nous nous tournons vers le personnel présent. Las ! Nous apprenons qu'une visite guidée pour les enfants est en cours dans l'espace (une visite en danois, bien sûr), et que l'on ne peut pas essayer les déguisements avant un bon quart d'heure, afin de ne pas déranger la visite… Pendant que mes filles patientaient tant bien que mal en coloriant ou en écrivant avec de l'encre et une plume sur la grande table du fond, j'ai donc eu le temps d'examiner cet espace enfant et de comprendre qu'il s'agissait d'un véritable lieu d'exposition parallèle, et que les déguisements étaient en fait une partie des objets exposés - raison pour laquelle ils étaient présentés sur des mannequins, et non à disposition dans des paniers comme dans les autres musées. Chaque tenue ou groupe de tenues forme un ensemble cohérent avec quelques objets (faux écritoire, etc.) et, surtout, avec des tableaux tous plus hideux les uns que les autres, imitations caricaturales d'œuvres picturales existantes ou de scènes du passé. Voilà ce qui était l'objet de la visite guidée destinée aux enfants : non pas le magnifique château, non pas les véritables objets anciens qui y sont exposés, mais des croutes et du toc relégués au sous-sol. Par snobisme ou par méconnaissance des enfants, la direction du château a fait de cet espace la vitrine de son mépris pour les plus jeunes visiteurs ; au lieu de ludisme, c'est l'ennui et la frustration qui les y attend : quand enfin nous avons pu essayer les déguisements, un "habilleur" les a donc passés à nos filles ; mais comme il s'agissait de "vraies" robes de princesses, avec des lacets, collerettes, et autres raffinements destinés à entraver le mouvement des femmes, la petite n'a pas supporté sa tenue plus de quelques minutes ; quand j'ai voulu desserrer les lacets qui la gênaient, une guide a bondi pour me signifier (sans trop d'amabilité) que je n'avais pas le droit de toucher les déguisements, même pour les ajuster, et encore moins pour les ôter… Sans doute mes filles n'avaient-elles pas fait le choix le plus judicieux (certaines robes, moins belles, semblaient plus confortables) ; mais je ne pense pas qu'elles auraient gardé très longtemps une autre tenue, pour la simple et bonne raison qu'il n'y avait rien à faire dedans : aucun décor propice à l'invention d'histoires de princesses (et mon aînée n'a pas besoin de grand-chose pour cela), aucun accessoire, aucun espace véritable pour jouer, puisque toute la place est occupée par la pseudo-exposition. Bref, autant le Louisiana et le Musée national accueillaient royalement les enfants, autant à Frederiksborg ils ne semblaient pas les bienvenus, malgré la présence d'un espace dédié.

Nous avons connu une autre déception à Roskilde, où le musée des bateaux vikings propose deux types d'activités aux enfants : activités ludiques avec un faux bateau viking et quelques déguisements (trop peu nombreux, il ne restait plus que les tailles adultes quand nous sommes arrivés), et activités créatives, qui se sont révélées aussi limitées que les premières, puisque la seule qui ne soit pas payante met essentiellement les parents à contribution (à moins que vous ne soyez prêts à laisser votre enfant scier et clouer) et a peu à voir avec le musée, puisque les bateaux que l'on peut construire avec les chutes de bois à disposition ont fort peu à voir avec ceux des vikings. Si à Frederiksborg il nous a semblé que l'espace enfant, sans doute perçu comme une obligation pour tout musée danois, avait été mal pensé, à hauteur d'adulte, à Roskilde les attractions pour enfants étaient au contraire un argument de vente propre à faire venir les touristes dans un musée qui ne présente, au fond, que quelques bateaux vikings reconstitués ; mais dans les deux cas aucun effort de pédagogie n'a présidé à l'organisation des activités offertes aux plus jeunes - des activités qui exigent de l'espace et de la réflexion.

La morale de ce séjour danois serait donc que l'étiquette kids friendly peut annoncer le meilleur comme le pire, et surtout qu'elle ne suppose pas nécessairement, loin de là, qu'une place est faite aux enfants dans des lieux traditionnellement perçus comme "sérieux" : les salles de musée. Si les enfants doivent attendre la fin de la visite pour s'amuser, cela sous-entend-il que les musées sont nécessairement ennuyeux pour eux ? Une seule initiative à destination des enfants semblait répondre vraiment par la négative : tout au long des salles du Musée national du Danemark sont disséminés des "boredom buttons" (boutons anti-ennui - c'est donc bien que les musées sont ennuyeux, on y revient toujours) destinés aux enfants ; quand vous appuyez dessus, les œuvres s'animent, des projections vidéos ou des effets sonores envahissent la salle d'exposition, suspendant le temps de la visite ; malheureusement, nous n'avons réussi à en trouver que deux et sommes restés légèrement frustrés. C'est ce qui arrive parfois aux touristes trop exigeants au pays d'Hamlet et du kids friendly !


Armure à soupeser au Musée national danois.
(1) Bien sûr, la plage à 5-10 minutes à pied de la maison, surtout en pleine canicule, n'est pas un ingrédient à négliger - mais c'est un blog sur les musées ! Un conseil hors-sujet cependant : avec des enfants, il nous a semblé idéal de loger près de la grande plage d'Amager Strand (près de la station de métro du même nom, ou de ses deux voisines) ; 10 minutes de métro suffisent pour rejoindre le centre de Copenhague et la station de RER (S-Tog) qui permet de rayonner dans les environs (et l'aéroport est à 6 minutes de métro). La culture à portée de transports et la plage à portée de pieds, que demander de mieux ?

(2) Un peu comme dans le musée imaginaire de Loup, le héros à la mode, dans Le loup qui enquêtait au musée, où l'on traverse un espace intitulé "Réveillez l'artiste qui est en vous".


Par ordre d'apparition
Glyptothèque Ny Karlsberg : ouvert tous les jours sauf le lundi, 11h-18h (11h-22h le jeudi) ; entrée 115 kr. (couronnes danoises - DKK), environ 15 euros ; gratuit pour les moins de 18 ans et les mardis.
Rosenborg : ouvert tous les jours en période de vacances (fermé le lundi hors vacances), horaires variant selon les périodes ; entrée 110 kr. (environ 15 euros), gratuit pour les moins de 18 ans.
Kronborg (Elseneur) : ouvert tous les jours (fermé le lundi entre novembre et mars), horaires variables selon la saison ; entrée 140 kr. (environ 18 euros), gratuit pour les moins de 18 ans. La ville d'Helsingborg est desservie en S-Tog (vérifier cependant qu'il n'y a pas des travaux l'été, comme c'était le cas pour nous ; dans ce cas, des bus de remplacement sont mis en place, mais le trajet est un peu plus long).
Musée d'art moderne Louisiana : ouvert tous les jours sauf le lundi, 11h-18h le week-end, 11h-22h en semaine ; entrée 125 kr. (environ 17 euros) ; gratuit pour les moins de 18 ans ; l'aile des enfants, gratuite pour les visiteurs, est ouverte de 11h à 17h30, pour les enfants de 4 à 16 ans (mais nous n'avons eu aucun problème pour entrer avec notre plus jeune et la faire participer). Trajet en S-Tog depuis le centre de Copenhague.
Statens Museum for Kunst (SMK) : ouvert tous les jours sauf le lundi, 11h-17h (20h le mercredi) ; entrée 110 kr. (environ 15 euros), réduction pour les moins de 30 ans, gratuit pour les moins de 18 ans ; tarif 1 adulte + 1 enfant à 90 kr. (environ 12 euros) ; chaque enfant doit payer 30 kr. (environ 4 euros) pour entrer dans l'espace enfant.
Musée national du Danemark : ouvert tous les jours (sauf le lundi de septembre à juin), 10h-17h : le musée des enfants est ouvert de 10h à 16h30 ; entrée 95 kr. (environ 13 euros), ticket famille 80 kr. (environ 11 euros), gratuit pour les moins de 18 ans.
Frederiksborg (et Musée d'Histoire nationale) : ouvert tous les jours 10h-17h (mars-octobre), 11h-15h (novembre-mars) ; le musée des enfants est ouvert de 10h à 16h30, tous les week-end et pendant les vacances scolaires ; entrée 75 kr. (environ 10 euros), 20 kr. entre 6 et 15 ans (environ 3 euros), gratuit pour les moins de 6 ans ; ticket famille (2 adultes + 3 enfants maximum) 150 kr (environ 20 euros). Trajet en S-Tog depuis le centre de Copenhague.
Musée des bateaux vikings à Roskilde : ouvert tous les jours de 10h à 16h (17h pendant les périodes de vacances et de tourisme) ; entrée entre 90 et 130 kr. (12-18 euros) selon les périodes, gratuit pour les moins de 18 ans ; sortie sur le fjord en bateau et autres activités payantes (notamment pour enfants). Trajet en train depuis le centre de Copenhague.

Mais aussi : un site très utile pour planifier ses trajets dans les transports en commun au Danemark ; le site de la Copenhaguen card, très rentable si l'on veut visiter plusieurs musées ou attractions (le zoo ou le parc d'attractions de Tivoli), à Copenhague et dans les environs (le site propose de calculer les économies que la carte vous permet de réaliser).