
Dans les faits, si un ascenseur permet bien au visiteur
handicapé de découvrir les salles situées à l’étage, si des visites tactiles
sont offertes pour les non ou mal voyants, les enfants arrivent bons derniers
dans la liste des publics variés auxquels le musée Rodin entend ouvrir les
bras. Certes, avec notre poussette, nous avons pu éviter la file d’attente et
entrer directement dans la billetterie (privilège offert sans le sourire, mais
bon). Mais une fois le billet acheté, nous avons appris que nous ne pourrions
pas conserver notre poussette dans le musée, pour ne pas abîmer les parquets
flambant neufs. Heureusement que nous nous étions équipés d’un
porte-bébé ! Ce qui n’était pas le cas d’un papa malchanceux : venu
avec ses quatre enfants, dont deux tout-petits, nous l’avons vu monter
l’escalier avec, sur chaque bras, un de ses petits jumeaux… Pour lui, pas de
poussette (avait-il été prévenu avant d’acheter son billet ? En tout cas,
nous ne l’avions pas été), mais pas non plus d’ascenseur : celui-ci, dont
je n’ai pas vu le signalement, doit être exclusivement réservé aux fauteuils
roulants – ce qui peut se comprendre dans un hôtel particulier ancien, où l’on
ne peut souvent installer qu’un petit ascenseur, à réserver aux cas de
nécessité. Je dois dire que la modernisation du bâtiment (et du musée plus
largement) ne nous a pas sauté aux yeux.
Si le bilan côté pratique était peu satisfaisant, côté
« pédagogique », ce n’était guère mieux. Pas de livret pour les
enfants – du moins ne nous en a-t-on pas proposé, et aucun n’est signalé par le
site internet. Globalement, on sent que les enfants ne sont pas vraiment les
bienvenus dans ce musée – sensation renforcée par les regards des autres
visiteurs, public effectivement peu familial, très 7e
arrondissement, et qui, au mieux, marche sur votre petit parce qu’il ne le voit
pas, au pire (à moins que ce ne soit l’inverse), fusille du regard cette
énormité vivante dans le lieu pour adultes qu’est un musée. Ajoutons que le
personnel du café qui se trouve dans le jardin, derrière le musée, et offre une
vue agréable sur quelques sculptures, se montre tout sauf accueillant envers
les familles : on nous a gentiment mais fermement mis dehors quand, une
fois nos consommations avalées, nous sommes restés quelques instants pour
permettre à notre aînée de finir de goûter – il n’est pas permis, nous
a-t-on dit, de manger ce qui n’est pas vendu en ces lieux, même un bête Prince
au chocolat. Vraiment, le musée Rodin pourrait porter cette devise à son
fronton : « Toi qui es un enfant, passe ton chemin ».
D’ailleurs, l’agenda « famille » du musée est
indigent : depuis les visites en famille (pour enfants de 6 à 12 ans
uniquement) qui étaient proposées pendant les vacances d’hiver, rien n’est
programmé, et ce jusqu’au mois d’août. Quant au multimédia, nous ne l’avons
même pas vu (à part – soyons honnête – un film projeté, très
classiquement, dans une salle à part, devant des chaises pleines d’adultes
sérieux et concentrés). Pourtant, notre fille, comme la plupart des enfants de
sa génération, est prompte à se planter devant un écran s’il se présente à ses
yeux – pour le pire comme pour le meilleur ! À ces absences s’en ajoute une dernière, qui est une
disparition : nous avions gardé le souvenir d’une vitrine qui présentait,
par des maquettes miniatures, les différentes étapes nécessaires pour mouler
une sculpture en bronze. Nous avons regretté de ne plus pouvoir exploiter ce
support avec notre fille.

Oui, un enfant, même jeune, est capable de ressentir une
émotion esthétique face à une œuvre d’art, qu’elle soit picturale, sculpturale,
musicale… Même si cette émotion est fugace, l’enfant sent qu’il se passe
quelque-chose d’inhabituel, qu’il traverse un instant magique qui devrait
rester gravé – mon aînée, depuis quelques temps, me demande parfois de prendre
une photo (lors d’un concert, face à une œuvre, aussi bien que de ses propres
créations), pour « garder un souvenir ». Et au-delà de ces instants
fugitifs, je vois bien que ma fille, d’elle-même, est davantage attirée par
certaines œuvres, qu’elle va contempler spontanément, posant ensuite des questions
sans que nous la sollicitions. Cette curiosité, début de goût artistique, ne
peut pas être éveillée quand les œuvres sont enfermées dans des vitrines trop
hautes, comme c’est encore trop souvent le cas. Le regard ne peut pas être
attiré quand, pour voir, il faut lever la tête ou se tordre le cou.
Et c’est bien dommage car il y avait, au musée Rodin,
matière à regarder, à contempler, à questionner. Notre fille s’est d’ailleurs
arrêtée devant les œuvres monumentales qui ornent le jardin du musée, véritable
atout – quoique des travaux encore en cours diminuaient un peu son agrément
lors de notre visite (en janvier dernier). Elle a observé et compris la posture
du Penseur, que l’on rencontre au
milieu des haies, avant la visite, et qu’elle a reconnu dans les ébauches et
versions plus petites présentées à l’intérieur. Elle nous a posé beaucoup de
questions sur les Bourgeois de Calais.
Peut-être aurions-nous dû d’ailleurs commencer notre visite par un tour complet
du jardin : les œuvres, plus
imposantes et donc plus accessibles, auraient offert une première approche plus
facile, et nous aurions davantage pu exploiter le jeu des reconnaissances dans
la suite de notre visite à l’intérieur (une salle entière du
rez-de-chaussée est consacrée, par exemple, à la Porte de l’Enfer, que l’on découvre ensuite au milieu des parterres).
Aller de l’ensemble monumental au détail ou à l’ébauche aurait sans doute été
un meilleur itinéraire, quitte à revenir ensuite contempler les œuvres du jardin de sculpture.
Malgré tout, nous avons trouvé à l’intérieur matière à
observation et à commentaire – pour autant que mes bras résistaient, ceux du
Papa étant pris par la plus petite en porte-bébé. Nous avons commencé par un
petit jeu : bronze ou marbre ? Histoire que notre grande constate la
présence de deux matières bien différentes – parfois exploitées dans deux
œuvres représentant un même sujet. Nous lui avons brièvement expliqué (dans la
limite de nos connaissances) la différence entre le travail de ces deux
matériaux – mais avons regretté l’absence de supports pédagogiques à ce sujet.
Le site du musée affirme la présence de deux vidéos sur les techniques de la
fonte à la cire perdue et de la taille du marbre, vidéos que je ne me souviens
pas d’avoir vues, sans doute parce qu’elles n’étaient pas intégrées au parcours
de la visite, et que nous évitons généralement les salles de projection isolées
– à moins qu’elles n’aient été projetées sur les écrans disposés en hauteur
dans la salle qui sert d’antichambre au musée, où les visiteurs s’agglutinent
devant le vestiaire et dont ils ont hâte de sortir.

À
l’heure où la plupart des musées modernisent leur présentation pour rendre les
œuvres accessibles à tous, et où certains commencent à se soucier du plus jeune
public (je pense par exemple au musée de Cluny, qui, à mon sens, peut être
comparé au musée Rodin pour son rayonnement et sa taille, et offre de multiples
visites familiales, allant jusqu’à la formule « parents-bébés »
destinées aux tout-petits), il est fort dommage que le musée Rodin n’ait pas
profité des travaux de rénovation du bâtiment pour rénover également sa
muséographie et pour élargir son ouverture aux publics les plus divers, des
plus grands aux plus petits.
Musée
Rodin – 77, rue de Varenne 75007 Paris.
Ouvert
tous les jours sauf lundi, de 10h à 17h45.
Tarifs : 10 euros ; gratuit pour les moins de 18
ans.
Poussette non autorisée.
Café dans le jardin de sculptures, qui fait partie de la
visite.
Quelle réjouissante découverte que ton blog !!! Mes premiers émois artistiques, sensibles et muséographiques ont eu lieu au musée Rodin, à une époque où se rendre à Paris en voiture était encore facile et surtout agréable. Et comme tu le démontres par ce blog, c'est ma maman qui m'a initié ... Bébé (la fin des années 70, début 80) puis petite fille puis grande fille, le musée Rodin et son magnifique jardin reste un lieu très connotée pour moi. Y retourner bien plus tard fut un peu la douche froide. Les temps avaient changé et les souvenirs avaient embelli certainement certains aspects. "A mon époque d'enfant", pour tomber amoureux d'un tel lieu, pas besoin de circuit spécial enfant ni de haute technologie, ma mère me laissait caresser la pierre (chuuut), me transmettait ce qu'elle ressentait, me racontait Camille Claudel et pour le reste les surveillants des salles étaient souvent bienveillants et fins connaisseurs.
RépondreSupprimerTransmettre un regard ... Peut-être un des secrets.
Merci pour ta visite et pour tes commentaires : c'est en effet sympathique d'avoir un retour quand on écrit, et ça motivera peut-être mes autres lecteurs à commenter !
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