vendredi 1 avril 2016

Musée haut, regard bas

(Musée Rodin - Paris)

La sculpture a été l’un des premiers arts que nous avons fait découvrir à notre fille : la galerie de sculptures françaises du musée du Louvre, avec ses œuvres assez grandes pour qu’elle puisse les voir sans être portée, et ses personnages mythologiques dont on pouvait raconter l’histoire, a été pendant un temps un lieu de promenade privilégié. Quand, après plus de trois ans de fermeture pour des travaux de restauration et de rénovation, le Musée Rodin de Paris a rouvert ses portes en novembre dernier, nous n’avons donc pas tardé à y venir en famille. Un nouveau parcours, de nouvelles salles, l’accessibilité aux personnes à mobilité réduite, la présence du multimédia pour s’adresser à tous les publics, voilà l’affiche et les ambitions de ce « nouveau musée Rodin ».

Dans les faits, si un ascenseur permet bien au visiteur handicapé de découvrir les salles situées à l’étage, si des visites tactiles sont offertes pour les non ou mal voyants, les enfants arrivent bons derniers dans la liste des publics variés auxquels le musée Rodin entend ouvrir les bras. Certes, avec notre poussette, nous avons pu éviter la file d’attente et entrer directement dans la billetterie (privilège offert sans le sourire, mais bon). Mais une fois le billet acheté, nous avons appris que nous ne pourrions pas conserver notre poussette dans le musée, pour ne pas abîmer les parquets flambant neufs. Heureusement que nous nous étions équipés d’un porte-bébé ! Ce qui n’était pas le cas d’un papa malchanceux : venu avec ses quatre enfants, dont deux tout-petits, nous l’avons vu monter l’escalier avec, sur chaque bras, un de ses petits jumeaux… Pour lui, pas de poussette (avait-il été prévenu avant d’acheter son billet ? En tout cas, nous ne l’avions pas été), mais pas non plus d’ascenseur : celui-ci, dont je n’ai pas vu le signalement, doit être exclusivement réservé aux fauteuils roulants – ce qui peut se comprendre dans un hôtel particulier ancien, où l’on ne peut souvent installer qu’un petit ascenseur, à réserver aux cas de nécessité. Je dois dire que la modernisation du bâtiment (et du musée plus largement) ne nous a pas sauté aux yeux.

Si le bilan côté pratique était peu satisfaisant, côté « pédagogique », ce n’était guère mieux. Pas de livret pour les enfants – du moins ne nous en a-t-on pas proposé, et aucun n’est signalé par le site internet. Globalement, on sent que les enfants ne sont pas vraiment les bienvenus dans ce musée – sensation renforcée par les regards des autres visiteurs, public effectivement peu familial, très 7e arrondissement, et qui, au mieux, marche sur votre petit parce qu’il ne le voit pas, au pire (à moins que ce ne soit l’inverse), fusille du regard cette énormité vivante dans le lieu pour adultes qu’est un musée. Ajoutons que le personnel du café qui se trouve dans le jardin, derrière le musée, et offre une vue agréable sur quelques sculptures, se montre tout sauf accueillant envers les familles : on nous a gentiment mais fermement mis dehors quand, une fois nos consommations avalées, nous sommes restés quelques instants pour permettre à notre aînée de finir de goûter – il n’est pas permis, nous a-t-on dit, de manger ce qui n’est pas vendu en ces lieux, même un bête Prince au chocolat. Vraiment, le musée Rodin pourrait porter cette devise à son fronton : « Toi qui es un enfant, passe ton chemin ».

D’ailleurs, l’agenda « famille » du musée est indigent : depuis les visites en famille (pour enfants de 6 à 12 ans uniquement) qui étaient proposées pendant les vacances d’hiver, rien n’est programmé, et ce jusqu’au mois d’août. Quant au multimédia, nous ne l’avons même pas vu (à part – soyons honnête – un film projeté, très classiquement, dans une salle à part, devant des chaises pleines d’adultes sérieux et concentrés). Pourtant, notre fille, comme la plupart des enfants de sa génération, est prompte à se planter devant un écran s’il se présente à ses yeux – pour le pire comme pour le meilleur ! À ces absences s’en ajoute une dernière, qui est une disparition : nous avions gardé le souvenir d’une vitrine qui présentait, par des maquettes miniatures, les différentes étapes nécessaires pour mouler une sculpture en bronze. Nous avons regretté de ne plus pouvoir exploiter ce support avec notre fille.

Mais l’inconvénient majeur que présente le musée Rodin pour les enfants reste finalement d’ordre pratique : si le parcours de visite a sans doute été modifié, le mode de présentation des œuvres reste « à l’ancienne », les sculptures étant posées sur des socles souvent bien trop élevés pour qu’un enfant puisse les contempler confortablement. Chaque fois que nous voulions attirer l’attention de notre fille sur une œuvre, lui faire observer le mouvement imprimé à la pierre, la similitude entre deux bustes, ou l’expression étrange d’un visage, il fallait la hisser à bout de bras. Au-delà des courbatures parentales, cette muséographie à hauteur d’adultes bloque la liberté de la visite, la spontanéité et la curiosité ne peuvent guider la découverte par l’enfant d’œuvres qui sont pourtant susceptibles de lui plaire, de l’amuser, de l’émouvoir.

Oui, un enfant, même jeune, est capable de ressentir une émotion esthétique face à une œuvre d’art, qu’elle soit picturale, sculpturale, musicale… Même si cette émotion est fugace, l’enfant sent qu’il se passe quelque-chose d’inhabituel, qu’il traverse un instant magique qui devrait rester gravé – mon aînée, depuis quelques temps, me demande parfois de prendre une photo (lors d’un concert, face à une œuvre, aussi bien que de ses propres créations), pour « garder un souvenir ». Et au-delà de ces instants fugitifs, je vois bien que ma fille, d’elle-même, est davantage attirée par certaines œuvres, qu’elle va contempler spontanément, posant ensuite des questions sans que nous la sollicitions. Cette curiosité, début de goût artistique, ne peut pas être éveillée quand les œuvres sont enfermées dans des vitrines trop hautes, comme c’est encore trop souvent le cas. Le regard ne peut pas être attiré quand, pour voir, il faut lever la tête ou se tordre le cou.

Et c’est bien dommage car il y avait, au musée Rodin, matière à regarder, à contempler, à questionner. Notre fille s’est d’ailleurs arrêtée devant les œuvres monumentales qui ornent le jardin du musée, véritable atout – quoique des travaux encore en cours diminuaient un peu son agrément lors de notre visite (en janvier dernier). Elle a observé et compris la posture du Penseur, que l’on rencontre au milieu des haies, avant la visite, et qu’elle a reconnu dans les ébauches et versions plus petites présentées à l’intérieur. Elle nous a posé beaucoup de questions sur les Bourgeois de Calais. Peut-être aurions-nous dû d’ailleurs commencer notre visite par un tour complet du jardin : les œuvres, plus imposantes et donc plus accessibles, auraient offert une première approche plus facile, et nous aurions davantage pu exploiter le jeu des reconnaissances dans la suite de notre visite à l’intérieur (une salle entière du rez-de-chaussée est consacrée, par exemple, à la Porte de l’Enfer, que l’on découvre ensuite au milieu des parterres). Aller de l’ensemble monumental au détail ou à l’ébauche aurait sans doute été un meilleur itinéraire, quitte à revenir ensuite contempler les œuvres du jardin de sculpture.

Malgré tout, nous avons trouvé à l’intérieur matière à observation et à commentaire – pour autant que mes bras résistaient, ceux du Papa étant pris par la plus petite en porte-bébé. Nous avons commencé par un petit jeu : bronze ou marbre ? Histoire que notre grande constate la présence de deux matières bien différentes – parfois exploitées dans deux œuvres représentant un même sujet. Nous lui avons brièvement expliqué (dans la limite de nos connaissances) la différence entre le travail de ces deux matériaux – mais avons regretté l’absence de supports pédagogiques à ce sujet. Le site du musée affirme la présence de deux vidéos sur les techniques de la fonte à la cire perdue et de la taille du marbre, vidéos que je ne me souviens pas d’avoir vues, sans doute parce qu’elles n’étaient pas intégrées au parcours de la visite, et que nous évitons généralement les salles de projection isolées – à moins qu’elles n’aient été projetées sur les écrans disposés en hauteur dans la salle qui sert d’antichambre au musée, où les visiteurs s’agglutinent devant le vestiaire et dont ils ont hâte de sortir.

Puis nous avons pu faire observer à notre fille l’impression d’inachevé que dégagent certaines sculptures, dont les formes semblent sortir du bloc de marbre, mais aussi le mouvement imprimé aux corps, ou l’expressivité des certains visages. Elle s’est amusée à reproduire les traits de la Femme poisson, ce qui nous a valu quelques fous rires. Bref, nous avons tout de même passé un bon moment, malgré le piétinement parfois causé par l’exiguïté des salles, qui, combiné au mode de présentation en hauteur et en vitrines d’une partie des œuvres, a contribué à rendre la visite moins libre là où l’on aurait aimé qu’elle ait la fluidité d’une promenade.

À l’heure où la plupart des musées modernisent leur présentation pour rendre les œuvres accessibles à tous, et où certains commencent à se soucier du plus jeune public (je pense par exemple au musée de Cluny, qui, à mon sens, peut être comparé au musée Rodin pour son rayonnement et sa taille, et offre de multiples visites familiales, allant jusqu’à la formule « parents-bébés » destinées aux tout-petits), il est fort dommage que le musée Rodin n’ait pas profité des travaux de rénovation du bâtiment pour rénover également sa muséographie et pour élargir son ouverture aux publics les plus divers, des plus grands aux plus petits.


 
Musée Rodin – 77, rue de Varenne 75007 Paris.

Ouvert tous les jours sauf lundi, de 10h à 17h45.
Tarifs : 10 euros ; gratuit pour les moins de 18 ans.

Poussette non autorisée.
Café dans le jardin de sculptures, qui fait partie de la visite.

2 commentaires:

  1. Quelle réjouissante découverte que ton blog !!! Mes premiers émois artistiques, sensibles et muséographiques ont eu lieu au musée Rodin, à une époque où se rendre à Paris en voiture était encore facile et surtout agréable. Et comme tu le démontres par ce blog, c'est ma maman qui m'a initié ... Bébé (la fin des années 70, début 80) puis petite fille puis grande fille, le musée Rodin et son magnifique jardin reste un lieu très connotée pour moi. Y retourner bien plus tard fut un peu la douche froide. Les temps avaient changé et les souvenirs avaient embelli certainement certains aspects. "A mon époque d'enfant", pour tomber amoureux d'un tel lieu, pas besoin de circuit spécial enfant ni de haute technologie, ma mère me laissait caresser la pierre (chuuut), me transmettait ce qu'elle ressentait, me racontait Camille Claudel et pour le reste les surveillants des salles étaient souvent bienveillants et fins connaisseurs.
    Transmettre un regard ... Peut-être un des secrets.

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    1. Merci pour ta visite et pour tes commentaires : c'est en effet sympathique d'avoir un retour quand on écrit, et ça motivera peut-être mes autres lecteurs à commenter !

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