mercredi 21 août 2019

Hors les murs

(Oslo par les musées… et par les parcs)

Enthousiasmés par notre séjour à Copenhague l'été dernier, nous avons continué cette année notre exploration des pays scandinaves (quête de fraîcheur toujours aussi peu concluante…) et posé nos Pénates pendant deux semaines dans une charmante maison de la presqu'île de Bygdøy, quartier résidentiel cossu de la capitale de la Norvège. Nous n'avons pas regretté notre choix : calme et espace, plage et forêt à deux pas - ou quelques nœuds marins (1) - du centre ville, la presqu'île offre un cadre idyllique et pratique pour la découverte d'Oslo et de ses environs ; elle accueille à elle seule six musées, dont quatre sont des incontournables des guides (et cars) touristiques. Nature et culture, donc, un cocktail idéal ! Et si je dois avouer qu'Oslo n'a pas réussi à détrôner Copenhague à mes yeux, c'est grâce à ce cocktail que cette ville nous a séduits, car elle a su parfois allier ces deux ingrédients à la perfection.

Autant le dire tout de suite, les musées d'Oslo m'ont globalement déçue - du moins les musées "traditionnels", munis de murs : musée d'Histoire aux sections fort petites dont on a très vite fait le tour (objets vikings peu nombreux, quelques belles pièces d'art sacré médiéval), musée des bateaux vikings de Bygdøy aux vitres sales comme je ne l'ai jamais vu et à la muséographie paresseuse, musées du Fram (censé être "le meilleur musée de Norvège" selon sa façade) et du Kon-Tiki se contentant, à peu de choses près, des bateaux (certes fascinants) qu'ils contiennent et d'une quantité astronomique de panneaux à lire, musée Munch qui ne présente qu'une infime partie de sa collection et ne la met pas bien en valeur (toiles masquées par un écran géant, "Cri" dans la pénombre, probablement pour éviter que les photos ne soient de trop bonne qualité) - mais sans doute le nouveau musée, qui ouvrira ses portes en 2020 dans un imposant bâtiment gris qui gâche tout le paysage (et la vue sur le magnifique opéra), permettra-t-il de mieux apprécier la richesse de l'œuvre DU peintre norvégien. Même la fondation Henie-Onstad qui, avec sa plage à proximité, son parc de sculptures et son "lab" pour les enfants, semblait nous promettre une expérience aussi merveilleuse que le Louisiana danois s'est révélée bien en-deçà de nos espérances : certes les deux (petites) expositions valaient le détour (joli aperçu sur la collection des fondateurs, et belle présentation de photos d'Avedon), et la (petite) plage était sympathique, surtout par cette chaleur, mais la plupart des sculptures entouraient le musée, n'invitant guère à se perdre dans la forêt environnante, et le "lab" est ouvert tous les jours mais ne permet de pratiquer des activités créatives que le dimanche, quand une animatrice est présente (même en plein été, un samedi, nous n'avons trouvé que quelques crayons de couleur et des Kapla, rien de mieux qu'à la maison…).


Le constat s'impose : la Norvège ne manifeste pas dans ses institutions culturelles le même souci des enfants que le Danemark. Certes, plusieurs musées proposaient une ou deux activités, mais elles étaient généralement peu nombreuses, ne pouvaient pas accueillir beaucoup d'enfants à la fois, et n'avaient parfois rien à voir avec le contenu du musée : la plus chouette fut sans doute celle du musée Munch, un espace entouré d'un grand paravent de toile sur lequel se projetaient les créations en volume que petits et grands élaboraient en emboîtant des formes en plastique de couleur et en les posant sur un rétroprojecteur. Côté déceptions, outre le "lab" désert de la fondation Henie-Onstad et la salle de médiation vide de la fondation Astrup-Fearnley (une très belle découverte, par ailleurs, sans doute le musée que j'ai préféré), la palme doit être accordée à l'igloo du Fram, que mon aînée réclamait depuis le début du séjour pour l'avoir vu dans un film publicitaire sur les murs du musée : elle a tout juste eu le temps de constater qu'il ne contenait que des écrans sans intérêt, tant l'odeur qui régnait à l'intérieur l'a fait sortir rapidement ! Nos filles ont bien aimé nos différentes visites (à part le musée Munch, avec lequel elles n'ont visiblement pas d'atomes crochus - et je dois avouer que moi non plus…), mais aucune n'a provoqué l'enthousiasme des merveilleux musées danois. Même le musée du folklore norvégien (quatrième musée de Bygdøy avec les musées "de bateaux"), vaste musée en plein air présentant diverses maisons et églises anciennes dans des styles architecturaux venant de toute la Norvège, offrait moins de possibilités d'exploration que son homologue suédois à Lund, Kulturen (visité l'année dernière en prenant le train depuis Copenhague), qui, en plus des costumes à essayer, des petites pièces où se faufiler, et des échelles à escalader pour pénétrer dans des maisons traditionnelles, avait en outre un bel espace d'exposition dédié aux enfants (inspiré l'année dernière de l'univers d'Alice au pays des merveilles : nos filles avaient adoré préparer le thé pour un nounours géant dans des espaces disproportionnés). Finalement, le seul espace véritablement consacré aux enfants dans tous ces musées se trouvait... au musée du ski de Holmenkollen, que nous avons par ailleurs trouvé sans intérêt : un univers légendaire de trolls ou de lutins, avec cabanes tordues, grottes et toboggans, bref une aire de jeu sans lien avec le ski, mais qui offrait un temps de détente à nos filles après la montée en haut du tremplin de saut à skis (vue à couper le souffle) et avant la grande randonnée en forêt.
Car ce sont surtout les promenades dans la nature, entre parcs, montagne, îles et forêt, qui ont fait à nos yeux le charme d'Oslo, une ville dont le métro dessert en 30 minutes la forêt de la Nordmarka et le fameux tremplin de Holmenkollen, une ville traversée par une rivière, l'Akerselva, que l'on peut suivre quasiment en continu jusqu'à sa source (le lac Maridal) et qui offre, au milieu des immeubles ou des usines réhabilitées, de véritables cascades et des points de baignade noirs de monde (2). Il semblerait que les Norvégiens (ou du moins les Osloïtes) cultivent avec raffinement l'art de vivre dehors et de profiter de la nature. Quoi d'étonnant alors à ce que leurs plus beaux musées se trouvent en plein air ? Imaginez le bois de Vincennes transformé en espace d'exposition à ciel ouvert, ou un jeu de piste consistant à chercher des sculptures dans le parc de la tête d'or. Un rêve que je fais depuis longtemps, celui de voir les œuvres franchir les murs des musées pour venir dans les parcs, dans les rues, dans les espaces publics (un Munch - un vrai ! - était exposé dans l'aéroport d'Oslo), venant à la rencontre des visiteurs sur leurs lieux de vie, et pas seulement dans les grandes villes (les Tuileries sont un modeste aperçu de ce que cela pourrait être, et l'on peut également découvrir un parc de sculptures sur les rives de la Seine ; quant au jardin botanique de Nantes, il offre un exemple génial de ce que peut donner un parc confié à un artiste) : pourquoi ne pas imaginer une "tournée" de quelques chefs d'œuvre du Louvre ou du centre Pompidou, qui voyageraient de parc municipal en place du marché, en banlieue (puisque le plan Vigipirate empêche les écoliers de visiter les musées parisiens tout proches) et en province, dans les petites villes, les villages, pour offrir aux petits comme aux grands une rencontre avec l'art qui n'ait rien d'institutionnel, qui ne soit encadrée ni par l'école ni par un guide, et encore moins par des hordes de touristes mal embouchés ? Ainsi chacun saurait que l'art est à la portée de tous, quel que soit l'âge, quelles que soient les connaissances, qu'il est affaire de plaisir et de beauté, et non de savoir. Ainsi les musées pourraient attirer un nouveau public, et personne ne dirait "les musées, ce n'est pas pour les enfants / ce n'est pas pour moi". Mais pardon, je m'égare loin d'Oslo…

Après cette parenthèse utopiste, parlons de ce qui a éveillé chez moi ces grandes envolées rêveuses. Les Osloïtes aiment la sculpture, on en trouve des signes partout, sur les places, dans les rues du quartier tout récent de Tjuvholmen, entre les tours modernes du Barcode, dans les allées du parc du château royal et, bien sûr, autour des musées : les fondations Henie-Onstad et Astrup-Fearnley sont ainsi toutes les deux entourées d'un jardin de sculptures - pour ce qui est du jardin, il faut se contenter dans les deux cas d'une modeste pelouse, même si certaines œuvres sont aussi dissimulées (un peu trop bien, d'ailleurs) dans la forêt qui entoure la fondation Henie-Onstad. Mais ce goût pour la sculpture se manifeste surtout dans deux lieux exceptionnels, deux coups de cœur absolus, qui mettent la sculpture à l'honneur, chacun à leur façon. Le parc Vigeland (situé dans un parc plus vaste, le parc Frogner) a été confié dans les années 1920 au sculpteur Gustav Vigeland, apointé par la ville (et logé dans le parc même) ; il a consacré plus de 20 ans à emplir littéralement ce parc de son œuvre (212 sculptures !) : un pont dont la rembarde est ponctuée de bronzes déclinant diverses positions tendres, drôles ou acrobatiques, avec en contrebas un petit square orné de bébés dormant ou méditant sur la tête, mène à une monumentale fontaine entourée de buissons de bronze ; plus loin dans le même axe se dresse une colonne de granit sculptée de corps nus entremêlés et entourée de dizaines d'autres nus de pierre (réaction amusante des touristes français face à toute cette nudité), assis ou accroupis, dans une autre déclinaison de postures plus statiques. L'ensemble est majestueux. Le fait qu'un seul artiste ait réalisé l'ensemble des sculptures, et même les portes du parc, crée une belle unité, sans aucune monotonie grâce à l'utilisation de matériaux différents, mais aussi grâce au dynamisme, à la vivacité des bronzes qui ornent le pont notamment. Le lieu est assez vaste pour que l'on ne se sente pas (trop) écrasé par le flot de touristes qui se déverse par cars entiers (le parc Vigeland est l'un des sites les plus visités d'Oslo) - il faut tout de même bien du mérite pour prendre une photographie où ne s'incruste aucun touriste. Et, cerise sur le gâteau, une immense aire de jeux pour enfants se trouve située tout près de l'entrée : glissades et escalade ont réjoui nos filles avant et après la visite du parc.


Mais si vous recherchez la solitude, ou préférez contempler des sculptures plus modernes et plus variées, vous trouverez votre bonheur dans le merveilleux parc Ekeberg, situé sur les hauteurs de la ville (vue imprenable sur le fjord, peut-être la plus belle qu'on ait trouvée) : ouvert depuis 2013, ce parc semble encore peu connu des touristes (il ne figurait même pas sur notre Routard 2019 !) et épargné par les circuits des visites en groupe ; immense, essentiellement fait de forêt, on y goûte la même tranquillité que dans la Nordmarka, ne croisant d'autres visiteurs que de loin en loin, et de moins en moins à mesure que l'on s'éloigne de l'entrée. Il faut dire que ce havre de paix et d'art se mérite : son exploration nous a occupés une après-midi entière (plus de 3 heures de promenade au milieu des bois, et encore avons-nous fait l'impasse sur quelques œuvres situées dans des recoins), et s'apparente à une randonnée en forêt, quand le parc Vigeland est doté de sages allées et de massifs de fleurs bien taillés. Même les jeux pour enfants manifestent la différence de style évidente entre les deux parcs : l'aire du parc Vigeland était grande, mais semblable à bien d'autres tout autour du monde, alors qu'au parc Ekeberg, c'est un mini-parcours d'accrobranche (adapté aux plus jeunes, notre cadette de 4 ans n'a pas été en reste) qui est offert aux jeunes visiteurs - succès garanti avec la mini-tyrolienne ! Mais ce n'est pas seulement à cause de l'aire de jeux que mes filles ont largement préféré le parc Ekeberg : alors que la visite du parc Vigeland avait encore quelque-chose du musée conventionnel, avec son parcours à suivre, ses statues alignées, ses touristes lambdas (selfies et cécité aux moins de 1m30), le parc Ekeberg se visite moins qu'il ne s'explore, et ses sculptures sont autant de trésors à découvrir. Mon seul regret est que nous n'ayons pas eu une vraie "carte au trésor" en main : le plan du parc est disponible à l'accueil près de l'entrée, mais payant, nous nous sommes donc contentés de la version en ligne et, pour motiver nos aventurières, j'avais recopié sur un papier la liste des quelques 40 sculptures à trouver, afin de les cocher au fur et à mesure, mais cela aurait été plus sympa d'avoir cette liste imprimée au propre sur un vrai support de visite. Malgré ce bémol, chercher les sculptures essaimées partout dans le parc, entre les arbres ou au détour d'une pelouse, a beaucoup amusé nos filles, et mon aînée surveillait l'avancée de nos trouvailles avec le décompte des petites croix sur ma liste.

Si le parc Ekeberg a séduit mes filles, c'est sans doute aussi grâce à la richesse et à la variété des sculptures, Maillol, Renoir ou Rodin, "Vénus à tiroir" de Dalì, "Couple" suspendu de Louise Bourgeois, mais aussi cabine en verre pleine de reflets, livre-miroir en plexiglass violet, filaments de métal qui tournent ou fausse grotte pleine d'écrans… Nous avons même eu la chance, grâce à un désistement, de faire partie des happy few (10 personnes maximum par demi-heure, le dimanche) autorisés à pénétrer, munis de chaussons de feutrines et de coussins, dans Skyspace, installation de James Turrell qui combine projections lumineuses sur la blancheur laiteuse d'une cathédrale en forme d'œuf, et point de vue sur le ciel ensoleillé à travers un œil percé dans le plafond d'une salle ronde (à tester l'hiver, vers 15h, pour le coucher du soleil...) ; deux espaces qui ouvrent à la rêverie, chacun à leur manière - ambiance feutrée et lumières douces dans un espace qui semble infini, ou ouverture lumineuse vers le ciel et le vent, emplie d'une pluie de flocons végétaux : magique ! Et même si la guide nous a précisé qu'il ne faudrait pas faire de bruit, elle n'a manifesté aucun agacement face aux chuchotements de nos filles (mais nous sommes sortis les premiers pour laisser les autres visiteurs profiter religieusement du silence). Quant au parc, c'est un espace de liberté rêvé pour les enfants, qui se sentent bien accueillis grâce à l'aire de jeux et qui peuvent, selon leurs goûts, apprécier la promenade dans les bois et/ou la découverte des sculptures, qui peuvent courir, rire, crier, sauter, gambader, ramasser des bâtons, goûter, bref être des enfants tout en étant environnés de beauté, beautés de la nature et beauté artistique n'ayant jamais été aussi bien accordées.

(1) Un ferry relie Bygdøy au port situé en face de l'hôtel de ville, et nous avons largement rentabilisé notre billet "saisonnier".

(2) Pour ces randonnées et d'autres, je vous renvoie à un blog de rando - entre autres - riche en infos et photos, et dont nous nous sommes inspirés pour nos promenades en forêt ; vous trouverez aussi dans le premier de ses cinq articles sur Oslo tout ce dont je ne vous parle pas ici, c'est-à-dire la ville d'Oslo elle-même, pas magnifique mais très agréable et riche en promenades et points de vue.


Fondation Astrup-Fearnley : ouvert tous les jours (en saison du moins), 12h-17h en semaine, 11h-17h le week-end (nocturne jusqu'à 19h le jeudi) ; entrée 130 NOK (environ 13 euros), réduit 90 NOK, gratuit pour les moins de 18 ans.
Fondation Henie-Onstad : ouvert tous les jours sauf lundi, 11h-17h ; entrée 120 NOK (un peu plus de 12 euros), tarif réduit 70 NOK, gratuit pour les moins de 18 ans. "Lab" pour les enfants ouvert tous les jours mais véritablement animé le dimanche seulement, 11h-15h ; entrée gratuite avec un billet d'entrée dans le musée.
Parc Vigeland : entrée gratuite ; ouvert tous les jours, 24h/24. Nous n'avons pas visité le musée Vigeland situé dans le parc lui-même. 
Parc Ekeberg : entrée gratuite ; ouvert tous les jours, 24h/24 ; Skyspace accessible tous les dimanches, toutes les demi-heures de 11h à 16h, réservation en ligne conseillée. Accessible avec le tram 18 ou 19 ; deux bus desservent aussi le camping qui se situe au milieu du parc, un peu en hauteur.
Pour le reste (visites comme transports), le site https://www.visitoslo.com/ est très bien fait.

Kulturen à Lund (Suède) : ouvert tous les jours en saison (du 1er mai au 15 septembre) de 10h à 17h (20h le mercredi), tous les jours sauf lundi (du 16 septembre au 30 avril) de 12h à 16h en semaine, de 10h à 16h le week-end et pendant les vacances scolaires ; entrée 130 SEK en saison (réductions), gratuit pour les moins de 18 ans.

jeudi 15 août 2019

En cas d'ennui

(Quelques idées musées pour le mois d'août à Paris)


Vous êtes à Paris (ou pas loin) au mois d'août, le temps n'est pas splendide et vous ne savez plus comment occuper vos (plus ou moins) petits qui commencent à trouver que ces vacances portent bien leur nom de "grandes" ? Vous venez de rentrer de voyage, le retour est d'autant plus rude qu'il reste encore deux bonnes semaines avant le 1er septembre ? Voici en vrac et un peu vite deux idées testées pour vous, et dont c'est le moment de profiter - que vous soyez touchés par l'ennui ou non - parce qu'elles ne vont plus durer longtemps.

Pour une combinaison visite et pause ludique, vous pouvez toujours compter sur l'incontournable Galerie des enfants du centre Pompidou ; mais, cerise sur le gâteau, l'installation qui l'occupe cet été (jusque début septembre, dépêchez-vous !) est articulée à la grande exposition "Préhistoire" qui vaut elle-même le détour : nous l'avons visitée à son ouverture, avec nos deux filles et une amie de notre aînée, un jour de grève de l'école, et ce fut un franc succès ; nous projetons d'ailleurs d'y retourner tant nous avons été enthousiasmés par la beauté des œuvres et par l'intelligente mise en regard de l'art contemporain avec des objets venus du fond des âges (magnifiques et fascinantes "Vénus", notamment) - un concept qui pouvait nous laisser sceptiques au premier abord (et la première salle est un raté qui aurait pu confirmer cet a priori), mais qui se révèle constamment pertinent, tant les œuvres ont été bien choisies. Les filles ont bien aimé la partie sur les dinosaures, avec ses figurines et ses vieux films, et nous avons tous joué avec plaisir à "Préhistoire ou 20e siècle ?" face à un magnifique parterre de sculptures et gravures - il était drôle de voir les filles tomber dans le piège face à un Modigliani, mais aussi de nous tromper nous-mêmes assez souvent ! En bref, une des meilleures expositions que j'ai visitées depuis longtemps.

Dans la Galerie des enfants, même mélange des époques, même concept : la Préhistoire au prisme de la modernité. Plusieurs activités développées par les premiers hommes sont ainsi proposées sous une forme revisitée : les empreintes de main sortent d'une imprimante couleur, les colliers de pâtes remplacent les colliers d'os, les enfants peuvent monter des tipis bariolés avec de grands pans de feutrine, s'essayer à imiter une danseuse filmée dans divers lieux modernes et décalés pour illustrer les principaux mouvements du corps humain, faire de la musique en frappant des tuyaux en métal. Même si l'imprimante est parfois à court d'encre et le fil fourni trop épais pour pouvoir y enfiler certaines pâtes (à chaque visite, c'est nous qui avons réalisé les colliers !), nos filles ont adoré cette installation (nous comptabilisons trois visites à ce jour), bien plus réussie que certaines des précédentes !

Nouveauté de cet été (et, malheureusement, de cet été seulement - attention, jusqu'au 26 août !), le musée de l'Orangerie a installé dans une partie de l'espace habituellement dévolu aux expositions temporaires un "repaire" pour les enfants (officiellement à partir de 6 ans, mais notre cadette de 4 ans y a trouvé de quoi s'occuper, de même que de nombreux adultes !) : ils peuvent y participer à une fresque murale collective en dessinant à la craie dans un décor inspiré d'un grand peintre, inventer les paroles des personnages de quelques tableaux en remplissant des bulles au feutre Velléda, compléter des dessins inspirés de plusieurs toiles du musée (dessins à demander à l'entrée de la pièce à l'animatrice qui n'anime rien du tout) ; des crayons de couleur sont disposés sur quelques tables, où les enfants sont aussi invités à inventer des histoires (mais aucun support ne vient nourrir leur inspiration) ; dans un coin, une petite sélection de livres (vraiment modeste) et deux ou trois coussins invitent à la lecture. L'existence de cet espace est complétée par deux initiatives : des projections de courts-métrages animés (sur les thèmes de l'art, de la musique, de la nature) ont lieu toutes les heures entre 10h et 17h dans l'auditorium voisin ; et vous pouvez réclamer à l'accueil (s'il est ouvert : je suis arrivée juste avant que l'hôtesse ne s'absente, ouf !) un coloriage et un livret - ou plutôt un dépliant, comme au musée d'Orsay, quoiqu'un peu moins encombrant - qui invite les enfants à chercher cinq toiles dans la collection Guillaume et leur propose d'imaginer une histoire autour du tableau avant de leur donner quelques explications sur les liens entre le collectionneur Guillaume et les peintres sélectionnés. Toutes ces initiatives sont louables et méritent d'être saluées : mes filles, comme d'autres enfants, étaient ravies de trouver un coin pour elles dans ce musée que nous avions déjà visité plusieurs fois avec elles.

Mais je dois dire que j'ai été un peu déçue et que seuls les courts-métrages m'ont semblé avoir de l'intérêt, même si certains étaient un peu tristounes. Les "histoires" proposées par le dépliant, très courtes, stimulaient moins l'imagination que l'observation, et s'apparentaient davantage à un commentaire d'image sans fantaisie ; elles étaient expédiées en quelques lignes pour ensuite laisser place aux informations. Un équilibre à mettre en rapport avec l'âge des enfants visés par le dispositif : 6-12 ans, âge scolaire, âge où l'on apprend (enfin). J'ai très souvent déploré que les livrets-jeux pour enfants ne soient proposés qu'à partir de 6 ou 7 ans, c'est-à-dire pour des enfants qui savent lire (comme si un parent ne pouvait leur lire consignes et questions) et qui vont à la "grande école", celle où l'on apprend des leçons d'Histoire ; comme si la découverte de l'art ne pouvait se faire que par le prisme d'une frise temporelle et sous une forme informative, même si le support a des apparences ludiques ; comme s'il n'était pas possible de créer un lien entre la créativité stimulée en maternelle dans des activités d'art plastique, et l'art que l'on découvre dans les musées. Comme si les musées devaient être aux yeux des enfants une institution comparable à l'école (dans une vision de l'école un peu "rétro", d'ailleurs), et non un lieu de liberté et d'imagination. Le modèle de l'école était d'ailleurs flagrant dans le "repaire de Lily" : coin lecture comme dans la plupart des classes, craies et feutres Vellédas côté matériel, et des consignes strictes sur chaque table (ne pas laisser ses dessins sur la table en partant, et bien replacer les crayons, qui sont même classés par taille !). Rien à voir avec le désordre créatif qui règne dans les divers "labs" et autres espaces de création que nous avons visités au Danemark ou en Norvège (grandes tables, éviers et tabliers tâchés de peinture, créations disposées partout, façon caverne des Mille et une nuits) - même le "lab" désert de la fondation Henie-Onstad à Oslo (article à venir), qui ne s'anime que le dimanche, portait la trace des créations précédentes (tâches de peinture, crayons en vrac et constructions en Kapla) et semblait être resté dans l'état où l'avait laissé une joyeuse bande de petits artistes. A l'Orangerie, pas question de désordre, encore moins de tâches de peinture : l'animatrice, qui se contentait de surveiller et de ranger, avait gardé les feutres pour elle ! A 17h30 (30 minutes avant la fermeture), elle avait déjà effacé la fresque et les dialogues, et il n'était pas question d'esquisser un nouveau dessin à la craie. Pour qu'un tel espace soit réussi, il faut qu'il soit véritablement animé par une personne qui stimule la créativité des enfants, et ne se contente pas d'être un distributeur de coloriages ! Il faut accepter le désordre, voire le bruit, bref la vie ! Il faut proposer aux enfants autre chose que ce qu'ils peuvent faire chez eux, ou au moins réinventer ces activités traditionnelles ou les articuler à ce qu'ils ont vu dans le musée (je crains que la fresque murale, par exemple, n'ait pas évoqué la moindre œuvre d'art aux enfants présents). Bref il faut encadrer un tel espace non pour le maintenir propre et rangé, mais pour dynamiser les activités proposées, alimenter la créativité des enfants, leur faire voir autre chose (sculpter l'argile au Louisiana, c'était quand même autre chose que de dessiner une robe à un personnage de Matisse !). Bref, l'initiative est assez rare en France (ou du moins dans les grands musées parisiens, paresseux en ce qui concerne l'accueil des enfants) pour qu'on l'applaudisse mais j'aurais aimé que ses instigateurs fasse preuve d'un peu plus d'imagination et de fantaisie, et s'adressent davantage à la créativité des enfants, quel que soit leur âge.

La France a encore beaucoup de progrès à faire pour l'éducation à l'art des enfants (il ne faudrait pas d'ailleurs parler d'éducation, mais plutôt de découverte, pour se libérer du modèle scolaire encore trop présent), même si les visites contées et autres ateliers fleurissent de plus en plus, parfois pour de très jeunes enfants (à la Fondation Louis-Vuitton, par exemple). A signaler, des efforts du côté du musée d'Orsay aussi, du moins sur le papier (et en ligne), avec un comptoir jeunesse mis en place dans le musée (pas encore testé pour vous), et surtout un tarif réduit "Enfant et compagnie" (11 euros au lieu de 14 pour deux adultes accompagnant un enfant de moins de 18 ans, c'est une petite réduction, mais c'est un début !) comme il devrait en exister dans tous les musées pour motiver les parents (et que le musée soit moins cher que le cinéma pour les familles !). A découvrir aussi (pour les jours de pluie ou de paresse) : les "promenades imaginaires" du Musée d'Orsay, podcasts proposant des histoires inspirées de tableaux, ou plutôt des monologues intérieurs de personnages du tableau ou de son décor (le chat d'un tableau de Renoir, la grande sœur d'un bébé peint par Berthe Morizot) ; notre aînée a bien aimé les écouter en regardant le tableau correspondant sur la tablette de son père, mais le caractère décousu du monologue intérieur, combiné aux informations généalogiques et mondaines sur les personnages du tableau et sur l'artiste, ont empêché notre cadette (4 ans) de rester attentive pendant les dix minutes d'écoute. Là encore j'ai été frappée par le manque de fantaisie des deux récits que mes filles ont écoutés : trop de realia, qu'il s'agisse d'identifier les personnages du tableau (fille de, nièce de…) ou de décrire leur ressenti (fillette chamboulée par la naissance d'une petite sœur ou inquiète car son papa est malade). Mais la douceur des voix des lecteurs s'accorde bien avec celle des toiles, et ces lectures ont offert un temps de rêverie calme à notre aînée.

Mais il y a encore du travail en direction de la toute petite enfance : des supports de visite devraient être créés pour les tout-petits et les classes de maternelle devraient toutes aller se promener dans un musée - se promener, et non visiter, pour que le musée soit pensé comme un espace ouvert et libre, davantage comme un parc que comme une école. Ainsi on pourrait articuler découverte de l'art et développement de la créativité. Et aller au musée avec des enfants, avec ou sans activité ludique, ne semblerait plus incongru. Car vous pouvez aussi faire le pari d'une visite de musée traditionnelle, sans support ni activité ludique ! Nous avons testé in extremis l'exposition sur les Hittites ("Royaumes oubliés. De l'empire hittite aux Araméens") du musée du Louvre (malheureusement terminée depuis le 12 août), et nos filles ont vraiment apprécié, tant les objets étaient beaux : elles n'ont certes rien "appris", mais elles en ont pris plein les yeux, et c'est bien l'essentiel !


Centre Pompidou : "Préhistoire. Une énigme moderne", jusqu'au 16 septembre 2019 ; "La fin du paléolithique" (Galerie des enfants), jusqu'au 2 septembre 2019, gratuit pour les enfants accompagnés d'un adulte muni d'un billet d'entrée dans le musée.

Musée de l'Orangerie - le repaire de Lily, du 3 juillet au 26 août 2019 : gratuit (avec un billet du musée : 9 euros pour les adultes, gratuit pour les moins de 18 ans), sans réservation, aux horaires du musée (tous les jours sauf mardi, 9h-18h), niveau -2 ; activités en français et en anglais.
Attention : fermeture des salles de la collection Walter-Guillaume du 4 septembre 2019 au 31 mars 2020 (tarif réduit en conséquence).

Les petits M'O du Musée d'Orsay : 9 promenades imaginaires à écouter en observant le tableau (sur son ordinateur ou dans le musée).