Alors, allez-vous me dire, les enfants sont-ils bien accueillis dans les musées italiens ? Eh bien, pas vraiment mieux qu'ailleurs, aussi inégalement qu'en France en tout cas, et moins bien que dans d'autres villes européennes que nous avons visitées - la palme revenant à Madrid, où l'accueil était plus que chaleureux pour notre aînée alors âgée de deux ans, sans oublier une mention spéciale à Stockholm avec ses parcs à poussette (même si nous n'y avons pas toujours trouvé le tout-pour-les-familles tant annoncé - c'est d'ailleurs dans les gares de Madrid que nous avons trouvé des tables à langer, et non en Suède, étrangement).
Mais ce qui m'a le plus frappé pendant cette courte semaine en Italie, c'est que la présence des enfants y étaient bien mieux vécue dans les églises que dans les musées. C'était presque comme si cette présence était évidente, normale, comme s'il n'y avait rien à remarquer d'inhabituel dans le fait que des enfants entrent dans des chapelles, cathédrales et autres basiliques. Les gens qui les croisaient adressaient à nos filles les mêmes signes amicaux que dans la rue ! Voilà une situation bien paradoxale : dans ces lieux consacrés, où un silence "religieux" est de mise, et manifeste le respect du visiteur pour le culte qui s'y tient, les enfants ne semblaient jamais considérés comme une menace contre ce silence, comme une nuisance sonore ; et c'est dans les musées, lieux normalement arpentés par les touristes (parfois groupés en troupes plus ou moins discrètes), que nous avons croisé des regards désapprobateurs, subi des "chut" désobligeants (et injustifiés) et senti dans notre dos la surveillance des gardes et l'attente de notre départ. Pourtant, nos filles ne se tenaient pas plus mal dans les musées que dans les églises : comme ce ne sont pas des statues de cire, elles parlent, et la petite, qui a tout juste deux ans, ne maîtrise pas toujours le volume de sa voix ; et elle a eu autant de crises d'indépendance dans les églises que dans les salles de musées. Pourtant, là, au milieu des autres touristes mais aussi des paroissiens venus prier en cette période particulière qu'est la semaine sainte, nul regard ne m'a donné le sentiment que j'étais une criminelle parce que j'avais osé entrer avec des enfants.
Je ne me risquerai pas à expliquer cette tolérance observée dans les églises italiennes - indifférence des touristes face à l'atmosphère sacrée des lieux de cultes, bienveillance des croyants qui perçoivent les églises comme des lieux de vie et non comme des mausolées figés dans un silence éternel, je ne sais. Ce qui me frappe, c'est le sentiment qu'aujourd'hui, ce sont les musées qui sont perçus par leurs visiteurs comme par leurs personnels comme des lieux saints, quasi mystiques, où le silence, voire le recueillement, est de rigueur. Combien de fois avons-nous pensé, mon mari et moi, dans divers musées, "mais nous ne sommes pas dans une église !", quand les regards ou réactions des autres visiteurs se faisaient clairement hostiles (et de façon injustifiée : je n'ai pas la prétention de croire que mes filles sont des anges, mais elles savent globalement "se tenir" dans les musées, elles ont appris les règles toutes petites - ne pas toucher, ne pas courir, ne pas crier - et même si la plus jeune ne les maîtrise pas encore parfaitement, la plupart du temps elles les respectent) ! Il semble que la dimension sacrée qui autrefois s'attachait aux lieux de culte se soient transférée dans les lieux de culture (après tout, l'étymologie est la même !), pensés comme les lieux où se célèbre un savoir partagé par une communauté. Récemment encore, je lisais dans les commentaires qu'avait déchaînés sur Facebook un reportage sur la visite plus que houleuse d'une classe de banlieue au musée d'Orsay (1) les mots suivants, qui m'ont frappée : "un musée
c'est comme une église c'est solennel (...), on y va
comme à une prière". Inutile de vous dire que je ne suis pas d'accord (je n'étais pas la seule, dans le fil des commentaires, d'ailleurs). Pour moi, un musée est un lieu de promenade, de découverte, un lieu de vie, bref, tout sauf un lieu de silence recueilli. Tout sauf un lieu de culte, aurais-je dit. Mais je comprends aujourd'hui que la définition même du lieu de culte qui sous-tend cette comparaison entre musée et église n'est pas si évidente.
Pendant notre séjour en Italie, nous n'avons pas croisé le moindre froncement de sourcil, dans aucun lieu de culte - que ce soit dans le Duomo ultra-touristique de Milan, dans des lieux plus "intimes" comme l'église San Maurizio (absolument magnifique), ou même dans des lieux a priori dévolus au silence. Le moine qui nous a fait visiter l'église et les cloîtres de la fascinante Chartreuse de Pavie n'a pas eu un geste ni un regard de gêne, de désapprobation ou même de surprise en nous voyant arriver avec nos deux filles. Ici comme là, des regards bienveillants les accueillaient. Au pire, elles passaient inaperçues. Faut-il en conclure que les églises ne sont pas conçues par ceux qui les "habitent" et les "animent" comme des lieux solennels, confits dans un silence empesé (et ce malgré les avertissements et appels au silence qui accueillent invariablement les visiteurs) ? Notre aînée l'a peut-être compris plus tôt que nous, elle qui ne se sent pas plus intimidée que cela dans les églises, et vient y admirer les vitraux, peintures, sculptures avec la même curiosité que dans un musée ; elle qui, à deux ans, était dépitée de ne pas pouvoir entre dans les églises lors de notre premier soir à Venise... Il faut dire qu'elle a un engouement assez mystérieux pour les églises (nous ne sommes pourtant pas pratiquants !), où elle tient toujours à "prier", c'est-à-dire à allumer un cierge (ce qui nous vaut des négociations dignes d'un magasin de jouets !). Quant à la cadette, c'est aussi bien dans les églises que dans les musées lombards qu'elle a appris à dire "c'est beau!".
Une autre partie de cette exposition de Design, essentiellement consacrée au convivio, se trouvait installée dans le petit jardin botanique qui se trouve derrière la Pinacoteca de Brera, et par lequel nous avons été bien inspiré de faire un petit détour. Installations et sculptures à base de verres se fondaient dans le vert des plantations et offraient une pause bienvenue après les riches nourritures artistiques de la Pinacothèque.
Car - il fallait bien que j'y vienne - les muséophiles sont à la fête à Milan. Encore avons-nous fait une sélection de ce que les guides présentaient comme les incontournables, en tenant compte de nos goûts. Nous n'avons visité "que" cinq musées pendant cette semaine en Lombardie, tous les cinq à Milan. Nous avons négligé des musées très spécialisés (Scala, Novecento, archéologie) et/ou scientifiques (musée d'Histoire naturelle, musée des Sciences et Techniques - qui pourrait probablement plaire à des enfants un peu plus grands que les nôtres, et qui aurait pris la 6e place si nous avions eu plus de temps) pour nous concentrer sur les musées artistiques, et notamment de peinture. Deux catégories de musées cohabitent à Milan : les grandes institutions, et les maisons particulières de collectionneurs. Et ce sont deux ambiances bien différentes qui y règnent : à des degrés divers, les musées à proprement parler manquent clairement de chaleur dans leur accueil qui est au mieux indifférent, au pire particulièrement odieux. Ce fut le cas à la Pinacothèque Ambrosienne, dont nous sommes ressortis furieux et déçus : non seulement on nous a expliqué, sur un ton fort peu aimable, que nous ne pouvions circuler avec la poussette qu'à un seul étage (alors qu'un ascenseur les dessert visiblement tous) - alors que la seule personne aimable du musée, au guichet, n'avait pas été aussi catégorique... - mais nous avons été suivis d'un regard soupçonneux pendant toute la visite (et je passe sur les aboiements quand j'ai voulu prendre une photo, ce que j'ignorais être interdit...) ; cela nous a poussé à reléguer la petite "en quarantaine" sur les terrasses, pour ensuite traverser les salles très vite avec elle, histoire de limiter au maximum ce qui était clairement vécu comme une nuisance (guides et visiteurs au diapason, comme si les premiers donnaient le ton). Etrangement, c'est justement quand elle est mal accueillie, et donc quand nous sommes crispés et sur le qui-vive dès le début de la visite, que notre cadette a de folles envies de traversées fantastiques ou des éclats de voix et de rires des plus sonores. Pour ne rien arranger, entre les premières salles et les toutes dernières, où sont enfin révélés les chefs d'œuvre du musée qu'on désespérait de trouver, cette Pinacothèque offre beaucoup de "croutes", toiles sans intérêt exposées dans un espace labyrinthique et ponctué d'escaliers. Rien ne venait donc rattraper l'atmosphère hostile de ce musée, qui ne vaut pas les 15 euros que l'on débourse, et que je ne vous recommande absolument pas, avec ou sans enfant.
(1) Voir par exemple un article du Parisien sur cette "affaire", et celui de l'Humanité, un peu plus partial (du moins en apparence) - j'y reviendrai peut-être dans une autre note.
Musée Poldi Pezzoli : ouvert tous les jours sauf le mardi, de 10h à 18h ; entrée 10 euros, 4,50 euros pour les 11-18 ans et les étudiants, gratuit jusqu'à 10 ans. No poussette.
Musée Bagatti Valsecchi : ouvert tous les jours sauf le lundi, de 13h à 17h45 (nombreux jours de fermeture dans l'année) ; entrée 9 euros (6 euros le jeudi et pour les étudiants), 2 euros pour les 6-18 ans, gratuit jusqu'à 5 ans. Le site indique qu'un audioguide spécifique (en italien) et des panneaux explicatifs sont dédiés aux enfants.
Pinacothèque de Brera : ouvert tous les jours sauf le lundi de 8h30 à 19h15 (22h15 le jeudi) ; entrée 10 euros (2 euros le jeudi à partir de 18h), gratuite pour les moins de 18 ans et les premiers dimanche du mois ; tarif réduit (7 euros) pour les étudiants.
Pinacothèque Ambrosienne (site catastrophique, très difficile à parcourir, et qui témoigne du caractère poussiéreux de la Pinacothèque, confirmé par l'organisation de son accueil des publics) : ouvert tous les jours sauf lundi, de 9h à 18h ; entrée 15 euros (les tarifs ne sont pas indiqués sur le site, mais nos filles n'ont pas payé).
Musées du château des Sforza : ouverts tous les jours sauf le lundi, de 9h à 17h30 ; entrée 5 euros, gratuit pour les moins de 18 ans.
Attention, en plus des jours fériés habituels, beaucoup de musées sont fermés pour Pâques!