mardi 1 novembre 2016

Tournez musée !

(Musée des arts forains)


Vous êtes nostalgiques des fêtes foraines du bon vieux temps, des chamboule-tout et des barbes-à-papa ? Vos enfants sont fous de manèges et réclament de partir en voyage sur chaque carrousel qui croise votre route ? Alors prenez vos tickets pour un tour dans l'univers merveilleux, musical et lumineux du Musée des Arts forains, cis dans les Pavillons de Bercy, juste derrière les boutiques de Bercy-Village.

Nous hésitions à nous y rendre, malgré des échos très favorables, d'une part parce que nous craignions d'avoir à gérer la frustration de notre aînée face à des manèges sur lesquels elle n'aurait pas pu monter, et surtout parce que la visite guidée imposée nous semblait peu compatible avec le rythme de notre cadette et son goût pour l'indépendance. Mais quand nous avons appris que cette contrainte se trouvait levée lors des Journées du Patrimoine (c'est le cas aussi pendant le Festival du Merveilleux, si vous avez envie de tester la formule à l'époque de Noël), nous n'avons pas hésité. Quant à la frustration, nous n'avons pas eu à nous en soucier : chaque entrée donne droit à un ticket pour un tour de manège ; nous étions trois adultes (une copine de notre aînée nous accompagnait avec sa mère) et trois enfants, dont notre petite qui ne fait pas encore de manège, ce qui faisait donc trois tours de manèges pour chacune des deux grandes - royal !

Sachez cependant que les adultes ne manquent pas d'occasion de dépenser leurs tickets s'ils le souhaitent (et j'en ai vu beaucoup, et  de tous âges, qui ne se privaient pas de le faire) : ils peuvent soit pédaler sur un vertigineux manège de vélos dont la vitesse semble dépendre du coup de pédale de ses occupants, soit faire courir chevaux ou serveurs en faisant preuve d'adresse au lancer, dans les classiques courses du Palio ou des garçons de café. Même s'ils n'entrent pas dans le jeu, les adultes pourront apprécier l'atmosphère à la fois festive et mystérieuse du musée. Et surtout son décor : automates humains et animaux, orgues limonaires, panneaux peints où glisser sa tête pour devenir soldat ou bébé grognon, tirs à la carabine, miroirs déformants, tout le décor de la bonne vieille fête foraine est réuni dans les grandes salles du musée ainsi que dans son jardin-cour intérieure. Sans oublier, bien sûr, les manèges ; les deux filles ont pu tester les trois qui leur étaient accessibles : un beau carrousel traditionnel, un plus petit manège qui combinait animaux et carrosses, enfin, à l'extérieur, un autre réunissant bateaux, voitures et autres véhicules habituels. Les enfants sont bien entendu ravis, mais ce ne sont pas au fond les manèges qui sont l'essentiel du musée.

Le décor et l'ambiance font bien plus que deux ou trois manèges. Tout scintille, amuse, intrigue - comme cet horoscope qui semblait fonctionner sur le principe de la roulette et devait reposer sur des projections que nous n'avons pas eu l'occasion de voir (peut-être lors d'une prochaine visite !). Car il y avait beaucoup à voir en ces journées du Patrimoine : spectacle de clown, marionnettes géantes, danse et acrobaties aériennes, concert des automates de la Sérénissime, virtuoses interprètes des grands airs d'opéra, numéro de claquettes dans la salle de bal ambulante (le Magic Mirror, installé à l'extérieur), de multiples animations étaient proposées au public très nombreux - sans que l'on ait jamais l'impression de se marcher dessus, tant l'espace du musée est vaste - et l'après-midi est passée à toute vitesse. Les deux grandes étaient ravies, et la petite a tout observé de sa poussette, sans jamais réclamer à en sortir, signe qu'il y avait bien assez de choses à regarder autour d'elle pour qu'elle pense à se plaindre ! Bref, un musée inhabituel mais bien propre à plaire à tous les âges - pour peu que l'on ait gardé un peu de son âme d'enfant.


Accessible toute l'année sur réservation pour des visites guidées (sauf pour les Journées Européennes du Patrimoine et le Festival du Merveilleux - qui a lieu pendant les fêtes de fin d'année).
Réservation possible en ligne sur http://arts-forains.com/index.php?pages=billetterie
Durée de la visite : 1h30.
Tarifs : 16€ (adulte), 8€ (de 4 à 11 ans) ; gratuit pour les moins de 4 ans.

Tarifs pendant les Journées Européennes du Patrimoine : 8€ (adulte) ; 5€ (de 4 à 18 ans) ; gratuit pour les moins de 4 ans. Un ticket attraction offert pour chaque entrée.
Tarifs pendant le Festival du Merveilleux : 14€ (adulte) ; 6€ (de 2 à 11 ans) ; gratuit pour les moins de 2 ans. Un ticket attraction offert pour chaque entrée.

Pas de parking ni de garage à poussettes (mais les poussettes sont autorisées dans le Musée, qui est tout à fait "circulable").

lundi 24 octobre 2016

Eyes Wide Open (et l'esprit aussi)

Lors d'une récente visite au Crédac (pour l'exposition Liz Magor), nous sommes entrés quelques minutes dans la salle de projection installée au fond de l'espace d'exposition - le Crédakino. Y étaient projetés ce jour-là deux courts-métrages inspirés du Bunraku japonais, spectacle théâtral où des marionnettes articulées sont manipulées à vue. C'est sur les instances de notre aînée que nous y étions entrés (avec notre cadette en poussette, de bonne composition ce jour-là), un peu sceptiques sur l'intérêt que pourraient avoir pour notre fille des courts métrages "conceptuels" (ces guillemets sont de moi), proposant une réflexion sur ombre et lumière, création et créateur, sur un mode, disait le descriptif, "à la fois anxiogène et libérat[eur]". Malgré nos rappels réguliers ("si tu t'ennuies, on peut sortir quand tu veux"), et alors même que nous ne serions peut-être pas restés nous-mêmes, notre aînée a tenu à regarder en entier le premier court-métrage (14 minutes !), et n'a quitté la salle qu'à notre demande (le second durait 33 minutes, nous n'avons pas voulu tenter le diable...).

Pourtant, ce court-métrage n'avait rien de séducteur : Shadow-Machine (d'Elise Florenty et Marcel Türkowski) se passe au cœur de la nuit et montre, en de très courtes séquences juxtaposées, une forêt japonaise plongée dans l'obscurité, qu'une torche vient éclairer par fragments, des êtres humains dans diverses situations (retour chez soi au milieu de la nuit, cours de danse filmé depuis l'extérieur du bâtiment, etc.), et surtout la manipulation d'une marionnette de Bunraku puis trois personnes se manipulant tour à tour sur ce modèle... Pas de fil narratif, aucune cohérence liée à la présence d'un personnage unique, peu de paroles (la plupart étouffées et en japonais), rien ne prédisposait ce film à plaire à une enfant de 4 ans. Pourtant, les premières images (la forêt obscure) ont éveillé sa curiosité, et je crois qu'elle a également été fascinée par la gestuelle des acteurs jouant tantôt la marionnette tantôt le marionnettiste.

Ce n'est pas la première fois que l'art vidéo captive notre fille, sous des formes et formats a priori peu séducteurs pour un enfant. Lors de la belle exposition sur l'Arte Povera présentée au Centre Pompidou l'année dernière, elle était restée scotchée longuement devant Sicilia, Vie di Gibellina de Thierry de Mey, film captant (avec une mise en image très travaillée, divisant parfois l'écran en trois et combinant vues en pied, vues rasantes et vues plongeantes) une performance dansée (de la danse très contemporaine, bien sûr, à la limite de l'expression corporelle et du théâtre) à travers les rues de Gibellina Vecchia - ville sicilienne détruite par un tremblement de terre en 1968, elle a été abandonnée au profit de Gibellina Nuova, et ses rues ont été recouvertes par l'artiste Alberto Burri d'une chappe de ciment où des tranchées restituent le tracé des rues de la ville ainsi monumentalisée ; cette œuvre de land art, intitulée Grande Cretto (1), est un décor fascinant pour la déambulation des danseurs qui évoluent tantôt dans les tranchées, tantôt sur la chappe. Là encore, notre fille avait refusé de partir avant de longues minutes, captivée qu'elle était par l'évolution de ces corps sans parole et sans musique, effectivement très émouvante.

Encore s'agissait-il là de danse, d'êtres humains. Mais à Nantes, dans une installation vidéo confiée par les organisateurs du Voyage à Nantes à Ange Leccia (2), ce sont des vagues filmées à trois époques différentes, avec trois types de caméras, et projetées sur trois écrans disposés dans trois pièces en enfilade, qui ont retenu son attention. La mer, rien que la mer, et la succession des vagues. La juxtaposition des trois écrans, que l'on pouvait difficilement voir tous trois ensemble, mais que certains points permettaient de voir deux à deux, renforçait l'effet berçant du ressac multiplié.

Je sais que les écrans fascinent petits et grands, quel que soit leur contenu. Mais je trouve étonnant que ma fille de quatre ans ait ressenti des émotions artistiques face à des œuvres qui n'ont pas le rythme, les couleurs, bref l'attrait de ses dessins animés. J'en conclus qu'on peut montrer aux enfants une autre facette des écrans qui ouvre leur esprit, et se servir de ce médium qu'ils connaissent et apprécient pour les faire pénétrer dans un musée, dans une exposition, dans le monde de l'art. Comme avec cette installation de plusieurs écrans (The Hand de Melik Ohanian) dans le dernier accrochage du MacVal : sur chacun d'entre eux, des mains qui frappent sur un rythme différent. De ce concert de claquements de mains naît un rythme, une harmonie ; notre aînée et l'un de ses copains, un peu plus jeune, sont restés longtemps, et revenus, devant ces écrans, pris de l'envie de taper des mains en rythme à leur tour. Il n'y avait rien là de séducteur a priori, mais ils étaient happés non par les écrans eux-mêmes, mais par la musique des mains, par les silences, bref par la création dont les écrans n'étaient d'un moyen.

Je me dis aussi que si une enfant de son âge peut être émue par des films non narratifs voire silencieux, par un chant religieux en latin ou par une œuvre d'art des plus contemporaines, si elle peut être fascinée par les sons de la nature et leur projection lumineuse, ou par l'architecture du centre Pompidou, si elle peut être intéressée par la sculpture d'époque médiévale ou réclamer d'écouter la Petite musique de nuit parce que "c'est tellement beau", bref si elle peut être touchée par les arts, pourquoi est-ce si aberrant d'emmener des petits dans les musées ? Je ne crois pas que ma fille soit bien différente de ses petits camarades : je me souviens qu'après m'avoir demandé de prendre une photographie pour garder le souvenir d'un instant d'émotion musicale (c'était un concert de chants de Noël, elle n'avait pas 4 ans, et son émotion était palpable), elle s'est mise à chantonner (comme pour compenser, décompresser après l'émotion) une variation autour du caca boudin et du pipi - le contraste était saisissant ! Bref, les enfants sont étonnants, faisons-leur confiance pour savoir goûter le beau, l'étrange, le nouveau, l'inconnu ; ils ont l'esprit plus ouvert et plus curieux que nous, car ils n'ont pas encore d'habitudes de lecteurs, de spectateurs, de visiteurs. Laissons-les nous emmener dans les musées et les redécouvrir avec eux !



(1) La première photographie illustrant cet article permet de se représenter un peu le paysage de Gibellina Vecchia ainsi transformé par Alberto Burri ; c'est un cliché de l'écran qui diffusait trois films tournés dans le Grande Cretto (dont la vidéo de Thierry de Mey) ; il a été pris au moment de la diffusion de l'une des deux autres œuvres, j'avoue ne pas me souvenir laquelle (soit Cretto de Raphaël Zarka, soit Grande Cretto di Gibellina de Petra Noordkamp).

(2) La Mer était présentée dans l'exposition "La Mer allée avec le soleil", qui présentait deux autres œuvres du vidéaste.

samedi 22 octobre 2016

Quand le trompe-l'œil joue à cache-cache

(Liz Magor, The Blue One Comes in Black - Crédac)


Je l'ai déjà dit ici, le Crédac est un lieu que nous affectionnons : à dix bonnes minutes de marche/trottinette de la maison, c'est notre "musée de proximité" ; à travers la verrière de sa grande salle si lumineuse, on a une vue imprenable sur Ivry ; surtout, c'est un espace d'exposition ouvert et ample comme on les aime, on l'on circule aisément (notamment en poussette), avec le charme brut du décor industriel (ascenseur monte-charge inclus).

Mais je dois avouer que notre dernière visite nous a un peu laissés sur notre faim - et n'a pas enthousiasmé notre amateure d'art contemporain en herbe. Tout avait pourtant bien commencé pour elle, avec la découverte de petits tabourets en plastique recyclé, pile à sa taille. Elle en a embarqué un pour la visite, et l'a planté au milieu de la grande salle. Pour très vite le déplacer ; il faut dire à sa décharge - même si le tabouret s'est révélé une fausse bonne idée, qui a davantage accaparé son attention que les œuvres - que la grande salle semblait singulièrement vide et nue ce jour-là. Quelques couvertures pendant aux murs sur des cintres, une chaise au milieu avec, reposant sur son dossier, ce qui semble être une housse à vêtements, et enfin, posés au sol sur des socles de pierre grise, des sacs en papier jaunis, remplis de pochettes plastiques remplis de papier ou de napperons. En somme, des rebuts, des objets abandonnés dont l'aspect modeste ou usé renforce l'impression de nudité qui se dégageait de la grande salle. Mais, à en croire le descriptif distribué à l'entrée, ces objets ne sont pas toujours ce qu'ils semblent : la housse à vêtements est en silicone durci au platine ; de près, elle est incroyablement rigide. Les couvertures en sont bien, emballées dans la housse de leur dernier passage au pressing, mais elles ont été "réparées" par l'artiste à l'aide de gypse, de paillettes ou de fil. Le rebut anobli au statut d'œuvre d'art, ou l'œuvre d'art imitant le rebut (les sacs de course en papier moulés et teintés), voilà le double principe de création de Liz Magor, illustré par les sculptures All the Names II et III, boîtes de silicone translucides qui contiennent, ainsi figés comme dans un cube de glace, des paquets cadeaux ou des papiers et livres abandonnés.

Mais les trompe-l'œil les plus marquants sont peut-être les petites sculptures suspendues au mur de la salle 2 : Palm Pet présente, sur une boîte en carton qui n'en est pas une, une petite créature, marionnette créée par l'artiste, avec une tête en laine et un corps fait d'un gant qui, si l'on s'approche, s'avère ne pas en être un (probablement du gypse polymérisé - la matière privilégiée par Liz Magor pour ses sculptures trompe l'œil). Face à cette œuvre, il faut jouer du près et du loin, pour l'effet de surprise et l'effet d'ensemble, pour la matière et la silhouette. Mais accrochées un peu haut, ces sculptures n'étaient pas facilement accessibles pour notre aînée (je ne parle même pas de la cadette, qui est globalement restée sans réaction pendant toute la visite) ; il fallait la porter pour lui montrer l'œuvre, lui faire comprendre la surprise qu'elle aurait dû ressentir, et qui ne pouvait donc pas être spontanée. L'ensemble était un peu trop abstrait pour elle, je le crains, peut-être un peu trop triste (contrairement à l'exposition d'Ana Jotta, qui pourtant partait elle aussi de rebuts et de récupérations), et elle n'a pas semblé apprécier la visite. Pourtant, s'il y a une enfant capable d'apprécier le travail de récupération, c'est bien ma fille, qui refuse que l'on jette le moindre emballage cartonné !

Il faut dire qu'il manquait peut-être une médiation, même pour nous, adultes. Le descriptif distribué, moins clairement présenté salle par salle, était un peu long pour qu'on le lise tout en déambulant au milieu des œuvres avec un enfant. Quant au dépliant-questionnaire habituellement offert aux jeunes visiteurs du Crédac, il était en rupture de stock - dommage, car il nous aurait permis d'orienter l'observation des œuvres de notre fille, sans cela peu accrochée. Nous avons regretté que la guide présente dans la salle au moment de notre visite n'ait pas laissé quelques instants les deux seuls autres visiteurs présents cet après-midi-là, pour nous faire profiter de ses explications, ne serait-ce que quelques minutes. De toutes les expositions que nous avons vues au Crédac, celle de Liz Magor est à mon sens celle qui nécessitait le plus une présentation. Malgré une volonté d'accueillir les jeunes visiteurs (ateliers-goûters, livrets, accueil des classes...), chacune de nos visites au Crédac nous a laissé l'impression que notre fille était vraiment trop jeune pour être regardée comme une visiteuse (une autre fois, la même personne guidait une famille et ne nous a jamais proposé de nous joindre à la visite, que nous avons suivie "en rodeurs", avant de nous imposer à l'atelier improvisé en fin de visite). Encore une fois, il semble qu'avant 6-7 ans, bref l'âge du primaire, un enfant ne soit pas un public digne d'intérêt pour les musées, voire pas un public du tout...

Et ça m'agace : aujourd'hui, il est de bon ton de faire écouter de la musique à vos enfants avant même qu'ils aient vu le jour, et il semble évident (au moins pour les éditeurs et les libraires) qu'il faut les familiariser avec les livres très tôt. Mais pour ce qui est des musées, c'est-à-dire des arts autres que musicaux (peinture, sculpture, photographie, architecture), et même, dirais-je, de la culture en général, dès qu'elle ne se pratique pas dans le cercle privé (et discret) de la famille. Je ne compte plus le nombre de fois où j'ai entendu murmurer "Ce n'est pas un endroit pour un enfant" ou ses variantes (même sur un bateau pendant un tour des calanques de Marseille!). L'année dernière, la maîtresse de notre fille, à la recherche d'une sortie de fin d'année, a trouvé saugrenue l'idée d'emmener ses petits au MacVal voisin. Et je ne parle pas de l'étonnement des gens quand nous leur expliquons que nous partons en vacances à l'étranger (Stockholm, Madrid et Venise avec notre grande, entre ses 18 mois et ses 2 ans et quelques - elle garde encore, plus de deux ans après, un souvenir enthousiaste de Venise). Récemment encore nous nous sommes entendu dire, à propos de nos futures vacances de printemps : "mais Milan, il n'y a que des visites, avec des enfants, ce n'est pas possible". En résumé, avec des enfants, vous êtes condamnés à partir en vacances à la mer ou à la montagne, à vous limiter aux loisirs de plein air où vos bambins présenteront une nuisance sonore limitée et éviteront les regards dégoûtés des adultes visitant églises ou musées.

Je m'insurge contre cela, à la fois égoïstement (dix ans de plage/montagne, je ne survivrai pas !), et pour le bien de mes enfants (et de ceux des autres) : comment veut-on que les enfants deviennent des adultes sensibles aux arts, de futurs visiteurs de musée, si l'on retarde le plus possible leur rencontre avec le beau ? Si le musée reste pour eux ce lieu où les traînent leurs professeurs de lettres ou d'histoire, et les œuvres d'art le support de l'épreuve d'Histoire des Arts du brevet des collèges, comment veut-on qu'ils en aient une image autre que scolaire et rébarbative ? Le musée doit être d'abord un lieu de partage et de liberté, un lieu où l'on se promène à la rencontre d'un coup de foudre artistique, qui peut venir n'importe-où, n'importe-quand, et surtout pas quand il est commandé. Les enfants sont étonnants, sans idées préconçues, prêts à tout regarder, à tout écouter, et c'est à l'âge de la maternelle, celui où leur créativité est le plus stimulée et mise en avant, que l'on devrait les emmener découvrir les innombrables variations que présente l'art et leur faire comprendre que les musées ne sont pas, comme semblent l'être les concerts de musique classique (j'ai revu Fauteuils d'orchestre récemment, j'ai adhéré à fond au personnage de Dupontel), réservés à une élite culturelle et financière, qu'ils sont ouverts à tous et à tous les âges.


Du 9 septembre au 18 décembre 2016.
Ouvert tous les jours sauf le lundi, de 14h à 18h (19h le week-end). Entrée libre.
Le Crédac, Centre d'art contemporain d'Ivry
La Manufacture des Œillets
25-25 rue Raspail
94200 Ivry sur Seine
(métro ligne 7 ou RER C)

Un atelier-goûter est prévu le dimanche 27 novembre 2016, de 15h30 à 17h (gratuit sur réservation, au 01 49 60 25 06 ou contact@credac.fr).

mardi 11 octobre 2016

Musées debout - la suite ?

La mission "Musées du XXIe siècle", mandatée par le ministère de la Culture et de la Communication, a lancé une consultation citoyenne intitulée "Imaginons ensemble le musée de demain", dans laquelle chacun peut voter pour des propositions émanant des groupes de travail de la mission, les commenter, voire en émettre soi-même.

Comment rendre les musées plus attractifs et y faire venir des publics plus variés ? Comment rendre l'expérience des visiteurs plus riche ? Comment leur permettre de s'impliquer davantage dans la vie des musées ? Si vous avez des idées sur la (les) question(s), à vos claviers ! Vous avez jusqu'au 15 novembre pour suivre le lien suivant :
http://consultation-musee21e.culturecommunication.gouv.fr/

vendredi 7 octobre 2016

Fascination

(Le Grand Orchestre des Animaux - Fondation Cartier pour l'art contemporain)


Rassurez-vous, ceci n'est pas un article sur le retour des vampires sexy (ou pas). Le mot "fascination" est celui qui me semble le mieux correspondre au sentiment que nous avons ressentis, mon mari, notre fille aînée et moi, quand nous avons parcouru les salles de la Fondation Cartier et, surtout, quand nous nous sommes immergés dans la grande salle qui accueille l'œuvre extraordinaire (au sens propre) qui lui donne son titre.

Commençons donc par la fin (ou presque) de cette visite : une plongée sonore captivante dans la phonosphère de coins d'Alaska, d'Afrique, de Californie ou du Brésil. Ici on entend des éléphants venir s'abreuver, là des singes faire résonner leurs voix contre un mur que la nature semble avoir créé pour ces concerts rituels. Mais quand les loups ou les éléphants se taisent, bruissent les innombrables sons insoupçonnés de la nature, oiseaux et petites bêtes pépient et se glissent au creux de votre oreille. Merveilleuse sensation que celle de pouvoir entendre la nature s'éveiller. Pour un peu, on croirait presque voir l'aube se lever sur la savane. Et pourtant, c'est dans le noir que sont projetés les sons captés par le musicien et bio-acousticien Bernie Krause pendant près de quarante ans. Assis par terre, ou allongés, la tête appuyée sur l'un des énormes coussins disposés dans la salle, on pourrait rester des heures à faire voyager nos oreilles (la bande son, qui déroule 7 enregistrements différents, d'un quart d'heure chacun environ, doit durer presque deux heures ; nous n'y sommes restés que trois quarts d'heure - ce qui est extrêmement long pour une enfant de 4 ans - et cela nous a semblé très court : nous mesurions les quarts d'heure passés à chaque changement de "territoire", et chaque fois nous n'en revenions pas). Nous ne ressentions aucun ennui (ni nous, ni notre fille, qui serait volontiers restée davantage), et le temps nous semblait comme suspendu ; nous étions ailleurs, transportés hors du temps et de l'espace, et enveloppés d'une sorte de sérénité magique. Car passée l'émotion que nous avons tous trois ressentie à reconnaître les éléphants au bord de l'eau, nous nous sommes laissé bercer par les trois ou quatre atmosphères sonores successives, ainsi que par l'atmosphère visuelle qui les complétait. Car le sentiment de fascination suscité par les enregistrements de Bernie Krause est sans aucun doute renforcé par l'installation qui les accompagne : sur trois pans des murs de la salle obscure, des écrans projettent la transposition lumineuse des fréquences sonores ; chaque fois qu'un nouveau cri se fait entendre, une nouvelle ligne apparaît, accompagnée du nom de l'animal qui le pousse, et se développe, en creux et pics d'amplitudes variées qui remplissent l'espace de leur faible lumière et viennent se refléter dans le miroir d'eau qui court en même temps qu'eux autour de la salle. Ces fils de lumière, dont la couleur change en même temps que l'on passe d'un territoire à l'autre, happent l'attention et leur nimbe crée cette atmosphère qui nous a fascinés tous les trois.


Ombre et lumière, art et nature, ces ingrédients, nous les avions déjà rencontrés dans les autres salles du sous-sol de la fondation, qui préparent habilement à la plongée dans les phonosphères de Bernie Krause. Après une salle aux murs tapissés de photographies de plancton, vous pénétrez dans une salle obscure dont le sol est couvert d'un damier d'écrans, sur lesquels défilent des images de planctons, de formes et de tailles différentes. Les visiteurs, assis sur des banquettes disposées au deux extrémités de la salle, les voient flotter d'un écran à l'autre, dans un ballet un peu irréel mais qui a quelque-chose de poétique.

Car si le point de départ de cette exposition est la démarche engagée de Bernie Krause, qui a développé le concept d'écologie du paysage sonore et souhaite sensibiliser les visiteurs (jeunes et moins jeunes) à la notion de biodiversité et à la protection de l'environnement (50% des espèces qu'il a enregistrées sont aujourd'hui en danger ou ont disparu), ce qui fait à mon sens la cohérence de ce Grand Orchestre des Animaux, et ce qui nous a le plus touchés tous les trois, c'est bien la poésie des œuvres exposées : qu'elles soient de nature documentaire ou de pures créations artistiques, elles nous emportent dans un univers onirique où les animaux semblent flotter dans un espace-temps suspendu. Il en est ainsi des Oiseaux artistes, paradisiers et autres charmeurs à plumes qui font leur parade devant la caméra de deux chercheurs du Cornell Lab of Ornithology, dans de courts films projetés sur les cinq écrans qui sont accrochés sur le mur de briques qui structure l'une des salles du rez-de-chaussée - mur qui trouve son pendant plus vaste et plus incurvé dans la seconde salle, mais aussi dans le mur de céramique semi-circulaire, tout parsemé d'oiseaux, qui semble traverser les parois vitrées de la façade de la Fondation. Cette scénographie, sobre, discrète, au service des œuvres, et pourtant tout sauf banale, donne une unité au "Grand Orchestre des images" qui occupe le rez-de-chaussée, et dont l'ensemble peut paraître plus disparate que celui du "Grand Orchestre des sons" du sous-sol.

Car les images qui accueillent le visiteur qui entre dans la Fondation sont diverses tant par leur format que par leur nature, et offrent une plongée dans un monde animal polymorphe. Aux films documentaires ornithologiques répondent, sur un mode un peu décalé et fantasmagorique, les clichés saisis par l'objectif de Manabu Miyazaki : ce photographe japonais a camouflé en pleine forêt un appareil qui se déclenche au passage de chaque animal. À côté d'un cliché montrant un ours intrigué jouant à l'apprenti photographe, défilent en diaporama les images d'animaux pris sur le vif, saisis dans la lumière du flash déclenché au milieu de la nuit. De l'autre côté de chacun des deux murs de brique, des peintures offrent des plongées davantage imaginaires dans le monde animal : derrière les parades artistiques des paradisiers, L'Orchestre dans la forêt multicolore de Moke, ou le visage façon Arcimboldo que JP Mika a façonné sous des cheveux de fleurs exotiques, les divinités béninoises peintes par Cyprien Tokoudagba ou les animaux rockers de Pierre Bodo offrent un feu d'artifice de couleurs bien propre à plaire aux enfants, et qui contraste habilement avec les clichés en nuances de gris d'Hiroshi Sugimoto, montrant des loups qui s'avèrent être les habitants des vitrines de muséums d'histoire naturelle.

Mais si ces couleurs étaient ludiques et attrayantes, si les films documentaires ou les clichés animaliers ont beaucoup plu à notre fille, qui a tout de suite été attirée par les écrans, évidemment, l'œuvre qui nous a tous fascinés dans cette première partie de notre visite est la toile monumentale (18 mètres sur 4) de Cai Guo-Qiang qui occupe la grande salle. Les animaux qui viennent s'abreuver à ce vide ovale n'ont pas été peints ni dessinés ; leurs formes, préparées en pochoirs, ont été marquées par l'explosion d'une traînée de poudre à canon sur le papier ; les traces de brûlure, les couleurs terreuses ou sableuses, les contours indécis de ces silhouettes rappellent les peintures rupestres. Là encore temps et espace sont suspendus, et le regard se fige face à la douceur et au mystère de cette ellipse.

Le regard s'étonne aussi en comprenant la façon dont cette œuvre a été conçue, grâce à une vidéo qui en explique la genèse et montre les préparatifs et la mise à feu de la poudre. Car dans cette exposition un remarquable effort de pédagogie et de "médiation" a été fourni par le personnel de la Fondation : tout commence par un accueil souriant et chaleureux, et par une attention immédiate aux jeunes visiteurs. En effet, outre le dépliant noir et blanc qui fournit des informations sur chacune des œuvres exposées, avec un plan et une brève présentation de l'exposition, l'hôtesse nous a spontanément offert un livret en couleurs préparé spécialement pour les enfants (nous avons même eu le droit d'en emporter un deuxième, en souvenir, pour que notre fille puisse "s'exprimer" librement sur le premier). Je n'ai jamais vu un livret de visite gratuit aussi luxueux, aussi attractif et intéressant à la fois ! De très courts paragraphes apportent des explications précises et complètes sur l'exposition et sur les œuvres, reproduites (tout ou détail) en photographies couleur ; des bulles oranges attirent l'attention de l'enfant sur certaines œuvres (notamment celles que l'on trouve à l'extérieur, et que le visiteur pourrait facilement oublier), l'invitent à observer des détails ou lui proposent diverses activités (jeux de mots, rébus, devinettes ou coloriages, de difficultés variées. Au centre, le livret s'ouvre pour découvrir un planisphère coloré, où sont situées les différents paysages sonores enregistrés par Bernie Krause. L'enfant est à la fois amusé, instruit et sensibilisé à l'écologie par ce livret qui offre son propre prolongement en fournissant liste et date des différents ateliers proposés aux enfants (pour la majorité, à partir de 6, 7 ou 8 ans, et jusqu'à 12 ou 13) dans le cadre de l'exposition : ateliers de dessin ou d'origami, mais aussi ateliers scientifiques proposés par un bio-acousticien ou encore par le biologiste marin auteur des photographies de plancton exposées au sous-sol. On peut dire que la Fondation Cartier ne se moque pas des enfants et qu'elle les prend au sérieux ! Logique, quand on garde en tête que l'exposition n'a pas seulement une dimension artistique, mais entend sensibiliser petits et grands au respect de la biodiversité !

C'est d'ailleurs au milieu de la nature que s'achève cette visite riche en (très bonnes) surprises : le bâtiment très moderne de la Fondation Cartier est entouré d'un jardin savamment entretenu, qui cache quelques œuvres installées de manière permanente (une fausse branche qui est en fait une fontaine, trompe-l'oeil vraiment bluffant de Giuseppe Penone), mais aussi deux œuvres d'Agnès Varda qui font partie de l'exposition. Dans une cabane bâtie pour l'occasion, vous pouvez vous installer sur un petit banc de bois pour contempler Le Tombeau de Zgougou, petit tumulus de sable qui sert de support à une installation vidéo ; défilent sous vos yeux des images du chat d'Agnès Varda, puis de sa tombe, au bord de la mer, en pleine nature, et qui est progressivement recouverte de coquillages puis de fleurs. Si la musique et certaines images de la vidéo ont un goût un peu mièvre, le décor de la tombe et sa progressive invasion par une nature douce et colorée ont une certaine beauté. Notre fille a voulu regarder la vidéo plusieurs fois en boucle, avant d'accepter de revenir à la réalité. Notre parcours s'est achevé au centre du Theatrum botanicum du jardin, qui accueille quelques tables (idéal pour un goûter par beau temps), un petit café, mais aussi une reproduction de la toile de Moke qui est aussi l'affiche de l'exposition, et où les enfants (et leurs parents) peuvent glisser leur joli minois pour devenir tigre, carpe ou lion, à moins de vouloir voir leur tête émerger de la gueule d'un hippopotame en train de danser avec un éléphant. Une conclusion ludique et colorée à cette exposition qui fut pour nous un coup de cœur absolu.

(P.S.: nous y avons été, vous l'aurez compris, sans la "petite", 16 mois à l'époque, et c'était sans doute un bon choix ; elle est à cet âge compliqué où rester dans la poussette toute la visite est parfois trop long pour elle, et où le moment où on l'en sort s'apparente plutôt à un lâcher de fauve ; du coup, avec elle, nous n'aurions pas pu profiter du sous-sol comme nous l'avons fait tous les trois ; cette exposition est sans doute faisable avec des tout-petits, s'ils ne sont pas impressionnés par la semi-obscurité, mais elle est surtout adaptée aux plus grands - notre grande a 4 ans et demi)

Du 2 juillet 2016 au 8 janvier 2017.
Ouvert tous les jours sauf lundi, de 11h à 20h (nocturne le mardi jusqu'à 22h).
Une visite guidée incluse dans le billet d'entrée a lieu tous les jours de semaine à 18h. Le week-end, parcours en famille à 11h. Ateliers créatifs les mercredi, samedi et dimanche à 15h. Voir le programme sur http://fondation.cartier.tickeasy.com/fr-FR/activites-enfants (le site de la Fondation est actuellement indisponible, mais la liste des ateliers et visites en famille, et leur billetterie, sont accessibles).
Tarif : 10,50 euros (réduit : 7 euros), majoré en ligne ; gratuit pour les moins de 13 ans (18 le mercredi).

Pour prolonger ou préparer la visite, cinq paysages sonores de Bernie Krause peuvent être écoutés sur http://www.legrandorchestredesanimaux.com/fr.

vendredi 23 septembre 2016

Leçon de guitare (pas si) sommaire



(Musée de la Musique - Atelier "Qui veut jouer avec moi?")


La musique, comme les livres et (vous l'aurez deviné) les musées, tient une place importante dans la vie de mes filles : leur père, qui joue de l'orgue à ses heures perdues, leur en fait écouter de toute sorte, et la grande, inscrite cette année à un cours de danse (une des rares activités possibles à son âge) aime à se déhancher sur Mozart aussi bien que sur la Compagnie créole, entraînant sa petite sœur qui remue déjà énergiquement son popotin. Il n'est donc pas étonnant que, parmi nos musées d'affection, ceux auxquels nous revenons régulièrement, se trouve le Musée de la Musique. Nous avons déjà parcouru à plusieurs reprises son exposition permanente, sans oublier une exposition temporaire et des ateliers pour les enfants - je vous ai déjà raconté la visite que nous avions faite autour du thème des dragons. Nous y sommes retournées au mois de juin, ma grande et moi, pour un nouvel atelier qui est venu couronner une belle après-midi entre filles.

Arrivées tôt, nous avons d'abord fait un petit tour dans l'exposition permanente - sans audioguide, mais avec le livret pour enfants. Lors d'une précédente visite, nous avions testé l'audioguide pour enfants (officiellement à partir de 6 ans, même si les plus petits peuvent en apprécier les extraits musicaux et les explications), très intéressant mais contraignant et peu pratique : le casque, trop grand, glissait des oreilles de notre grande-pas-assez-grande ; de plus, comme il était relié à mon appareil, nous étions liées l'une à l'autre, et ma fille n'était pas libre de ses mouvements - sauf à se retrouver déconnectée. Ces détails pratiques sont regrettables, car ils empêchent de profiter pleinement de l'audioguide, qui offre pourtant un complément auditif agréable, et parfois indispensable, à la partie visuelle de la visite. Ainsi, dans la dernière section du musée, consacrée aux instruments du monde, plusieurs extraits vidéos sont projetés sur des écrans, et l'on ne peut en écouter la bande son que par le biais de l'audioguide : sans le casque, les écrans restent muets, ce qui s'avère plutôt frustrant quand les images montrent des musiciens en action. C'est par cette section que nous avons commencé notre rapide (re)tour dans le musée ce mercredi-là : étant la dernière, elle est aussi celle que nous traversons le plus rapidement, ce qui est bien dommage, car elle est très riche ; elle permet notamment aux enfants de jouer de la sanza, lamellophone africain qui fait partie des cinq points "Touchez la musique" du musée (cinq instruments à manipuler, sans forcément en jouer : une viole de gambe dont on caresse les différents éléments, les morceaux d'un orgue dont on manipule les soufflets et les jeux, une trompette, dont les tuyaux s'allument en fonction des pistons actionnés, un theremin - un peu difficile à maîtriser -, et la sanza, sans doute le plus facile et le plus ludique des cinq).

A défaut de casque, nous avions en main ce jour-là le livret-jeu disponible à l'accueil - il faut le demander, surtout si votre enfant est un peu jeune, car il est plutôt destiné aux visiteurs qui ont sept ans et plus, notamment parce qu'ils sont censés pouvoir lire les cartels. Et de fait, le livret est long, parfois difficile, mais propose des activités variées, parmi lesquelles on peut faire un choix, en fonction des envies, des goûts et du rythme de visite de l'enfant. J'ai choisi une double page concernant les instruments d'Afrique, à relier à leurs régions d'origine ; bien entendu, c'est moi qui ai lu les cartels et les indications sur la carte, mais retrouver les huit instruments dans les deux grandes vitrines de la section africaine a bien occupé ma fille, et lui a permis de mieux observer luths, tambours, trompes et cloches. Puis nous avons parcouru le musée "à l'envers", au gré des envies de l'une et de l'autre. Si l'étage du xxe siècle, un peu technique, un peu abstrait, ne l'a pas arrêtée longtemps, ma fille a voulu revoir l'octobasse, immense contrebasse de presque 4 mètres, qui ne cesse de l'impressionner. Je l'ai emmenée reconnaître, avec le livret comme support, les instruments de l'orchestre du xviiie présentés dans une vitrine, nous avons joué, sur le livret, à retrouver les embouchures et anches des instruments à vent. Au passage, nous avons admiré les harpes, les clavecins, véritables œuvres d'art...

Puis ce fut l'heure de l'atelier. Contrairement à ce qui s'était passé lors de la visite sur les dragons, c'est par la pratique musicale en groupe que notre guide a choisi de commencer. Le thème était censé être celui des familles d'instruments. Pas de leçon formelle, cependant, rien de "scolaire", et je ne crois pas que l'animatrice (qui n'avait rien d'une conférencière, donc, mais savait gérer un groupe d'enfants plus ou moins concentrés) ait jamais prononcé l'expression de "famille d'instruments". Pourtant, les enfants ont appris des tas de choses, en manipulant. Ce qui nous a le plus plu, en effet, dans cette visite-atelier, c'est le nombre d'instruments manipulés en si peu de temps : après le gong, que chaque enfant a fait sonner, nous avons tous eu en mains (les parents aussi, oui) un instrument à percussion, qui un tambourin, qui un djembé. Puis ce fut le tour des maracas, clochettes et autres instruments à agiter. Les cordes, ensuite, ont été déclinées sous plusieurs formes : des guitares, mais aussi une harpe et un violon, qui sont passés de main en main. Tout cela très rapidement, mais sans à peu près : nous avons appris à positionner nos mains sur nos percussions pour produire sons graves et sons aigus, les guitares et violons ont été mis en place correctement entre les mains de chaque enfant, et chaque famille d'instruments nous a donné l'occasion de jouer tous ensemble. La séance, menée de main de maître (mais tout en douceur), s'est terminée sur quelques explications sur l'accordéon, en prévision du concert-démonstration offert ce jour-là dans les salles du musée par une bandonéoniste - instrumentiste très intéressante et agréable à écouter.

Après la pause-concert, nous avons commencé notre visite guidée du musée, avec plusieurs stations intéressantes, nourries d'anecdotes. Notre conférencière avait choisi notamment de s'arrêter devant les pochettes des maîtres à danser du xviie et, après avoir commenté pour les enfants la maquette du château de Versailles et leur avoir parlé des fêtes du roi Soleil éclairées de mille chandelles, après avoir raconté les mésaventures fatales de Lully avec son bâton de maître de danse, elle a allumé son appareil portatif pour faire écouter aux enfants la musique de l'époque, mais surtout pour les faire danser ! Un moment charmant qui les a tous réjouis ! Cette visite, intéressante pour les petits comme pour les grands, jamais bébête, ni trop longue ni trop rapide, car elle reposait sur une petite sélection d'instruments, s'est achevée par un instant d'admiration et d'étonnement devant la toute dernière acquisition du musée, en vitrine alors depuis à peine une semaine : une guitare tortue, sorte d'instrument-bijou qui a fasciné petits et grands.

Visite-atelier « Qui veut jouer avec moi ? » - Tarif : 8 euros (enfant), 10 euros (adulte). Durée : 1h30. Enfants de 4-7 ans.

Agenda Enfants et familles de la Cité de la musique : http://philharmoniedeparis.fr/fr/agenda?public[0]=233&public[1]=234&public[2]=235

Musée de la musique – Tarif : 7 euros ; gratuit pour les moins de 26 ans.
Poussette non acceptée. Le musée prête poussette et/ou porte-bébé.
Pas de « point goûter » à l’intérieur du musée, mais une sortie temporaire est possible ; on peut alors s’installer dans le café de la Philharmonie, ou sur les grandes banquettes du hall.

mercredi 29 juin 2016

Architectures d'enfant


Dans les références architecturales de ma fille (la grande) quand elle joue aux Legos, il y a l'escalier de la Belle et la Bête, le palais de la Reine des neiges et... le centre Pompidou !
Voici sa dernière construction en date ; les plaques superposées peuvent tourner, "comme un mobile", ce qui constitue une variation de taille dans sa frénésie de construction de tours. Commentaire de l'architecte sur son œuvre : "on dirait le musée Pompidou".

mercredi 15 juin 2016

Chaises longues et "statues d'art"

(Musée Bourdelle)

Disait-elle "là, là" ou était-ce, comme mon oreille de mère a cru l'entendre, "dada" ? C'est avec ce cri encore mal articulé mais qui traduisait en tout cas  un enthousiasme évident que notre cadette (15 mois maintenant) pointait son doigt vers l'impressionnante statue équestre présentée (dans sa version en plâtre) dans la plus haute salle du musée Bourdelle. Tout son corps et toute son attention étaient tendus, depuis sa poussette, vers ce cheval (dada ?) monumental qui occupait devant elle un espace sans doute exceptionnel, puisque nous-mêmes adultes nous sentions tout petits. Etait-ce le plaisir de reconnaître l'animal, était-ce la taille ou encore la position très surélevée de la sculpture qui motivait cette réaction physique et sonore si explicite ? Impossible de le savoir. Ce qui est certain, c'est que l'intérêt suscité d'abord par la statue équestre du général Alvéar n'a pas faibli au cours de notre visite : il était évident que le musée Bourdelle plaisait bien à notre visiteuse en poussette.

Il n'est pas toujours facile de savoir l'impression que produisent sur elle les œuvres que nous voyons. A peine commençons-nous à déceler, à certains indices, les lieux qui lui plaisent et l'intéressent : il semblerait ainsi que, quand sa curiosité est assez éveillée, elle ne ressente pas le besoin de sortir de sa poussette pour explorer les lieux à deux ou quatre pattes ; alors même qu'elle est à un âge où "il faut que ça bouge", nous avons eu des visites réussies et agréables, comme ici au musée Bourdelle, ou récemment encore au Mac Val, tandis que d'autres furent assez pénibles - le Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris, par exemple, ne l'a intéressée que comme terrain de sport, avec ses escaliers à descendre et monter indéfiniment ! Pourquoi une enfant de 15 mois va-t-elle accepter ou refuser de garder ses pieds immobiles pour mieux ouvrir ses yeux ? Mystère. Peut-être cela a-t-il quelque-chose à voir avec l'espace et la lumière qui y règne, mais aussi avec la mise en place des œuvres : au Mac Val, beaucoup d'entre elles sont facilement visibles depuis une poussette, parce qu'elles sont directement installées sur le sol ; au musée Bourdelle, la dimension monumentale de certaines sculptures a sans doute contribué à accrocher son regard, l'incitant à regarder ensuite autour d'elle. Peut-être cela est-il aussi une question d'humeur ou de sensibilité (je n'irais pas jusqu'à dire "artistique", elle est si jeune !). Qui sait ? Une fois n'est pas coutume, même s'il est encore plus difficile à retranscrire et à expliquer que celui de sa sœur, j'essaierai aujourd'hui de vous donner, en même temps que celui des autres membres de la famille, le point de vue de la "petite".

Il faisait chaud et lourd dans Paris, et la première bonne surprise que nous offrit le musée Bourdelle fut de la fraîcheur : le premier espace de visite, juste après l'entrée, n'est pas une salle mais un jardin. Cette petite cour arborée donnant sur la rue, et entourée d'une galerie couverte, est ornée de nombreuses statues, dont certaines le bordent, majestueuses et monumentales, tandis que d'autres s'y cachent, bronzes discrets qu'il faut débusquer au milieu des feuillages ; on peut s'installer là pour les contempler, lire ou rêver, à l'ombre ou au soleil, car la cour est agréablement pourvue de bancs et autres sièges de jardin, tandis que la galerie offre d'estivales chaises longues. De ce point de vue ombragé, on peut contempler de dos les quatre figures du Monument au général Alvéar (La Liberté, La Force, La Victoire et L'Eloquence) qui se profilent entre les arcades de briques, gardiens du lieu, on peut aussi admirer de loin les autres sculptures du jardin, ou contempler à son aise l'Héraclès archer qui vise éternellement, très concentré, d'invisibles oiseaux. On peut également, comme notre aînée, jouer à la "statue d'art", en prenant des poses plus ou moins clownesques, destinées autant à singer l'immobilité de la sculpture qu'à amuser la galerie, c'est-à-dire ses parents et sa sœur, toujours extrêmement bon public. C'est donc sous le signe du jeu et du rire que nous sommes entrés dans ce musée - qui en outre a fait resurgir pour moi de merveilleux souvenirs de vacances croates et scandinaves (1). Et c'est après que ses pieds nus aient pris le frais du jardin, et après avoir ri de l'enthousiasme clownesque de sa grande sœur, que la "visiteuse en poussette" a pénétré dans le Grand Hall, espace lumineux à la mesure des plâtres gigantesques pour lesquels il a été construit (comme celui de La France, sorte de Pallas-Athéna géante dont la lance semble devoir crever le plafond), et qui met tout de même en valeur les œuvres plus "petites", comme les bas-reliefs imaginés pour la façade du théâtre des Champs-Elysées ou comme les figures d'inspiration antique, Centaure mourant ou Sapho rêveuse.

Seul défaut du lieu, le Grand Hall est très sonore, et les cris d'enthousiasme de notre cadette y résonnaient si bien que nous étions gênés de la voir ainsi troubler le silence quasi religieux que les monuments semblaient inspirer aux rares visiteurs, dont plusieurs étaient absorbés par leurs croquis, et à la sévère gardienne, qui a en outre exprimé sa crainte que notre grande détruise les plâtres imposants... mais, paraît-il, fragiles (je continue à ne pas comprendre comment une enfant de 4 ans aurait pu endommager ou détruire ces mastodontes...). Mais passé cet accueil un peu frais qui a dans un premier temps redoublé la timidité que le solennel Grand Hall faisait naître en nous, je dois dire que notre visite fut on ne peut plus plaisante, et que c'est sous l'œil bienveillant des autres gardiens que nous avons traversé les différents espaces qui composent le Musée Bourdelle. L'un d'entre eux incitait même les visiteurs à quitter toute réserve dans la salle "pédagogique", où la direction du musée a installé plusieurs outils destinés à comprendre la genèse des sculptures (vidéo sur le coulage du bronze, moule à défaire et refaire façon puzzle en volume, etc.), mais aussi quelques bronzes authentiques que l'on est autorisé à toucher !

Cette pièce "tactile", qui a beaucoup intéressé la grande (elle est restée longtemps devant la vidéo, et a adoré défaire les pièces du moule), a laissé la plus petite indifférente - la salle étant étroite, elle s'y est vite énervée, et est allée nous attendre avec son père dans un coin du jardin. Même chose avec la pièce qui restitue l'atmosphère de l'appartement de Bourdelle, réunissant mobilier d'époque et collection personnelle de l'artiste (notamment de peintures) pour recréer un intérieur qui était aussi l'atelier de peinture de Bourdelle, et plonger le visiteur dans le passé. Presque intime, cette pièce n'est pas pratique pour une poussette, et globalement reste anecdotique pour qui n'est pas spécialiste. Elle participe cependant à la variété des espaces de visite proposés par le musée Bourdelle, dont le parcours évite toute monotonie : chaque salle semble avoir son atmosphère propre, de l'appartement figé dans le temps à l'extension construite en 1992, qui accueille des morceaux de l'œuvre monumentale dans un décor impersonnel. Sans oublier bien sûr l'atelier de sculpture, capharnaüm chaleureux, envahi par des sculptures qui semblent sortir tout juste du burin. Là aussi le temps s'est arrêté, bronzes et marbres se cachent derrière des rideaux ou paraissent avoir été abandonnés par l'artiste sur les sellettes où il les a façonnés. Ce désordre organisé a touché notre petite visiteuse aussi bien que ses parents. Pourtant, il n'y avait là plus rien de monumental, et la lumière était plus tamisée, mais elle semblait intriguée par le lieu, sa curiosité éveillée par les trois têtes de femmes, semblables mais faites de trois matériaux différents, qui étaient posées sur la grande table de bois, à portée de son regard.

Mais ce qui a peut-être contribué à charmer notre petite, et ce qui nous a paru en tout cas le plus agréable, c'est l'organisation même du parcours du musée Bourdelle, dont le fil conducteur n'est autre que le jardin : le jardin sur rue, atrium par lequel on pénètre dans l'univers de Bourdelle, et qui dessert le Grand Hall, l'appartement et l'atelier (qui mène à la salle "tactile"), mais aussi le jardin intérieur, sentier envahi par la verdure, où les sculptures se cachent et se révèlent, passant de l'ombre à la lumière au gré des bosquets. C'est ici que nous avons fait une pause goûter et que la petite a été ravie de pouvoir se dégourdir les jambes. C'est aussi sur ce jardin qu'ouvrent les verrières du parcours chronologique, cœur du musée où l'on découvre pas à pas l'œuvre de Bourdelle, en des salles successives qui ne cessent de dialoguer, grâce à des ouvertures multiples, avec le jardin, véritable espace d'exposition. Et, toujours, l'on revient au jardin : c'est par lui que l'on accède à l'ascenseur, qui mène à l'extension récente (en sous-sol), mais aussi à la terrasse, qui permet d'admirer d'autres œuvres mais offre aussi un nouveau point de vue sur... le jardin. Ce sont ainsi les espaces extérieurs qui donnent son unité à ce musée aux lieux hétéroclites, dont les différents morceaux ont été bâtis au fil du dernier siècle. Des jardins qui font de ce musée un lieu propice à la détente, à la rêverie, à la promenade : un musée idéal, donc - avec ou sans enfants !


(1) Cette alliance du bronze, du feuillage et de la brique me rappelait, je ne savais trop pourquoi, la Suède, puis plus objectivement les maisons d'Ivan Meštrović près de Split et de Carl Milles près de Stockholm, deux lieux splendides pour qui aime le mélange sculpture-nature ; les tresses de La Liberté et de La Victoire ressemblent à certaines coiffures des femmes de Milles, tandis que la filiation avec Rodin est largement partagée par Bourdelle et Meštrović.

Musée Bourdelle
18, rue Antoine Bourdelle 75015 Paris
(métro Montparnasse - Bienvenüe / Falguière)
Ouvert tous les jours sauf le lundi, de 10h à 18h.
Entrée gratuite pour tous dans les collections permanentes (les expositions temporaires sont payantes).

mardi 7 juin 2016

J(e) suis partout !

(Ana Jotta, "TI RE LI RE" - le Crédac, Centre d'art contemporain d'Ivry)


Les habitants du Val de Marne (94) sont fort bien lotis en ce qui concerne l'art contemporain avec, bien sûr, le Mac Val à Vitry-sur-Seine (j'en reparlerai bientôt), mais aussi, à Ivry-sur-Seine, la Galerie Fernand Léger, qui accueille plusieurs artistes chaque année (je garde notamment un souvenir ébloui de l'exposition de Miguel Chevalier), et le Crédac. Installé dans une ancienne usine (la Manufacture des œillets) qu'il partage avec l'EPSAA (Ecole Professionnelle Supérieure d’Arts graphiques et d’Architecture), avec bientôt pour voisin le Centre Dramatique National du Val de Marne (Théâtre des Quartiers d'Ivry), le Centre d'Art contemporain d'Ivry, dit Crédac, accueille trois expositions par an, expositions personnelles ou collectives d'artistes contemporains français ou étrangers, dans une grande variété de pratiques (sculpture, photographie, installations, vidéo, son, etc.). Visites, conférences, goûters et autres rencontres avec le public sont organisés autour de chaque exposition, qui est complétée également par la programmation du Crédakino, petite salle de projection installée récemment au fond de l'espace d'exposition.

La dernière exposition de cette "saison" est consacrée au travail d'Ana Jotta, artiste portugaise à l'œuvre polymorphe. Elle associe ici son travail de peintre, présenté sur divers supports, et sa manie des collections, qui donne naissance à une installation surprenante, qui tient les promesses de ludisme annoncées par le titre de l'exposition. Autant je suis restée un peu sur ma faim dans la première salle, peut-être trop éparpillée, autant la dernière salle permet une plongée dans un univers personnel un peu fou, qui se prête à la rêverie et à l'imagination.

L'exposition est conçue en trois temps - trois salles de dimensions et d'esprits très différents. La première salle, la plus grande mais aussi la moins cohérente, réunit essentiellement le produit de l'œuvre picturale d'Ana Jotta. Mais ces peintures ne se présentent pas toujours sur des supports attendus : non seulement l'artiste portugaise peint sur de l'acier, du tissu, du papier peint autant que sur toile, mais elle a pour habitude de photographier ses œuvres et d'imprimer les clichés obtenus sur divers supports, tissus, bâche plastifiée. Malheureusement, une grande partie de ces impressions sur des tissus translucides, placées en hauteur et tout contre une fenêtre, recevaient peut-être trop de lumière, car leurs couleurs semblaient toutes pâles : ces œuvres n'attiraient pas l'œil, qui se perdait un peu dans ce grand espace rempli de peintures très différentes les unes des autres. Notre aînée semblait perplexe, même face au Petit cirque créé à partir des photographies qu'Ana Jotta a prises avec son téléphone portable pendant un an, imprimées sur toile et lacérées en lanières. Des lanières trop fines peut-être pour qu'une enfant comprenne leur origine.

La seconde salle, très cohérente au contraire, présente sept peintures toutes réalisées sur un support qui n'est pas celui de l'image fixe, mais de l'image en mouvement : un écran de projection. Ces sept écrans, installés en quinconce, structurent l'espace de la salle, en créant un parcours de cache-cache et de découverte où l'on se faufile jusqu'à la surprenante dernière salle, la plus personnelle et la plus originale.

Car cette fois, la salle ne présente pas les créations d'Ana Jotta, elle est en elle-même une création, comme si l'artiste nous invitait dans son salon loufoque, ou dans son imagination. Les quatre murs sont tapissés d'un papier peint créé à partir d'une des nombreuses collections de l'artiste : publicités, affiches, pages de livres, photographies et dessins, ces images créent une collection qui est source d'inspiration pour Ana Jotta, mais qui a aussi donné naissance à une exposition (A Conclusao da Precedente, Lisbonne, 2014) puis à un livre (Footnotes). C'est à partir du livre tiré de l'expostion que le papier peint présenté au Crédac a été édité. Recouvrant toute la pièce, il offre des heures d'observation et de contemplation, ou de "cherche-et-trouve" (le livret de jeux-affiche offert par le Crédac, destiné aux enfants, mais plutôt adapté aux plus grands, leur propose de chercher le canard reproduit sur son versant affiche). Mais il crée aussi un décor unique et surprenant, bien propre à accueillir une autre série ou collection d'Ana Jotta, celle des J (ou Jotas, en portugais) : l'artiste collectionne les objets qui ont ou prennent la forme de l'initiale de son nom, qui est aussi son homonyme. Elle en expose certains dans une vitrine, d'autres aux murs ou sur le sol de sa salle auto-portrait. L'espace foisonne d'images et d'objets, et c'est leur juxtaposition, leur accumulation qui donne l'impression d'être transporté ailleurs. Surprise, amusée, notre fille a apprécié cette plongée dans les images d'Ana Jotta ; elle a été intriguée par la collection de J ; trop petite pour deviner ce qui se cachait derrière cette forme, je crois que l'explication l'a moins amusée que l'effet de série lui-même, joint à l'étrangeté des objets posés au mur.

Même amusement étonné, un peu "sceptique", face à Genealogic Tree, assemblage d'une fausse lampe de salon (l'abat-jour est en fait un seau !), d'un bouclier, d'une peinture et d'une tête de chien façon trophée, affublée d'une couronne en hermine : elle semblait en fait se demander pourquoi cela nous amusait, ou pourquoi nous nous attendions à ce qu'elle soit surprise ou amusée. Elle a bien volontiers détaillé les objets qui composaient cette "sculpture", et le chien couronné, un peu haut pour qu'elle le remarque d'emblée, l'a fait sourire, mais elle avait plutôt l'air de nous dire : "Pourquoi pas ?" Je crois pouvoir dire qu'elle a apprécié cette exposition, même si ses réactions étaient peu expressives et donc difficiles à interpréter. Elle a observé certaines œuvres, ignoré d'autres, m'a laissé gentiment attirer son attention sur certains détails (un Mickey sur une boîte en carton, les pots de confiture qui soutiennent le tambour de la photographie sur bâche...) ; elle a posé quelques questions (sur le mode de "qu'est-ce que c'est ?"), mais a surtout observé avec un certain détachement ce qui l'entourait. Je crois que la salle au papier peint est ce qui lui a le plus plu, ce qui l'a le plus surprise. Mais au fond, ayant moins d'habitudes que nous (ou d'a priori, si vous voulez) sur ce qu'est une œuvre d'art, et étant encore trop petite pour s'intéresser vraiment à la variété des supports utilisés, elle a semblé un peu indifférente face aux originalités d'Ana Jotta. Peut-être aussi l'exposition manquait-elle d'une cohérence, d'un fil rouge qui l'aurait "accrochée". Dans ce blog, j'essaie de ne pas vous dire seulement ce que moi j'ai pensé des musées et expositions que nous visitons en famille, mais ce n'est pas toujours facile de vous donner le point de vue de ma fille - je parle de l'aînée, car la petite a clairement aimé gambader dans ces grands espaces, quasi vides de visiteurs, et a eu très envie de secouer le Genealogic Tree !

Je peux seulement ajouter, côté enfants, que le Crédac fait l'effort, pour chaque exposition, de préparer et imprimer sur du papier glacé une série de questions-jeux pour les enfants, sur un grand format qui permet d'offrir également au verso une affiche tirée de l'exposition, comme souvenir à emporter chez soi. Il s'agit moins d'appels à l'observation de l'exposition que de questions destinées à prolonger cette observation, en demandant à l'enfant soit de faire des liens avec ce qu'il connaît, soit d'imaginer ou de créer à son tour. Sans doute élaborées en même temps que les visites ou ateliers proposés aux scolaires, ce "dépliant-jeu" est difficile à exploiter avec une enfant de 4 ans, en partie à cause de la difficulté des questions, en partie parce qu'il lui demande de s'arrêter, de s'asseoir pour se concentrer successivement sur une œuvre de l'exposition, sur une image du dépliant et sur une question en prolongement. Il faudrait quasiment venir sans enfant pour préparer la visite, si l'on tient à exploiter ce support ! Mais peut-être est-ce dû aussi au fait qu'occupés à observer l'exposition, à y repérer les détails susceptibles d'intéresser la grande (sans oublier de prendre quelques photos pour vous), tout en courant après la petite, il nous manquait un ou deux bras (et un cerveau) pour lire attentivement et posément les questions du dépliant avant de les expliquer à notre fille. Même quand on ne porte ni bambins ni poussette, être des parents au musée, c'est souvent du sport !


Du 8 avril au 26 juin.
Ouvert tous les jours sauf le mardi, de 14h à 18h (19h le week-end). Entrée libre.
Le Crédac, Centre d'art contemporain d'Ivry
La Manufacture des Œillets
25-25 rue Raspail
94200 Ivry sur Seine
(métro ligne 7 ou RER C)

Un atelier-goûter est prévu le dimanche 19 juin 2016, de 15h30 à 17h (gratuit sur réservation, au 01 49 60 25 06 ou contact@credac.fr).

lundi 23 mai 2016

Narcisse urbain

("Vous êtes ici" - Centre Pompidou, Galerie des enfants)


La Galerie des enfants du Centre Pompidou est un vaste espace, sorte de nacelle surplombant l'entrée principale et qui se transforme au gré des "expositions-ateliers" qui s'y succèdent (au rythme de deux par an), et surtout de l'imaginaire des artistes qui y sont invités. L'été dernier, avec "Soulever le monde" (avril-septembre 2015), elle était devenue un immense navire, fantastique, où l'on pouvait tourner des dizaines de gouvernails, qui animaient autant de voiles et autres mobiles ; je me souviens que notre grande y avait passé un moment merveilleux, et avait été fière de pouvoir accrocher ses propres créations sur ces mobiles toujours renouvelés. Car la Galerie des enfants se veut toujours à la fois un lieu de création et de découverte, l'artiste impliquant les enfants dans l'espace qu'il investit et qu'il imagine. La précédente animation, "Châteaux de sable : architectures de rêve" (que nous n'avons pu tester, découragés par la demi-heure d'attente à l'extérieur de la Galerie) invitait les petits à imaginer une construction pour la voir ensuite se modeler dans le sable. La Galerie était alors devenue à la fois plage et atelier de potier.

En ce moment, sous l'inspiration du photographe et street-artiste JR, elle est une ville, dédale de rues et de buildings que les enfants investissent et envahissent de leurs pas, de leurs rires... mais aussi de leurs minois. Car la particularité de JR est qu'il tire ses photographies, pour la plupart des portraits ou des gros plans sur des regards, en format XXL et les installe sur les murs des favelas de Rio ou des buildings de Manhattan, sur un pont parisien ou sur des trains africains. C'est cette pratique monumentale et en même temps si intimiste de la photographie, qui exprime un lien fort entre les hommes et les lieux qu'ils habitent, que JR a voulu transposer dans la Galerie des enfants pour la partager avec eux. Il les invite donc dans une ville imaginaire qui condense ses voyages et ses projets des dix dernières années. Sur les bâtiments en gris, noir et blanc de cette ville mirage, il a collé certaines de ses photographies, tandis que d'autres se présentent "façon puzzles", sous forme de grandes lames magnétiques, invitant les enfants à les décomposer et recomposer à l'infini.

Un plan, qui sert aussi de livret de jeu, est distribué à l'entrée, ainsi qu'une planche de gommettes : l'enfant doit repérer, en différents points de ce labyrinthe urbain imaginaire, des photographies de JR qui apparaissent incomplètes sur son plan, pour ensuite pouvoir les compléter avec la gommette ad hoc. Une autre manière de découvrir les photographies de l'artiste en se les appropriant - moins simple et directement accessible que les puzzles, cependant, car il n'est pas toujours facile d'identifier la photographie modèle dans le dédale des rues, malgré les indications du plan. J'avoue m'être sentie parfois un peu perdue, ce qui était sans doute accentué par la circulation des enfants autour de moi, et par le mouvement perpétuel de mon aînée, peu encline à se laisser guider ; trop petite peut-être pour ce jeu de quête, elle a préféré les puzzles géants, et le simple plaisir de la découverte en liberté de cet espace ludique : car petits et grands semblaient tous apprécier de parcourir les rues de Rio, Paris, Istanbul, Shanghai ou La Havane, Montfermeil ou New York - petit bémol, on ne percevait pas vraiment le passage d'une ville à l'autre, car le décor installé dans la Galerie des enfants est assez uniforme, fait de cubes empilés en tours plus ou moins hautes, sur lesquels sont collés des clichés d'immeubles, tous dans les mêmes teintes du noir et blanc qui étaient également celles des photographies affichées.

Mais ce qui plaisait le plus aux enfants, et ce quel que soit leur âge, c'est qu'ils étaient eux-mêmes invités à exposer dans cette ville imaginaire, en devenant auteurs de leur autoportrait. Les apprentis photographes devaient d'abord créer un fond, en apposant sur des grandes feuilles blanches des tampons ronds de dimensions diverses (dans l'esprit du fond imaginé par JR dans son projet "Inside Out") - l'effet était assez réussi. Puis ils s'installaient dans la cabine photo (aidés de leurs parents, qui aimantent le fond et manipulent le logiciel). Une fois la pose prise, la photographie s'affichait quelques instants plus tard sur la tour du premier point (Rio). Avec l'autorisation des parents, ces photographies (que vous recevez également dans votre boîte mail) continueront ensuite de défiler sur différentes tours de la Galerie des enfants, habitant cette ville imaginaire comme les clichés de JR ont habité les murs de maintes cités autour du monde. Cette activité, qui flatte l'ego narcissique de nos chers bambins, leur permet également de comprendre plus concrètement le geste de JR, du portrait à l'affichage, et complète les explications des animateurs qui vous accueillent à l'entrée, et surtout celles de la vidéo projetée juste à côté de la cabine photo.

Enfin, dans l'esprit de la Galerie des enfants, cet autoportrait photographique permet aux enfants de s'approprier l'espace créé par JR : cette cité devient la leur, ils y retrouvent leur visage en y entrant, et s'y sentent d'emblée chez eux. Ce sentiment est conforté par une autre activité photographique, plus ludique, proposée dans la partie new-yorkaise de la ville imaginaire : couchés sur le côté, dans une position plus ou moins décontractée ou acrobatique, les enfants sont pris en photo sur un fond de buildings (là encore les parents doivent activer le logiciel) ; quand leur cliché est projeté, quelques instants plus tard, à la verticale, ils semblent suspendus dans le vide, accrochés à une gratte-ciel. Cet autre "point-photo" déclenchait l'enthousiasme chez les enfants, surtout chez les plus grands, qui devaient s'imaginer en super-héros survolant New-York !


Du 16 avril au 19 septembre 2016.
Galerie des enfants, niveau 1 - Centre Pompidou.
Ouvert tous les jours (sauf le mardi) de 11h à 19h en période d'exposition.
Tarif : 14€ (tarif réduit à 11€) ; gratuit pour les moins de 26 ans (et pour tous les premiers dimanche du mois).
Pour connaître les différentes activités "en famille" proposées par le Centre Pompidou, voir la page suivante (qui propose un lien vers l'agenda) : https://www.centrepompidou.fr/fr/Visite/Decouvrir-en-famille