mardi 28 février 2017

De Ballerina à Degas : musées en entrechats


(Petite Galerie, Musée du Louvre ; Musée d'Orsay)


Pour motiver les enfants à venir au musée ou donner du sens à leur visite, on peut partir d'un livre, qu'il s'agisse d'une histoire qui les fait rêver (vous ai-je déjà parlé de Petit Noun, l'ami chéri que mon aînée veut voir à chacun de ses passages au Louvre ?) ou de livres d'art (un bon vieux Taschen nous a aidé à préparer la visite de l'exposition Magritte et à savoir si notre grande était susceptible de l'apprécier). On peut aussi partir d'un thème, comme le font certaines visites destinées aux enfants dans de nombreux musées (les dragons au Musée de la Musique, par exemple), ou encore d'un film.

Pendant les dernières vacances, notre cinéma de quartier passait Ballerina, que nous n'avions pas vu à sa sortie en décembre. J'y ai emmené notre grande, avec sa copine de danse. Même si le rêve de ma fille d'être ballerine n'a pas survécu au délire post-film entre copines (et je ne vais pas m'en plaindre), nous avons décidé de surfer sur le thème de la danse pour nos visites de musées. Avec pour commencer l'exposition au long cours qui occupe la Petite Galerie du Louvre, espace dédié à l'éducation culturelle et artistique, autour d'un thème qui est exploré par le musée et par ses invités - en ce moment, le chorégraphe Benjamin Millepied. Car, cette année (d'octobre à juillet), dans une thématique "Corps en mouvement" qui a pour but d'observer la façon dont les arts traduisent le gestes et émotions dans des œuvres inanimées, la Petite Galerie amène "la danse au musée".

Il s'agit d'un espace peu étendu, qui tiendrait presque de la promenade fermée. Rien d'étouffant cependant, malgré l'absence de fenêtres, grâce au blanc omniprésent sur les murs et aux miroirs qui habillent la petite rotonde où aboutit le parcours. Tous les espaces sont habilement occupés, sans surcharge ni gadget. Ici, l'éclectisme est de mise : vases grecs côtoient peinture orientale, sculptures et moulages (de l'Antiquité à Calder, en passant par Rodin) toiles et photographies. Sans oublier les projections, en face l'une de l'autre, de deux versions de la Danse serpentine, qui ont longuement fasciné nos deux filles, avec leurs volutes de voiles colorisés. Les œuvres sont accompagnées de courts textes explicatifs (auxquels il faut ajouter une courte vidéo intitulée "Animer l'argile", qui montre les mains et la technique du sculpteurs à l'œuvre), mais l'écrit n'est jamais envahissant, et les visiteurs ne s'engluent pas devant les panneaux explicatifs comme c'est si souvent le cas dans les expositions temporaires. Chacun peut, au gré de ses envies, confronter une danseuse de Degas avec une acrobate antique, une toile représentant des chevaux de course les quatre pieds décollés du sol, avec des clichés montrant l'impossibilité physique d'un tel vol plané.

Il y en a donc pour tous les goûts dans cette Galerie, petite par la taille mais pas par l'ambition, puisqu'il s'agit d'initier à l'art tous les publics, et notamment les plus jeunes - c'est du moins ainsi qu'elle est présentée sur le site qui lui est dédié, ainsi que sur le site du Louvre, par le président-directeur du musée du Louvre, Jean-Luc Martinez lui-même, qui semble tenir à cette ouverture à "tous les publics", indépendamment de leur "niveau de connaissance". Initialement, cet espace était notamment destiné "aux jeunes et à leurs accompagnateurs", et un livret de jeux devait être associé aux expositions. Or, de livret, point. Nous l'avons pourtant demandé à l'accueil du musée, où l'on nous a répondu qu'il n'y en avait pas. Si ce type de livret a existé auparavant, l'idée a malheureusement fait long feu, preuve que les enfants ne sont pas la priorité du musée du Louvre, loin de là. D'ailleurs, rien dans notre visite de la Petite Galerie ne nous a donné l'impression qu'elle était destinée aux plus jeunes. Les œuvres sont parfois très petites, et exposées en hauteur - il a fallu porter notre aînée plusieurs fois. Aucun dispositif (écrans, borne numérique tactile ou même de ces plaquettes plastifiées que l'on trouve parfois dans les musées les moins modernes) ne vient animer ou éclairer la visite. Les œuvres sont surtout bien trop nombreuses pour un public jeune ou non averti ; moi-même, en consultant ensuite le site de la Galerie, avec sa liste d'œuvres exposées et sa visite virtuelle, j'ai découvert des œuvres que je ne me souvenais pas avoir vues. Trop d'œuvres donc, et trop diverses : il me semble qu'un public non initié pourrait se perdre dans cette profusion et surtout ne pas s'y retrouver dans la diversité des courants et des époques, puisque tous se côtoient. La démarche n'est clairement pas historique - ce qui peut se défendre - mais pas du tout pédagogique non plus. Eduquer le regard est difficile, me semble-t-il, quand il ne sait où se poser.

Bref, nous avons apprécié notre visite, et nos filles aussi - même si elles semblaient ne pas trop savoir où donner de la tête et, comme cela arrive souvent dans un musée trop grand ou trop dense (ce fut le cas par exemple au musée du quai Branly), était toujours tentée d'aller voir plus loin au lieu de rester un peu devant une œuvre. Mais je pense que notre habitude des musées et nos modestes connaissances en art (notre fille se souvient de sa visite au musée Rodin et des danseuses de Degas) nous ont aidé à apprécier cette visite, à orienter notre regard et celui de nos filles, à choisir quelques œuvres pour les commenter avec elles. Car rien n'est fait pour les enfants dans cette Petite Galerie (comme dans le Louvre en général) - à commencer par la sortie : comme nous avions notre poussette (vide, car la petite voulait marcher, mais impossible de la laisser au vestiaire), la gardienne nous a enjoint de ressortir par l'entrée. Je n'ai compris qu'ensuite que nous avions ainsi manqué une œuvre, qui aurait pourtant plu à nos filles (une série de grands clichés tirés du film Entr'acte de René Clair, qui montrent une danseuse vue d'en bas à travers un sol vitré, décomposant ses pas et ses sauts). On a sans doute voulu nous épargner quelques marches (surmontables avec une poussette à vide), mais cela s'est avéré inutile puisque nous en avons monté d'autres ensuite pour parcourir la cour voisine de la Petite Galerie, la cour Marly, où sont exposées plusieurs œuvres qui permettent de prolonger la thématique de l'exposition sur le mouvement, et notamment les couples formés par Hippomène et Atalante et Apollon poursuivant Daphné de Nicolas Coustou.

Les commissaires de l'exposition de la Petite Galerie proposent en effet deux parcours, à travers les salles de la sculpture française et celles de la peinture italienne, afin de prolonger l'exploration de la thématique du corps en mouvement. Dommage que les très belles salles consacrées à la sculpture française soient actuellement fermées pour travaux... Nous aurons au moins pu admirer les grandes œuvres de la cour Marly, qui plaisent à la petite comme à la grande - je me souviens que c'est par la sculpture que nous avions commencé avec elle, quand elle avait l'âge de sa sœur, notre exploration du Louvre ; les œuvres sont grandes et s'offrent donc directement aux regards. Chevaux, hommes pris en pleine course ou en pleine lutte avec des bêtes sauvages, dieux et déesses, la cour Marly est un très beau lieu, clair, lumineux, vaste, où les œuvres ont de l'espace et les visiteurs du recul pour les apprécier ; un lieu calme aussi, car assez peu fréquenté (même en ce jour de vacances scolaires il n'y avait presque personne, ce qui n'était pas le cas dans d'autres sections) - à tort, car les œuvres sont belles et permettent de raconter bien des histoires aux enfants curieux. La cour Marly est à mes yeux un lieu idéal pour initier un enfant aux musées, et rendre moins imposant et intimidant cet immense usine à œuvres qu'est le Louvre.

Autre musée-monstre où le visiteur, adulte comme enfant, risque de se perdre s'il n'a pas un plan, et surtout une idée précise de ce qu'il est venu voir (inutile de dire qu'une visite exhaustive est inenvisageable avec des petits, surtout par temps d'affluence monstre), le Musée d'Orsay n'a pas non plus besoin de séduire de nouveaux publics, plus jeunes ou moins favorisés (un récent reportage de France Culture a permis de n'avoir aucun doute à ce sujet). Comme son voisin de l'autre côté de la Seine, le Musée d'Orsay n'est pas des plus accessibles aux familles : ascenseurs petits et surchargés, qui ne permettent pas d'accéder à tous les espaces, certaines passerelles étant parsemées de marches ; toiles impressionnistes accrochées relativement haut, et souvent assaillies de touristes compacts ; salles du rez-de-chaussée (Gauguin, Van Gogh...) exigües, et donc peu praticables avec un enfant, a fortiori avec une poussette, quand des groupes affluent en masse...

Quant aux livrets conçus pour les enfants, on les trouve au comptoir d'information, où ils ne sont pas disposés en libre accès aux côtés des plans. Il faut donc, comme trop souvent, penser à les demander... On nous en a proposé trois (je ne sais pas combien il en existe, mais j'en ai vu d'autres aux mains d'autres enfants au cours de la visite - évidemment, on ne m'a pas donné le choix et les bacs ne sont pas à la vue du visiteur), et ma fille a fait les yeux doux pour pouvoir les garder tous. Thèmes imposés donc : "Sports de combat" (avec une danseuse), "Héros", et "Princes et princesses" (la grande image représentant... une bergère). J'ai vu qu'il existait aussi "Sales gosses", je vais prendre comme un compliment le fait qu'on ne l'ait pas proposé à ma canaille ! Elle était en tout cas ravie de sa moisson. Très vite, cependant, nous avons été beaucoup moins emballés : il ne s'agissait en fait pas de livrets, mais de posters pliés en huit - pas du tout pratiques à déplier dans une salle noire de monde, un peu comme Le Monde dans le métro aux heures de pointe ! D'un côté, une reproduction format poster, de l'autre, quatre plus petites ; chacune est accompagnée d'un court texte explicatif ; le but est donc de retrouver ces cinq œuvres dans le dédale du musée (un plan vous indique dans quelles salles elles se trouvent, quatre ou cinq différentes à chaque fois), et parfois, pour l'une d'elles, de résoudre une petite énigme (jeu de différence, repérage d'un détail, ou identification de la bonne silhouette d'une sculpture parmi quatre). Bref, peu de ludisme, peu d'interactivité pour l'enfant, et beaucoup de travail pour le parent qui doit gérer le plié-déplié encombrant, chercher les œuvres sur le plan et dans les salles (parfois en vain, comme la bergère qui était... prêtée !), et lire les textes s'il a le courage et si son enfant est réceptif. En ce qui nous concerne, nous avons vite renoncé, surtout parce que nous manquions de l'espace minimum pour une petite pause lecture, explications ou jeu. Mais aussi parce que ces dépliants encombrants, peu ludiques, imposent de parcourir tout le musée, ce qui n'était pas notre intention.

Nous avons tout de même poussé notre aînée à chercher dans la galerie des impressionnistes la danseuse de Degas qui occupait une face de son poster "Sports de combat" - ce qui nous permit de prolonger la thématique Ballerina. Entre peintures et sculptures, plusieurs œuvres de Degas ont ponctué notre parcours dans la galerie des impressionnistes. Nos filles ont joué à imiter les postures des ballerines, notamment de celles en bronze, qu'on trouve dans plusieurs vitrines (ce ne sont d'ailleurs pas les œuvres les mieux mises en valeur : vitrines bien pleines, placées dans des recoins de la galerie ou du salon de l'horloge, où la priorité est donnée à la peinture - si l'on excepte la Petite Danseuse de quatorze ans, que nous devions chercher, et qui est plus visible). La danse nous servit donc de fil rouge, même si elle ne suffit pas à nourrir une visite entière au musée d'Orsay, même avec des enfants. Cela ne nous a pas empêché cependant de nous arrêter devant plusieurs Monet (notre grande, qui a découvert depuis peu les nymphéas, entre dans une phase d'enthousiasme pour l'impressionnisme), Manet, Cézanne, Caillebotte (grand moment d'intérêt technique pour le rabotage de parquet !), et devant d'autres Degas (Les Repasseuses, autre pause "techniques d'antan")...

Mais pour parfaire notre parcours personnel spécial danse, après une pause dans les drôles de canapés du salon de l'horloge, et avant d'aller découvrir d'autres salles d'arts décoratifs, de sculptures et de peinture, nous avons fait un détour par la salle de bal du musée : la gare d'Orsay comprenait en son sein un hôtel de luxe, et c'est la salle des fêtes de cet établissement qui a été conservée, avec ses dorures, ses lustres, ses peintures, et son parquet idéal pour les danseuses en herbe. Les filles s'en sont donné à cœur joie, la grande à grands renforts d'entrechats était ravie de faire tourbillonner sa jupe (ouf, nous en avions choisi une "qui tourne"), tandis que sa cadette parcourait la salle sur un mode plus athlétique. Et même si les touristes viennent jeter un coup d'œil à la salle, s'y retrouver ou s'y prendre en photo, elle offre tout de même un espace vaste et assez dégagé, où les enfants n'apparaissent pas comme une nuisance ou une menace, et où les parents peuvent les laisser se déplacer avec un peu plus de liberté. Une pause bienvenue, avec ou sans arabesques !



Petite Galerie du Musée du Louvre (accès dans l'aile Richelieu, niveau entresol) - accessible aux mêmes horaires et conditions que le Musée : ouvert tous les jours sauf le mardi, de 9h à 17h30 (21h30 les mercredi et vendredi). Tarifs : 15 euros ; gratuit pour les moins de 18 ans (moins de 26 si résident de l'UE). Cafés accessibles autour de l'entrée, sorties temporaires possibles pour déjeuner ou goûter.


Musée d'Orsay : ouvert tous les jours sauf le lundi, de 9h30 à 18h (21h45 le jeudi). Tarifs : 12 euros ; tarif réduit 9 euros (pour tous à partir de 16h30 - 18h le jeudi) ; gratuit pour les moins de 18 ans (moins de 25 si résident de l'UE). Deux cafés à l'intérieur.

mardi 21 février 2017

La Parole à Cécile, en direct de Gironde


(Musée de la Création Franche, art brut et apparentés - Bègles)

En cet après-midi de premier jour officiel de vacances, le ciel girondin n’est pas franchement rayonnant. Les finances ne sont pas au beau fixe. Alors quoi de mieux qu’un musée gratuit !

Nous voilà, mes deux fils et moi, partis pour le Musée de la Création Franche à Bègles. Ce musée expose des artistes assez insolites, qui ne suivent pas de formation ou de courant. Parfois ce sont même des marginaux ou des artistes autistes. On y va donc en s’attendant à être étonnés.
L’exposition permanente est sur le thème de la femme... avec des images et sculptures très suggestives… donc attention aux sensibilités de certains.
Nous sommes accueillis pas une très gentille dame qui nous présente les deux expos temporaires et la permanente (avec avertissement sur la nudité). Elle remet à mes loulous deux livrets jeux adaptés à leur âge et des crayons de couleur.
Nous voilà partis dans ce musée installé dans une belle demeure en pierre girondine.

Le rez-de-chaussée nous laisse découvrir Gene Merritt au travers de portraits d’artistes et de musique en juke-box. Je n’aime pas du tout ces dessins qui semblent faits par des élèves de CM2 :) Mes loustics sont de suite ravis de partir à la quête des indices pour répondre aux questions de leur livret. Bidouiller le juke-box est un vrai plaisir aussi !
Nous montons ensuite rapidement dans les autres salles (on suit les numéros indiqués sur le livret et les portes).
Nous voilà à la découverte d'Andrew Rizgalla. Beaucoup plus attractif avec ses dessins au stylo noir et feutres colorés. C’est dense et plein de détails, et certains ressemblent même à de vraies gravures. J’aime assez… Les garçons sont emballés ! Raphaël dégaine son appareil photo pour garder souvenirs des oeuvres dont il veut s’inspirer et reproduire.
Maxime chasse les animaux cachés dans la densité des dessins. Et moi j’apprécie ces motifs et ces couleurs vives. Ca donne des idées pour faire des choses en classe :)

Nous finissons par l’expo permanente… Alors là, c’est très varié, tant par les techniques… que par la qualité d’après moi… Sculptures, tableau en tissu, en sachets de thé... plus ou moins fins... plus ou moins vulgaires… Je n’accroche pas… mis à part une ou deux oeuvres qui attirent l’œil.
Raphaël retiendra la petite et dernière salle où sont exposés les enveloppes reçues au musée et toutes très décorées.
Ils ont aimé se poser devant les oeuvres pour remplir leur livret. Entre énigmes, recherche d’indices dans les oeuvres, coloriages, dessin à compléter… Ce petit recueil est bien pensé et adapté aux enfants.
Les œuvres sont installées de façon très accessible, et la petite taille et la gratuité du musée vont avec l’ambiance détendue. Chacun y prend ce qu’il veut. C’est un lieu de curiosité bien pensé.
Je pense que selon les expositions temporaires et ses sensibilités, on en ressort plus ou moins emballé. Mais comme j’avais prévenu les garçons que nous risquions de voir de drôles de choses, ils ont été ravis !
Rizgalla a donc fait l’unanimité et inspiré les dessins au retour à la maison !

À conseiller si vous passez dans le coin (une petite heure de visite en prenant son temps).
Parking sur place gratuit.
Le prochain à faire : Musée des Beaux-Arts et ses ateliers qui ont l’air bien mais pris d’assaut !


Informations sur le site du musée.
Ouvert tous les jours de 14h à 18h (novembre-février) ou de 15h à 19h (mars-octobre).
Entrée libre et gratuite.

dimanche 19 février 2017

Musée à ciel ouvert

(Nantes, un peu partout)


À l'heure où nous songeons à nos prochains voyages - pour oublier l'hiver - j'ai eu envie de me replonger dans nos dernières vacances d'été. En juillet dernier, après une semaine plage-aquarium-plage-promenade-plage au Croisic - avec tout de même une petite excursion anti-canicule à Batz-sur-Mer, où l'on peut visiter un musée des marais salants très child-friendly (1) -, nous avons passé quelques jours plus "culturels" à Nantes. Une ville qui nous a semblé inépuisable : nous y sommes restés cinq jours, qui ont été bien remplis, et nous n'avons pas eu le temps de tout voir - sans compter que deux des principaux musées (musée des Beaux-Arts et musée Dobrée) étaient fermés pour travaux (mais une petite partie de leurs collections était visible, assez pour ne pas être frustré, et pour avoir envie de revenir !).

Ne vous méprenez pas sur le titre de cet article : Nantes n'a rien d'une ville-musée. Vivante et changeante, elle est tout sauf figée. Son centre ville a certes le charme de l'ancien, relevé par quelques coquetteries d'urbanisme moderne (très beaux lampadaires sur la place de l'opéra, et aussi ces drôles d'arches en plastique translucide placées à quelques croisements, et dont je n'ai toujours pas compris l'utilité). Mais un nouveau centre, moderne et tourné vers l'inventivité, vers l'avenir, se bâtit progressivement sur l'île des machines, ancien site des chantiers navals. Le cœur de cette nouvelle Nantes, c'est bien entendu le tandem fantastique formé par le Carrousel des Mondes marins (un manège sur trois étages, habité de créatures réelles ou inventées, la plupart articulées, à admirer mais aussi à chevaucher et à animer le temps d'un tour qui ravit toutes les générations) et par la halle qui abrite les Machines de l'île, série de prototypes qui sont animés sous vos yeux les uns après les autres. Ces lieux, qui à eux seuls valent de venir à Nantes, sont à la fois tournés vers un passé littéraire (celui des mondes imaginés par le Nantais Jules Verne, dont l'univers, qui est aussi celui de notre enfance, surgit devant nos yeux), et vers l'avenir ; un avenir très concret, bien qu'il semble un peu fou, celui de l'arbre aux hérons, qui devrait se dresser sur l'île aux Machines et que viendront habiter les araignées, fourmis et autres chenilles articulées, sans oublier les hérons dont un "petit" prototype nous a permis d'imaginer le vol majestueux. Rendez-vous en 2021 : je vous l'ai dit, nous avons quitté Nantes avec la ferme intention d'y revenir.



Installation pérenne de Daniel Buren,
sur les bords de Loire, sur l'île aux Machines
Mais je n'oublie pas l'objet de ce blog, que je ne vais pas transformer en guide touristique accéléré - ni en prospectus vantant les merveilles des machines, même s'il ne faudrait pas me lancer sur le sujet du tour en éléphant, souvenir impérissable pour nous tous. Si je vous parle de Nantes aujourd'hui, c'est parce que la culture, et notamment cette partie de la culture que l'on découvre dans les musées, l'art, y tiennent une place à la fois centrale et atypique. Car ils sont à la fois partout et nulle part : ils ne sont cantonnés dans aucun lieu, puisque tous les lieux peuvent les accueillir. Tout particulièrement l'été, grâce à une manifestation de grande ampleur nommée le Voyage à Nantes, qui transforme la ville en musée vivant : depuis 2012, elle est en effet parcourue par un fil vert, tracé sur le bitume, qui mène les visiteurs à travers la ville, côtoyant ses principales attractions touristiques, les envahissant à l'occasion, dans une promenade ponctuée d'une cinquantaine d'étapes artistiques - installations, expositions temporaires et œuvres devenues permanentes depuis les précédentes éditions du Voyage ou de son ancêtre, le festival Estuaire. Ce fil vert, on peut le croiser par hasard ou décider de le prendre comme guide, on peut le quitter pour le reprendre plus loin, ou un autre jour. Un livret, distribué dans la plupart des points-étapes, fournit non seulement un plan de l'itinéraire mais une présentation de chacune des étapes, pour ceux qui devraient ou voudraient faire un choix. Et il y en a pour tous les goûts, même si l'art contemporain est bien entendu à l'honneur : cette année, le château des ducs de Bretagne accueillait une exposition d'icônes qui retrace le destin des Grecs chassés de Turquie après la Première Guerre Mondiale ; quant au Musée des Beaux-Arts, il s'exposait en version "nomade" dans trois lieux différents, qui présentaient une sélection d'œuvres autour du thème du voyage.

Design, architecture, sculpture, vidéo... Tous ces médiums de l'art contemporain étaient exploités au fil du parcours, et bien d'autres encore : une cabine téléphonique transformée en aquarium, un terrain de foot au tracé oblique auquel un miroir convexe rend sa forme traditionnelle, une installation sonore et lumineuse dans la salle de l'opéra (qui permet d'en admirer le magnifique plafond peint sous divers éclairages), un mobile géant hissé par une grue au-dessus d'une place sur laquelle sont installés les containers de couleurs dans lesquels ses différents éléments semblent avoir été découpés, un mètre ruban géant posé dans la cour d'un bâtiment de bureaux... Car l'art, à Nantes, se fond dans la ville et devient un élément à part entière du paysage urbain : pendant le Voyage à Nantes, l'art investit les lieux du quotidien (une piscine, dont les usagers nageaient sous un banc de poissons argentés), les rues (un passage piéton dont les lignes se croisent ou se courbent), les parcs ; partout dans la ville, des enseignes créées par différents artistes se sont installées aux devantures des boutiques. Et les Nantais comme les visiteurs ne sont pas seulement invités à regarder : le terrain de foot attire les sportifs et, non loin, un magnifique dragon en bois cracheur d'eau s'avère être une aire de jeux géante pour les enfants ; tables de ping-pong revisitées, arbre à paniers de basket, bars à l'architecture surprenante, airs de pique-nique et potagers ou vergers ouverts à tous, cantines, terrains de jeu, canapés-bibliothèques, les œuvres deviennent cadre de vie autant qu'objets de regard, et tous sont appelés à les traverser, à les habiter. Ainsi de cette palissade non rectiligne, dont les courbes et les angles débordent sur la rue et abritent des bancs où celui qui les traverse peut s'arrêter pour contempler les vagues de lumières et d'ombres qui s'y jouent.





































Car le jeu semble le maître-mot de ce Voyage à Nantes : jeu avec les codes du mobilier urbain, jeu avec l'espace-même de la ville, et espaces de jeu pour petits et grands. Deux des grands moments de nos visites nantaises illustrent bien ce ludisme ambiant. Le sommet de ce parcours fut pour moi le jeu de piste absolument jubilatoire que Claude Ponti avait tracé à travers le Jardin des Plantes : ce fut un plaisir pour nous de retrouver l'univers de cet auteur jeunesse très décalé et imaginatif - nous nous y sommes replongés depuis, et notre fille est absolument conquise par les aventures de Blaise et autres poussins, par La pelle l'Adèle ou par Ma vallée, par Broutille, peut-être mon préféré, à moins que ce ne soit Le château d'Anne Hiversère ou L'Écoute-aux-portes... Plusieurs motifs ponctuaient ce parcours un peu fou et si poétique : des bancs décalés (banc géant sous lequel passent les promeneurs, bancs en vague, bancs "façon Dalton", dont le plus petit est au ras du sol, etc.) et, surtout, la grande aventure de pots de fleurs qui, nés "tout nus" d'un pot géant (lui-même créé à partir de pots assemblés, l'intérieur tourné vers nous), vont acquérir dans leur traversée du parc, en passant à l'intérieur de créations florales qui sont autant de créatures fantastiques, des yeux, un nez, des pieds... Chaque été depuis 2013, Claude Ponti vient enchanter et amuser le jardin des Plantes nantais, inventant de nouvelles créatures de verdure qui viennent l'habiter, rejoignant certaines œuvres pérennes, comme le banc géant. Leur présence dans tous les recoins de ce magnifique jardin, très agréable à parcourir en lui-même, calme et varié, transforme la promenade en chasse aux pots de fleurs, en quête de la prochaine loufoquerie claudepontiesque. Un vrai bonheur pour petits et grands.

Autre artiste, autre espace, autres styles : le bâtiment principal du musée Dobrée avait été vidé de ses œuvres en vue de travaux imminents mais, avant d'être envahi par les plâtriers, il avait été abandonné à l'inspiration du Gentil Garçon, artiste multi-support qui, lui aussi, s'est pris au jeu du Voyage - jeu avec l'espace du musée inhabité (ses couloirs se peuplèrent de bras porte-lampes-torches fantomatiques, ses escaliers de lampes suspendues...) et avec les œuvres de trois musées de la ville, dont deux étaient alors en travaux : le musée Dobrée lui-même, le Musée des Beaux-Arts et le Muséum d'histoire naturelle. Des dialogues ludiques (mimétisme de couleurs et de formes) ou mystérieux, des mises en scène surprenantes (de toutes petites œuvres dans une sorte de maison de poupées) qui créaient une atmosphère parfois inquiétante, parfois amusante, toujours stimulante. Une très bonne idée que ce coup de folie dans un espace défraîchi.

Il incitait également à venir découvrir les collections du musée Dobrée, présentées malgré les travaux dans un espace plus récent mais plus petit : on peut en avoir un aperçu grâce à une sélection, renouvelée régulièrement, mais qui compte toujours les pièces maîtresses (le laraire gallo-romain de Rezé, l'écrin du cœur d'Anne de Bretagne, une vierge en ivoire du xive siècle...) de cette collection pour le moins éclectique (numismatique, archéologie, notamment militaire, sculptures antiques et médiévales, objets venus d'Asie, arts graphiques, manuscrits...). Ce résumé de collection, présenté de manière claire et esthétique, dans un espace lumineux et agréable, augure bien de l'ensemble de la collection, et ce d'autant plus que ses concepteurs ont eu la bonne idée de conserver cinq activités ludiques et interactives destinées aux enfants. Si la borne tactile propose, autour des œuvres de la collection, des jeux (puzzles en temps limité, etc.) un peu difficiles pour notre fille qui avait alors 4 ans et demi, elle a pris grand plaisir à inventer sa propre monnaie (d'après un modèle détaillant les différents éléments constitutifs) ou les tenues de trois chevaliers d'époques différentes. Cette attention au jeune public (qui serait parfaite si les poussettes étaient autorisées dans l'un comme dans l'autre bâtiment du musée Dobrée), si elle est développée à l'échelle de l'immense collection du musée, et dans chacun de ses domaines, en fera un musée aussi agréable que passionnant lors de sa réouverture.

Ce panorama muséique de Nantes ne serait pas complet si je n'évoquais pas rapidement les autres "vrais" musées de la ville, même si, au fond, ce ne sont pas eux qui nous fournirent les moments les plus riches en surprises. Le Muséum d'histoire naturelle et le Musée d'Histoire de Nantes, qui est abrité dans le château des ducs de Bretagne, offrent tous deux des activités pour les enfants, sous forme de livrets notamment, avec un succès variable cependant. Le questionnaire proposé par le Musée d'Histoire de Nantes, sous forme d'une plaquette plastifiée à rendre en quittant le château, était en effet bien difficile pour notre fille, et nous avons opéré une sélection, parmi les questions mais aussi parmi les sections de ce musée trop grand, trop riche et trop abstrait pour elle - malgré la multitude d'objets qu'il permet d'observer, ce musée, en suivant un fil chronologique exigeant et en abordant des thématiques difficiles quoiqu'inévitables (la traite des noirs et l'esclavage, la Grande Guerre, etc.), est plus adapté à des enfants qui ont une certaine connaissance de l'Histoire de France et de ses horreurs ; il manque d'illustrations des usages des objets présentés. J'avoue que moi-même je ne suis pas fanatique de ce genre de musée d'histoire d'une ville ou d'une région et, même si celui de Nantes est très riche, très beau, j'ai davantage apprécié le château qui l'accueille, son architecture, sa belle cour et les vues qu'il offre (notamment si l'on fait le tour des remparts) sur la ville de Nantes, ses toits, ses clochers, sa magnifique cathédrale, la tour Bretagne et la tour rescapée des usines Lu, devenues aujourd'hui le Lieu Unique...

La visite du Muséum d'histoire naturelle m'a elle aussi laissé un souvenir en demi-teinte - mais encore une fois peut-être est-ce affaire de goût personnel, car c'est un très beau musée. Mais j'avoue que les "cailloux" me laissent froide, et les animaux empaillés aussi. Cela dit, autant le Musée d'Histoire de Nantes m'avait semblé peu passionner ma fille, autant elle a été contente d'observer pierres précieuses et animaux naturalisés et, surtout, de parcourir l'exposition temporaire sur les fourmis, assez ludique, pensée pour le jeune public, auquel un espace créativité et lecture y est consacré. À l'étage "animaux", dans la partie permanente de l'exposition, un coin coloriage est également installé, avec de nombreux animaux différents. Un livret nous avait aussi été donné, sur demande, pour parcourir cette partie du musée, mais nous avons parfois échoué à identifier les animaux qu'il nous invitait à retrouver - étaient-ils absents temporairement ? Ou est-ce trop difficile ? Encore une fois, un matériel ludique à améliorer.

Mais si je me montre un peu critique envers deux institutions culturelles de la ville, c'est peut-être aussi parce que Nantes avait placé la barre très haut. L'esprit du Voyage avait également atteint les extérieurs de ces deux musées, mais on peut regretter qu'il n'ait pas franchi leurs portes pour y semer son grain de folie. Il n'en reste pas moins que, Voyage ou non, Nantes est une ville qui vaut le détour, tant par sa richesse culturelle que pour le plaisir qu'on prend à la parcourir, de passage en parc, de place en bord de Loire. Passer et repasser par les rues du centre ville, entre le passage Pommeraye et l'Opéra, ou encore du côté de l'île des Machines, nous faisait oublier les kilomètres avalés et a imprimé dans nos mémoires le souvenir d'une atmosphère estivale, légère et détendue, un air de vacances bien rare dans une ville de cette taille.


(1) Le musée est intéressant - pour qui aime les reconstitutions du mode de vie des Français d'antan et des techniques ancestrales - mais il a surtout pour mérite d'être très accueillant pour les enfants : plusieurs parcours ont été préparés pour eux, en fonction de leur âge (livret d'observation pour les petits - parfait pour notre fille de quatre ans -, chasse aux indices avec lampe de poche pour les plus grands), et en fin de parcours une salle leur est offerte pour laisser libre cours à leur créativité (ciseaux, colle, feutres à disposition, sur de petites tables adaptées) ; l'été dernier, ils pouvaient créer des figures à la Arcimboldo avec des photos des objets exposés dans le musée - notre grande a adoré !



Informations (parfois incomplètes ou à vérifier) sur le livret offert par le Voyage à Nantes ou sur le site du Voyage.

Les Machines : horaires variables selon les périodes, voir le site ; tarifs (attention, billetterie pour le Carrousel séparée de celle de la Nef, réservée aux billets pour la Galerie et l'éléphant) : 8,50 euros (tarifs réduits ; possibilité d'une visite du Carrousel sans tour de "manège", 6,30 euros ; gratuit pour les moins de 4 ans, sauf pour le Carrousel avec un tour, gratuit jusqu'à un an) ; tarifs réduits et tarifs groupes ou familles.

Musée Dobrée : le musée est actuellement fermé pour rénovation, mais des expositions temporaires se succèdent dans certains espaces restés ouverts au public ; entrée gratuite ; horaires variables, voire les information en ligne.

Château des ducs de Bretagne et Musée d'Histoire de Nantes : cour et remparts en accès libre tous les jours de 8h30 à 19h (20h l'été) ; intérieurs et musée ouverts tous les jours sauf le lundi, de 10h30 à 18h (mais tous les jours sans exception, de 10h à 19h en juillet et août). Tarif : 8 euros (tarif réduit - jeunes, enseignants etc. : 5 euros), gratuit pour les moins de 18 ans.

Muséum d'histoire naturelle : ouvert tous les jours sauf le mardi, de 10h à 18h ; entrée tarif plein 4 euros (tarif réduit : 2 euros), gratuit jusqu'à 18 ans. Poussettes non admises dans la plupart des espaces (exposition temporaire, vivarium, mezzanine où sont exposés les animaux naturalisés).