mardi 19 avril 2016

Les musées et nous (et vous, et eux)

(inspiré par le collectif Musées Debout - place de la République et ailleurs)

Pourquoi allons-nous (ou n'allons-nous pas) au musée ? Quand, comment, avec qui ? Voilà des questions qui m'intéressent en tant que maman-visiteuse, mais aussi en tant que prof qui aimerait que tous les enfants aient les mêmes chances de réussite, et surtout le même accès aux livres, à l'art, au beau. Puisque l'école échoue de plus en plus dans cette mission (hélas...), quels moyens avons-nous d'amener tous les enfants à lire et à aimer ça, à être curieux, à connaître l'art et les musées et à ne pas les regarder comme étrangers ? Ou plutôt comment amener les livres et l'art dans toutes les maisons, dans toutes les mains et dans toutes les têtes ? J'ai souvent l'impression qu'il faudrait d'abord convaincre les adultes (parents, enseignants, visiteurs, conservateurs, ministres...) de la nécessité de ce contact...

J'emmène mes filles au musée, toutes jeunes, avec l'espoir qu'elles continueront toute leur vie à s'y rendre, et à se montrer curieuses (d'art, de culture ou de science, ou de tout autre chose, selon leurs goûts). Avec pour objectif que le musée devienne à leurs yeux un lieu de plaisir, de joie, de découverte, au lieu d'être ce temple intimidant du savoir et de la culture qu'il reste pour bien des gens. Je suis persuadée que tous les enfants gagneraient à fréquenter les musées le plus tôt possible. Mais je vois bien dans le regard que les gens posent sur mes filles, notamment dans les expositions à la mode, que le musée n'est pas l'environnement naturel des enfants aux yeux des adultes : "c'est jeune pour aller au musée", entendons-nous souvent. Et je dois dire que ça m'agace. Et je m'étonne aussi de la surprise de personnes pour qui la culture n'est pas un objet étrange et étranger, quand nous disons que nous voyageons et visitons avec les filles. Bien sûr, nous adaptons nos visites à nos enfants, mais nous n'avons pas envie de nous priver à cause d'elles de ce que nous aimons : nous avons envie de le partager avec elles ! Et ça marche : notre grande est contente quand nous annonçons une sortie musée (et déçue quand un contre temps l'empêche), la petite ouvre ses grands yeux déjà pleins de curiosité. Peu importe ce qu'elles apprennent, ce qu'elles retiennent. L'essentiel est qu'elles identifient le musée comme un lieu agréable, et non réservé aux adultes sérieux.

Pour cela, il faut évidemment que les visites ne soient pas trop longues - ce qui fait un peu de peine quand les parents ont payé plus de dix euros leur entrée au musée. Nous nous sommes donc armés tout d'abord d'une carte "Amis du Louvre" qui permettait des visites courtes, de l'ordre de la promenade au milieu des œuvres : nous ne nous arrêtions que quand notre fille était attirée par une œuvre, le reste du temps, nous déambulions dans les salles du Louvre comme dans un parc, comme dans un quartier de Paris. Je pense que c'est la meilleure manière d'appréhender les musées avec des petits (et peut-être même pour les adultes !) : avec la légèreté improvisée d'une balade dominicale en famille. Pour que cela soit possible, faudrait-il que les musées soient gratuits ? Peut-être cela aiderait-il. Mais quand les enfants ne payent pas (ce qui est le plus souvent le cas), même si l'entrée adulte affiche un prix scandaleux (10-14 euros, en gros), une visite au musée à quatre coûte tout de même moins cher qu'une sortie cinéma... La gratuité serait un beau rêve, mais amènerait-elle tout le monde au musée ? Pas si sûr.

Gratuité. Plaisir et savoir. Place de l'art et des musées dans la société. Voilà les sujets qu'abordent les membre de Musées Debout, sur la toile mais surtout sur la place de la République et partout où l'on retrouve la Nuit Debout, qui a dépassé le cadre d'une "simple" contestation sociale, comme le montre la naissance de divers mouvements spontanés, "Sciences Debout", "Musées Debout"... Chacun peut apporter une reproduction de l'œuvre qui l'a marqué tout particulièrement. On y parle histoire de l'art mais aussi "politique", dans le sens où l'art a sa place dans la cité, puisqu'il appartient à tous les citoyens.

En apportant sur les places publiques reproductions d'œuvres et livres d'histoire de l'art, les membres de Musées Debout ont peut-être fait un pas vers une réponse à la question : comment amener tout le monde au musée ? Certes, le prix d'entrée est une barrière (et l'on ignore souvent qu'il existe des abonnements, pour lesquels les entreprises proposent parfois des tarifs collectivités vraiment intéressants). Certes, l'école a son rôle à jouer, en familiarisant les enfants avec les musées ; mais l'école ne peut pas tout faire, et sa contribution ne dépassera pas une ou deux visites par an ; de plus, les enfants qui ne vont pas au musée avec leurs parents l'identifieront alors à un lieu scolaire et sérieux, et n'auront pas l'idée d'y retourner seuls plus tard ; il faut certes rendre le musée familier aux enfants, mais il faut surtout y amener leurs parents ! Au fond, si l'on veut que tout le monde aille au musée, il faut que le musée aille vers tout le monde, et sorte de ses murailles institutionnelles et physiques. Que les œuvres se retrouvent sur les places, dans les parcs, dans les écoles ou dans les hôpitaux : l'hôpital Charles Foix, à Ivry, a par exemple accueilli des reproductions d'œuvres du Louvre ; sculptures dans le jardin, tableaux dans les couloirs et sur les grilles, les malades et résidents (l'hôpital est dédié à la gérontologie) pouvaient croiser l'art quotidiennement, et leurs visiteurs aussi (photographie prise en juillet 2015). Voilà une initiative à développer, à faire voyager partout en France. Pourquoi ne pas imaginer un musée ambulant, comme les cirques ?!

Page Facebook du collectif : https://www.facebook.com/museesdebout/info/?tab=page_info

Voir aussi l'article consacré à Musées Debout et à son initiateur dans Libération : http://next.liberation.fr/arts/2016/04/15/musees-debout-faites-circuler-y-a-du-savoir_1446591

Il n'y a pas que les enfants qui jouent aux Lego !

("Histoire en Briques", Espace Saint-Jacques, Saint Quentin)


Si jamais vous vous trouvez dans la région Picardie, la ville de Saint Quentin accueille une petite exposition Lego : quelques réalisations impressionnantes (un bureau Empire, le dôme des Invalides, une harpe) côtoient de plus petits assemblages de briques, dont un grand nombre font référence à l'architecture locale (théâtre et hôtel de ville de Saint Quentin) et même aux toiles présentes dans le musée Antoine Lécuyer voisin (des pastels de Quentin de la Tour), dans de drôles de reproductions en briques.

Au fond de la salle qui accueille l'exposition, des caisses de briques et des plaques permettent aux petits et grands de laisser libre cours à leur créativité (plutôt à partir de 4-5 ans, puisqu'il s'agit de Lego et non de Duplo). Des ateliers sont organisés certains samedis après-midis pour les enfants de 5 à 12 ans.

Du 19 mars au 19 juin.
Tarif : 2 euros ; tarif réduit 1 euro (enfants de 12 à 16 ans, étudiants, séniors etc.) ; gratuit pour les moins de 12 ans.

samedi 16 avril 2016

Le noir nous va si mal

(Exposition « Le Douanier Rousseau – L’innocence archaïque », Musée d’Orsay)

Je ne sais pas vous (d’ailleurs, oui, qu’en pensez-vous ?), mais je ne comprends vraiment pas cette mode muséographique snobinarde qui consiste à organiser des expositions dans des salles sombres, tout habillées de coffrages conçus spécialement pour l’occasion, avec pour résultat que l’on oublie dans quel musée l’on est, et même dans quelle ville, puisqu’aucune fenêtre n’est laissée sur le monde. On évolue dans un espace confiné, étroit, où il semble de bon ton de se marcher sur les pieds, ou de créer des barrages en restant plantés devant les longs affichages de textes censés expliquer le concept de l’exposition ou de ses salles.

Vous allez dire (ou plutôt penser, car vous êtes polis) que je ne suis jamais contente. C’est vrai que je suis plutôt critique, voire « exigeante » (vous êtes polis, moi aussi !), je le reconnais. Pourtant il m’arrive de m’enthousiasmer, et c’est bien l’euphorie de quelques visites très réussies qui m’avait d’abord incitée à écrire ce blog lors des dernières vacances d’hiver. Et je vous promets bien d’autres billets positifs et ravis. Mais il arrive que des visites me déplaisent, me déçoivent ou me fassent réfléchir : la critique peut parfois être constructive, non ?

Aujourd’hui, je suis agacée. Je ne pense pas que ma critique soit très utile, car les commissaires d’exposition « à la page » ne me liront pas – et mon but n’est pas non plus de vous décourager d’aller voir l’exposition que le Musée d’Orsay consacre en ce moment au Douanier Rousseau. Mais j’aimerais mettre des mots sur ma déception, et essayer d’en comprendre les causes. Car je me faisais une joie de faire découvrir à nos filles l’univers coloré et onirique de ce peintre, dont je pense qu’il a tout pour plaire aux enfants. Et la visite ne combla pas mes attentes.

Alors certes, je pense que notre aînée a aimé l’exposition, même si elle s’est très vite plongée dans une activité de dessin qui occupait davantage son temps et son esprit que la contemplation des œuvres : à sa demande, et suite à notre balade dans le Musée de sculpture en plein air, nous avions emporté pour elle un carnet pour « écrire » et dessiner pendant la visite ; avec son carnet, elle s’asseyait devant chaque tableau (ne voulant en laisser aucun de côté) et dessinait. Au départ, nous avions l’impression qu’elle ignorait les œuvres, et l’incitions à regarder en lui posant des questions. Mais nous nous sommes vite rendu compte que c’était là sa manière de regarder (même si elle était parfois si près qu’elle ne devait pas voir grand-chose) : elle m’a dit, devant une toile de Picasso, qu’elle pourrait rester des heures à la regarder – alors même qu’elle semblait ne pas lui accorder un regard ! Est-ce que les quelques visites que nous avons faites avec un livret lui ont rendu nécessaire une médiation quelconque ? Est-ce sa manière à elle de garder une trace de sa visite ? Cette manie avait en tout cas pour avantage qu’elle marquait « sa » place devant le tableau, obligeant les adultes à rester derrière elle, respectant son espace vital. Cela nous permettait de rester avec elle à contempler et commenter l’œuvre, certes d’un peu trop près, mais sans que personne ne nous passe devant ni ne nous marche dessus.

Car le moins que l’on puisse dire, c’est que le public n’était pas très tolérant face à la présence des enfants dans l’exposition – nous n’étions pourtant pas la seule famille, loin de là. Regards noirs en direction de la grande et de son carnet de dessin, commentaires à voix haute sur l’encombrement que représente la poussette, agression verbale pure et simple quand la petite a commencé à pleurer. Car c’est elle qui a le moins apprécié l’exposition : depuis sa poussette, elle ne devait rien voir, avec tous ces adultes qui l’entouraient ; nous l’en avons vite sortie, mais cela n’a pas suffi, elle s’agitait, protestait, jusqu’à pleurer carrément, obligeant son père à sortir plus tôt que prévu de l’exposition. Etait-elle mal lunée ? Avait-elle mal aux dents ? Peut-être. J’inclinerais plutôt à penser que l’atmosphère de l’exposition lui était inconfortable, car dès qu’elle fut sortie, elle s’est calmée. Et de fait, il faisait trop chaud, trop sombre, et la concentration des visiteurs dans des salles trop étroites (pourtant nous n’avions pas fait la queue du tout…) achevait de rendre ce lieu étouffant, oppressant. Moi-même, j’ai eu l’impression de mieux respirer quand je suis sortie.

Est-ce vraiment le but recherché ? Le visiteur doit-il vraiment vivre l’exposition comme un parcours compliqué – parce qu’il faut se faufiler et louvoyer, mais aussi parce que le contenu même de l’exposition nécessitait la lecture attentive des affichages, pour comprendre pourquoi le Douanier Rousseau côtoyait tant de toiles d’autres peintres, ses contemporains mais aussi antérieurs (pourquoi Ucello ?) ou postérieurs – et comme un moment d’inconfort ? Une exposition, cela se mérite-t-il ? Et du coup, quelle place les enfants peuvent-ils trouver dans de tels espaces ? Ces espaces sombres et étroits ne sont pas propices à la liberté de la visite, où il faut se faufiler de tableau en tableau, dans un ordre prédéterminé. J’ajoute que l’éclairage forcément artificiel, à grand renfort de spots en plein sur les œuvres, les rend encore moins faciles à voir : des reflets empêchent d’appréhender le tableau dans son entier, il faut se décaler, chercher le bon angle, ce qui est difficile pour un enfant, impossible dans la cohue. Cette présentation inconfortable, entre ombre et lumière, ne sert pas les œuvres : ce qui importe, finalement, c’est le concept de l’exposition, l’idée de son commissaire. Autant acheter directement le catalogue en boutique !

Mais ce qui me gêne le plus dans cette muséographie du clair-obscur, c’est l’image qu’elle donne de la culture. On entre dans ces expositions comme dans une grotte, un sanctuaire ; mais c’est en en sortant que l’on retrouve la lumière et que l’on respire enfin – cherchez l’erreur. Cette muséographie de l’obscurité transforme le musée en un lieu secret, coupé du monde et mystérieux, et présente la culture comme une religion pour initiés. Un lieu sérieux où des adultes émettent des commentaires inspirés et profonds, et viennent partager entre happy few le grand secret, jalousement gardé, de la connaissance et de la pensée. Quel contraste avec l’exposition Fromanger à Beaubourg, exposition intégrée dans le musée même, sans en être séparée par des barrières qui ressemblent à des cadres de tableaux, et présentée dans des salles qui n’ont pas été maquillées pour l’occasion ! Des salles amples et lumineuses, où la couleur des œuvres de Fromanger éclatait. À Orsay, les couleurs du Douanier devenaient sombres comme un mystère, à Beaubourg, celles de Fromanger devenaient lumière.


Musée d’Orsay
Du 22 mars au 17 juillet
Ouvert tous les jours sauf le lundi, de 9h30 à 18h (21h45 le jeudi)
Tarif : 12 euros ; gratuit pour les moins de 18 ans.

mardi 12 avril 2016

Princes et princesses – épisode 1

(Châteaux de la Loire – une sélection)

À en croire les affiches que l’on peut lire ces derniers temps dans les couloirs du métro, il est temps de penser à organiser vos vacances d’été, si ce n’est déjà fait. Une série de publicités en particulier m’a donné envie de me replonger dans mes souvenirs (et dans mes photographies) du mois de juillet dernier, où nous avions passé dix jours à rayonner aux environs de Tours. On y voit un enfant et un chevalier, sur fond de château de Chambord ; l’image et le slogan sont clairs, les enfants sont les bienvenus à Chambord et dans les châteaux du Val de Loire, notamment dans ceux qui portent l’estampille des P’tits curieux (1). Un label qui exploite un a priori positif associé aux châteaux de la Loire, où les enfants retrouvent un imaginaire familier, celui des chevaliers et des princesses.

Nous-mêmes, c’est bien en pensant que cet imaginaire et ses décors de conte de fée enchanteraient nos enfants (tout en satisfaisant le besoin de visites culturelles de leurs parents), que nous avions choisi cette destination. L’été dernier, avec notre aînée qui avait alors 3 ans et demi, et la petite qui n’avait même pas six mois, en voiture ou en train, nous avons fait voyager dans le temps poussette et porte-bébé en visitant sept châteaux bien différents. Je vous propose ici notre sélection, en forme de palmarès inversé, des plus connus aux plus ludiques.


Chenonceau, Chambord, Amboise : oh les beaux décors !



Car si leur architecture ou leur cadre sont propices à l’imagination et nous plongent d’emblée dans un univers mi-historique mi-féérique, les châteaux où les foules de touristes affluent ne sont pas nécessairement ceux qui font le plus d’effort pour conquérir les enfants (sans doute parce qu’ils n’en ont pas besoin). Qu’on ne s’y trompe pas, je ne veux pas dire que notre grande n’a pas adoré visiter Chenonceau et Chambord ! Admirer les jardins à la française, parcourir les salles richement meublées (mais un peu trop étroites aux jours de grande affluence, surtout quand on conduit une poussette…) et traverser le Cher grâce au pont-galerie de Chenonceau, c’était pour elle devenir un personnage de conte : il fallait la voir avancer en tenant le devant de sa jupe à la manière d’une princesse ! Elle a également aimé se perdre dans le labyrinthe, seul élément ludique de la visite, caché dans le parc du château : ce dernier ne semble pas très étendu mais offre divers recoins charmants et agréables, devant lesquels les visiteurs passent souvent sans s’arrêter, comme le Jardin Vert, espace de calme isolé par de grands arbres, ou encore la cour de la charmante ferme du XVIe siècle, qui accueille la galerie des attelages (qui a plus intéressé notre fille que le petit musée de cire, bien plus fréquenté), et qui ouvre sur le Potager des Fleurs. Ce dernier, havre de paix où résonne le glouglou de petites fontaines, nous a menés, avant le départ, jusqu’au parc aux ânes, sympathique final champêtre, inattendu dans un tel cadre. Finalement, Chenonceau nous a au moins autant plu pour ses divers espaces verts (auquel il faut ajouter la promenade ombragée de l’autre côté du Cher) que pour l’opulente beauté de ses intérieurs.

L’extérieur n’est par contre pas le meilleur atout du château de Chambord : certes, son domaine est immense, et offre de multiples possibilités de grandes promenades, en vélo ou à cheval. Mais si l’on n’a pas la fibre sportive, il ne vous reste qu’une immense pelouse jaunie par la canicule, qui a pour avantage de permettre d’admirer les cheminées du château avec pas mal de recul. La magie de Chambord repose essentiellement sur son architecture facétieuse, des cheminées ciselées à l’escalier double où l’on peut se faire signe à travers de petites fenêtres. Un moment de jeu, comme l’est également l’exploration du toit-terrasse du château, avec sa forêt de cheminées et de tourelles – une architecture facétieuse, est-il besoin de le préciser, s’avère impraticable en poussette : prévoir un porte-bébé. À l’intérieur, à l’exception de quelques salles, règne le dépouillement des murs de pierre et de leurs ciselures. Les toiles d’un artiste contemporain inspiré par la figure de François Ier ornent (ou défigurent, c’est affaire de goût) certains de ces murs trop nus. Qu’importe ! Le décor est splendide, et quel plaisir de le retrouver ensuite avec notre fille en lui faisant découvrir l’onirique Peau d’âne de Jacques Demy !

Comme Chenonceau, Chambord n’a besoin de rien pour séduire et attirer les enfants et, à part quelques portraits de rois et reine où ils peuvent glisser leur joli minois, rien ne leur est spécifiquement destiné. Certes, Chambord propose plusieurs supports ludiques (payants, bien entendu) : un audio-guide ou audio-pad pour les enfants à partir de 5 ans, et deux livrets d’énigmes (à partir de 8 ans), l’un pour le château, l’autre pour l’extérieur – sans oublier des visites guidées ludiques et une chasse au trésor ! Mais un enfant plus jeune (ou dont les parents n’ont pas voulu alourdir le coût de leur visite) risque de se trouver un peu noyé dans le flot des touristes.

Car, en ces lieux archi-fréquentés que sont Chambord et Chenonceau, ou encore le château d’Amboise (qui, comme Chambord, offre un espace extérieur limité, mais une magnifique chapelle et de belles vues sur la Loire), l’enfant, tout émerveillé qu’il soit, est avant tout un touriste comme les autres, et le client idéal pour des boutiques à souvenir pléthoriques, qui font la part belle aux petits : votre enfant vous a suivi sagement à travers les salles du château, jouant gentiment à « cherchons la salamandre » ? Vous pourrez le récompenser avec un coloriage, un crayon customisé, une figurine ou, mieux encore, un accessoire qui le transformera en chevalier ou en princesse. Casques pour les garçons, couronnes (roses) pour les filles, boucliers et épées – pour les filles, existent en rose orné de fleurs, la maman féministe qui ne sommeille jamais en moi en grogne encore ! – vous trouverez tout le nécessaire pour transformer votre minot en héros de conte ou d’épopée. Un déguisement qui aurait donné un tour ludique à la visite si l’on avait pu l’acheter avant… Qu’à cela ne tienne ! C’est armée de son épée et casquée comme une vraie chevalière (et oui, nous avons nous aussi cédé aux sirènes du commerce touristique) que notre fille a pénétré dans les autres châteaux que nous avons visités – la suite au prochain épisode !

(1) Le site http://www.coeur-val-de-loire.com/sorties-en-famille/ répertorie les visites et activités destinées aux familles et aux enfants dans la région ; voir notamment la rubrique « Histoire et culture » qui liste les livrets, parcours, visites ludiques et autres chasses aux trésors proposées dans les nombreux châteaux de la région (avec les âges concernés et un petit descriptif). À consulter pour choisir et programmer ses visites (à vue de nez, rien avant 3 ans, peu de choses avant 5-6 ans).

Crédits photographiques exceptionnels (sauf pour la 2e) : ma maman !

jeudi 7 avril 2016

Balade en plein art

(Musée de sculpture en plein air - Jardin Tino Rossi, Paris 5e)


Puisque le soleil pointe timidement son nez, nous allons probablement moins hanter les musées, et davantage les parcs. Mercredi, sur une suggestion de Laetitia C., nous avons réussi à concilier les deux en parcourant le Musée de sculpture en plein air (aussi nommé jardin Tino Rossi), qui longe la Seine au niveau du quai Saint-Bernard, en gros depuis le Pont d’Austerlitz (en face du Jardin des Plantes) jusqu’au Pont de Sully (au niveau de l’Institut du Monde Arabe). Nous l’avions déjà traversé, et j’avais surtout gardé le souvenir d’un lieu très animé l’été avec ses petits amphithéâtres face à la Seine où l’on vient jouer de la guitare, chanter, voire danser le tango (un festival de danse anime le jardin pendant l’été). Des sculptures, je n’avais gardé qu’un très vague souvenir. C’est donc avec la ferme intention de ne pas passer à côté de la dimension artistique de ce jardin que nous y sommes retournés – tout en appréciant de pouvoir l’associer aux avantages habituels du « parc » : plein air, jeux pour enfants, avec, ce qui ne gâche rien, la perspective d’un Paris des bords de Seine et, comme objectif final, Notre-Dame.

Ce fut une promenade fort plaisante : tout au long du chemin qui traverse le jardin, longeant ou surplombant la Seine, sont disposées des sculptures d’artistes contemporains, de tailles et de matières diverses, mais aussi de styles variés. Si notre grande a commencé par demander où étaient les jeux, elle s’est très vite laissée prendre par ce cheminement d’œuvre en œuvre. Nous nous sommes amusés à lui demander les formes qu’elle identifiait (pas toujours la même chose que nous !). Elle a surtout apprécié de pouvoir toucher les sculptures, sentir le froid du bronze, le rugueux de la pierre, le lisse du marbre : ici, nos mains ne sont pas ce qui risque d’endommager le plus les œuvres d’art, offertes comme elles le sont au vent, à la pluie et… aux fientes de pigeon !

Puis elle nous a demandé un papier et un crayon, pour noter (même si elle ne sait pas écrire !!) le nom du jardin, celui des sculptures, ce qu’elle voyait… C’était drôle de la voir se pencher ainsi devant chaque œuvre pour prendre des notes, très sérieusement, mais très joyeusement aussi ! Comme si, dans son esprit, cela lui permettait de fixer le souvenir ; comme s’il lui était devenu habituel d’associer musée (ou ce qui s’en approche) et écriture – dans un carnet d’activités ou dans son cahier de musée : à peu près au même moment que j’ouvrais ce blog, nous avons commencé à coller dans un grand cahier toutes sortes de découpages et créations en lien avec nos visites, ce qui satisfait sa passion pour les ciseaux et la colle, et trouve une finalité à sa récolte de papiers et dépliants dans tous les lieux que nous visitons ! Je doute que ce cahier soit la cause de cette association entre musée (ou art) et écriture, car on ne peut pas dire que nous le remplissions très régulièrement. Mais ce qui est sûr, c’est que cela tenait à la fois de la marque d’intérêt pour les œuvres, et du jeu : un papier et un crayon ont suffi à transformer le parcours du jardin de sculptures en quête sautillante et joyeuse, chaque œuvre devenant à la fois sujet et support d’écriture. Et il n’aurait pas fallu en manquer une seule !

Si bien que lorsque nous sommes arrivés dans la partie du jardin qui abrite des jeux pour enfants (assez nombreux et agréables, mis à part quelques traces du passage des pigeons…), notre grande a poussé un cri de joie mais aussi d’étonnement, comme si elle avait oublié sa première requête, comme si toboggans et bascules constituaient la cerise sur le gâteau. L’association art-plein air est une vraie bonne idée, car elle évite que les enfants considèrent que l’art appartient à un monde à part, sérieux et destiné aux adultes. Des musées d’art moderne ou contemporain associent parfois un jardin (souvent occupé par des sculptures) à leurs espaces d’exposition intérieurs : je pense notamment à celui de Stockholm, où le visiteur doit d’abord traverser une esplanade verte habitée notamment par des créatures de Niki de Saint-Phalle avant de parvenir au bâtiment du musée (les fontaines de la placette qui jouxte le Centre Pompidou, pourtant colorées et joyeuses, sont bien citadines à côté) ; je pense aussi au MacVal, où un véritable jardin, avec sculptures, bosquets et recoins (et même une petite mare aux canards où notre grande a un jour tenté un plongeon qui restera dans les annales de la famille !!), accueille les visiteurs, mais aussi les flâneurs, lecteurs ou grignoteurs de tous âges. Les jardins publics eux aussi accueillent la création artistique : j'ai le souvenir d'une promenade dans un Jardin des Plantes habité par de magnifiques sculptures de la Fiac (en octobre 2013), et les Tuileries elles aussi se sont livrées à cet exercice. Les artistes contemporains ont donc bien compris l’effet vivifiant de cette association avec le plein air – je ne sais s’ils ont pensé aux enfants, plus faciles à apprivoiser dans ce cadre, mais tant mieux ! Reste à souhaiter que ce tandem art et jardin se développe dans d’autres directions, sans se limiter aux sculptures et installations ni aux seules créations les plus récentes : si le Louvre part en province, pourquoi ne pourrait-il pas se mettre au vert ?


Jardin Tino Rossi (Musée de sculpture en plein air) - 2, Quai Saint-Bernard - 75005 Paris

Ouvert tous les jours, 24h/24.
Accès libre et gratuit, ouvert aux vélos, poussettes, trottinettes etc.

Festival des Danses sur Seine, de début juin à fin août.

vendredi 1 avril 2016

Musée haut, regard bas

(Musée Rodin - Paris)

La sculpture a été l’un des premiers arts que nous avons fait découvrir à notre fille : la galerie de sculptures françaises du musée du Louvre, avec ses œuvres assez grandes pour qu’elle puisse les voir sans être portée, et ses personnages mythologiques dont on pouvait raconter l’histoire, a été pendant un temps un lieu de promenade privilégié. Quand, après plus de trois ans de fermeture pour des travaux de restauration et de rénovation, le Musée Rodin de Paris a rouvert ses portes en novembre dernier, nous n’avons donc pas tardé à y venir en famille. Un nouveau parcours, de nouvelles salles, l’accessibilité aux personnes à mobilité réduite, la présence du multimédia pour s’adresser à tous les publics, voilà l’affiche et les ambitions de ce « nouveau musée Rodin ».

Dans les faits, si un ascenseur permet bien au visiteur handicapé de découvrir les salles situées à l’étage, si des visites tactiles sont offertes pour les non ou mal voyants, les enfants arrivent bons derniers dans la liste des publics variés auxquels le musée Rodin entend ouvrir les bras. Certes, avec notre poussette, nous avons pu éviter la file d’attente et entrer directement dans la billetterie (privilège offert sans le sourire, mais bon). Mais une fois le billet acheté, nous avons appris que nous ne pourrions pas conserver notre poussette dans le musée, pour ne pas abîmer les parquets flambant neufs. Heureusement que nous nous étions équipés d’un porte-bébé ! Ce qui n’était pas le cas d’un papa malchanceux : venu avec ses quatre enfants, dont deux tout-petits, nous l’avons vu monter l’escalier avec, sur chaque bras, un de ses petits jumeaux… Pour lui, pas de poussette (avait-il été prévenu avant d’acheter son billet ? En tout cas, nous ne l’avions pas été), mais pas non plus d’ascenseur : celui-ci, dont je n’ai pas vu le signalement, doit être exclusivement réservé aux fauteuils roulants – ce qui peut se comprendre dans un hôtel particulier ancien, où l’on ne peut souvent installer qu’un petit ascenseur, à réserver aux cas de nécessité. Je dois dire que la modernisation du bâtiment (et du musée plus largement) ne nous a pas sauté aux yeux.

Si le bilan côté pratique était peu satisfaisant, côté « pédagogique », ce n’était guère mieux. Pas de livret pour les enfants – du moins ne nous en a-t-on pas proposé, et aucun n’est signalé par le site internet. Globalement, on sent que les enfants ne sont pas vraiment les bienvenus dans ce musée – sensation renforcée par les regards des autres visiteurs, public effectivement peu familial, très 7e arrondissement, et qui, au mieux, marche sur votre petit parce qu’il ne le voit pas, au pire (à moins que ce ne soit l’inverse), fusille du regard cette énormité vivante dans le lieu pour adultes qu’est un musée. Ajoutons que le personnel du café qui se trouve dans le jardin, derrière le musée, et offre une vue agréable sur quelques sculptures, se montre tout sauf accueillant envers les familles : on nous a gentiment mais fermement mis dehors quand, une fois nos consommations avalées, nous sommes restés quelques instants pour permettre à notre aînée de finir de goûter – il n’est pas permis, nous a-t-on dit, de manger ce qui n’est pas vendu en ces lieux, même un bête Prince au chocolat. Vraiment, le musée Rodin pourrait porter cette devise à son fronton : « Toi qui es un enfant, passe ton chemin ».

D’ailleurs, l’agenda « famille » du musée est indigent : depuis les visites en famille (pour enfants de 6 à 12 ans uniquement) qui étaient proposées pendant les vacances d’hiver, rien n’est programmé, et ce jusqu’au mois d’août. Quant au multimédia, nous ne l’avons même pas vu (à part – soyons honnête – un film projeté, très classiquement, dans une salle à part, devant des chaises pleines d’adultes sérieux et concentrés). Pourtant, notre fille, comme la plupart des enfants de sa génération, est prompte à se planter devant un écran s’il se présente à ses yeux – pour le pire comme pour le meilleur ! À ces absences s’en ajoute une dernière, qui est une disparition : nous avions gardé le souvenir d’une vitrine qui présentait, par des maquettes miniatures, les différentes étapes nécessaires pour mouler une sculpture en bronze. Nous avons regretté de ne plus pouvoir exploiter ce support avec notre fille.

Mais l’inconvénient majeur que présente le musée Rodin pour les enfants reste finalement d’ordre pratique : si le parcours de visite a sans doute été modifié, le mode de présentation des œuvres reste « à l’ancienne », les sculptures étant posées sur des socles souvent bien trop élevés pour qu’un enfant puisse les contempler confortablement. Chaque fois que nous voulions attirer l’attention de notre fille sur une œuvre, lui faire observer le mouvement imprimé à la pierre, la similitude entre deux bustes, ou l’expression étrange d’un visage, il fallait la hisser à bout de bras. Au-delà des courbatures parentales, cette muséographie à hauteur d’adultes bloque la liberté de la visite, la spontanéité et la curiosité ne peuvent guider la découverte par l’enfant d’œuvres qui sont pourtant susceptibles de lui plaire, de l’amuser, de l’émouvoir.

Oui, un enfant, même jeune, est capable de ressentir une émotion esthétique face à une œuvre d’art, qu’elle soit picturale, sculpturale, musicale… Même si cette émotion est fugace, l’enfant sent qu’il se passe quelque-chose d’inhabituel, qu’il traverse un instant magique qui devrait rester gravé – mon aînée, depuis quelques temps, me demande parfois de prendre une photo (lors d’un concert, face à une œuvre, aussi bien que de ses propres créations), pour « garder un souvenir ». Et au-delà de ces instants fugitifs, je vois bien que ma fille, d’elle-même, est davantage attirée par certaines œuvres, qu’elle va contempler spontanément, posant ensuite des questions sans que nous la sollicitions. Cette curiosité, début de goût artistique, ne peut pas être éveillée quand les œuvres sont enfermées dans des vitrines trop hautes, comme c’est encore trop souvent le cas. Le regard ne peut pas être attiré quand, pour voir, il faut lever la tête ou se tordre le cou.

Et c’est bien dommage car il y avait, au musée Rodin, matière à regarder, à contempler, à questionner. Notre fille s’est d’ailleurs arrêtée devant les œuvres monumentales qui ornent le jardin du musée, véritable atout – quoique des travaux encore en cours diminuaient un peu son agrément lors de notre visite (en janvier dernier). Elle a observé et compris la posture du Penseur, que l’on rencontre au milieu des haies, avant la visite, et qu’elle a reconnu dans les ébauches et versions plus petites présentées à l’intérieur. Elle nous a posé beaucoup de questions sur les Bourgeois de Calais. Peut-être aurions-nous dû d’ailleurs commencer notre visite par un tour complet du jardin : les œuvres, plus imposantes et donc plus accessibles, auraient offert une première approche plus facile, et nous aurions davantage pu exploiter le jeu des reconnaissances dans la suite de notre visite à l’intérieur (une salle entière du rez-de-chaussée est consacrée, par exemple, à la Porte de l’Enfer, que l’on découvre ensuite au milieu des parterres). Aller de l’ensemble monumental au détail ou à l’ébauche aurait sans doute été un meilleur itinéraire, quitte à revenir ensuite contempler les œuvres du jardin de sculpture.

Malgré tout, nous avons trouvé à l’intérieur matière à observation et à commentaire – pour autant que mes bras résistaient, ceux du Papa étant pris par la plus petite en porte-bébé. Nous avons commencé par un petit jeu : bronze ou marbre ? Histoire que notre grande constate la présence de deux matières bien différentes – parfois exploitées dans deux œuvres représentant un même sujet. Nous lui avons brièvement expliqué (dans la limite de nos connaissances) la différence entre le travail de ces deux matériaux – mais avons regretté l’absence de supports pédagogiques à ce sujet. Le site du musée affirme la présence de deux vidéos sur les techniques de la fonte à la cire perdue et de la taille du marbre, vidéos que je ne me souviens pas d’avoir vues, sans doute parce qu’elles n’étaient pas intégrées au parcours de la visite, et que nous évitons généralement les salles de projection isolées – à moins qu’elles n’aient été projetées sur les écrans disposés en hauteur dans la salle qui sert d’antichambre au musée, où les visiteurs s’agglutinent devant le vestiaire et dont ils ont hâte de sortir.

Puis nous avons pu faire observer à notre fille l’impression d’inachevé que dégagent certaines sculptures, dont les formes semblent sortir du bloc de marbre, mais aussi le mouvement imprimé aux corps, ou l’expressivité des certains visages. Elle s’est amusée à reproduire les traits de la Femme poisson, ce qui nous a valu quelques fous rires. Bref, nous avons tout de même passé un bon moment, malgré le piétinement parfois causé par l’exiguïté des salles, qui, combiné au mode de présentation en hauteur et en vitrines d’une partie des œuvres, a contribué à rendre la visite moins libre là où l’on aurait aimé qu’elle ait la fluidité d’une promenade.

À l’heure où la plupart des musées modernisent leur présentation pour rendre les œuvres accessibles à tous, et où certains commencent à se soucier du plus jeune public (je pense par exemple au musée de Cluny, qui, à mon sens, peut être comparé au musée Rodin pour son rayonnement et sa taille, et offre de multiples visites familiales, allant jusqu’à la formule « parents-bébés » destinées aux tout-petits), il est fort dommage que le musée Rodin n’ait pas profité des travaux de rénovation du bâtiment pour rénover également sa muséographie et pour élargir son ouverture aux publics les plus divers, des plus grands aux plus petits.


 
Musée Rodin – 77, rue de Varenne 75007 Paris.

Ouvert tous les jours sauf lundi, de 10h à 17h45.
Tarifs : 10 euros ; gratuit pour les moins de 18 ans.

Poussette non autorisée.
Café dans le jardin de sculptures, qui fait partie de la visite.