
(Musée d'Orsay - "Au-delà des étoiles : le paysage mystique de Monet à Kandinsky" ; Musée du Louvre - "Valentin de Boulogne" et "Vermeer et les maîtres de la peinture de genre"... à moins que ce ne soit l'inverse)
Ceci n'est pas un récit de visite. Et je vais sortir un peu du cadre habituel de ce blog, puisque les réflexions qui vont suivre m'ont été inspirées plus récemment (même si ces idées ne sont pas nouvelles, car cela fait un moment que je les rumine) par des expositions visitées sans enfants (special thanks aux grands-parents baby-sitters qui nous permettent de travailler pendant les vacances scolaires mais aussi d'en profiter pour rattraper notre retard côté sorties culturelles). Les deux expositions phares du moment risquaient en effet d'attirer beaucoup de monde (la foule amenée au Louvre par le nom de Vermeer a fait l'objet de plusieurs articles de presse) et nous souhaitions les "tester" entre adultes pour voir s'il était envisageable de les tenter ensuite avec notre grande. J'avoue que je ne sais pas trop quoi répondre à cette question de départ (l'attente pour Vermeer, un mercredi de vacances vers 17h30, était raisonnable - nous avions préréservé le créneau sur internet - mais les salles restaient bien pleines ; la foule était supportable le jeudi après-midi au musée d'Orsay, mais l'exposition un peu "difficile", j'y reviendrai). Mais je suis ressortie de ces deux visites pleine d'interrogations sur ce que j'attends d'une exposition, et sur ce que les visiteurs viennent y trouver en général. Suis-je la seule à ressentir une impression de frustration, d'insatisfaction quand je sors des expositions à la mode ? Comme si, après avoir vu des toiles magnifiques, je n'avais pourtant pas trouvé ce que j'attendais - ou plutôt j'avais reçu plus que je n'en désirais. La confrontation avec une exposition moins médiatisée, celle de Valentin de Boulogne qui est jumelée avec celle de "Vermeer and co" au Louvre, m'a permis de comprendre qu'en termes de muséographie, je suis probablement une affreuse réactionnaire.
Je m'explique. L'exposition présentée actuellement au musée d'Orsay offre aux visiteurs un certain nombre de chefs d'œuvre - deux
Meules de Monet venues de musées américains, mais aussi les
Peupliers et quatre façades de la cathédrale de Rouen, des Van Gogh plus que superbes, des Gauguin, dont
La vision après le sermon, de lumineux Maurice Denis, un Klimt, des Odilon Redon ou encore un Chagall... Bref, des étoiles, on en a plein les yeux pendant cette visite, qui est aussi l'occasion de (re)découvrir des peintres moins connus : j'avais oublié que Maurice Denis offrait des couleurs si pures, et j'ai été touchée par la douceur qui se dégage du
Paysage aux arbres verts, ou par la lumière qui tombe sur la mer d'un bleu turquoise dans
La solitude du Christ, laissant dans l'ombre le Christ qui prie au premier plan ; l'exposition m'a aussi rappelé l'éblouissante rétrospective Odilon Redon que j'avais tant aimée il y a quelques années, et proposait également à la découverte des visiteurs des peintres scandinaves et canadiens probablement peu connus en France (pour ma part, j'ai surtout apprécié Tom Thomson et le
Paysage décoratif de Lawren Stewart Harris, mais il y en avait vraiment pour tous les goûts). Si j'ajoute un
Nocturne de James Abbott McNeill Whistler (ci-dessous), vous aurez compris que

je n'ai pas manqué de coups de cœur lors de ce passage au musée d'Orsay. Pourtant, quelque-chose m'a gênée tout au long de la visite : je n'ai cessé de lui chercher du sens et de la cohérence. J'en suis ressortie avec l'impression d'une exposition fourre-tout, dont les sections n'étaient pas toujours très liées entre elles (pourquoi cette micro-salle consacrée à l'anecdotique Dulac, au milieu d'un développement sur le thème de la nuit ?), et dont certaines salles semblaient franchement hors-sujet (les paysages dévastés par la guerre ne m'ont semblé emprunts d'aucun mysticisme)...
Mais peut-être le problème est-il là : c'est qu'il y avait un sujet. Ou plutôt, une thèse. Oui, les grandes expositions de ces dernières années me font l'effet d'un résumé de thèse illustré. C'est comme si des chercheurs en histoire de l'art jouaient à "Ma thèse en 180 tableaux" [note pour les non-initiés : ces dernières années fleurissent dans le monde universitaire les éditions d'un concours qui impose de présenter son sujet de thèse de manière sexy et claire en 180 secondes]. Comme s'ils s'emparaient d'un concept ou d'une idée pour en faire le fil d'une exposition. Ainsi de l'ironie romantique qu'on avait cru nécessaire pour donner un sens à
l'exposition Klee présentée à Beaubourg l'année dernière - un concept qui n'a rien à voir avec l'ironie dans son sens premier, et qui m'avait semblé bien anachronique (en tout cas, aucun panneau ne justifiait son utilisation pour un peintre situé bien après la période romantique). Ainsi du mysticisme dans les paysages de la présente exposition du musée d'Orsay : de l'aveu même des panneaux de présentation, Monet ne voyait aucune espèce de transcendance dans ses
Meules, mais puisque d'autres ont pu y voir une métaphore de la vie, ces toiles, mais aussi de simples
Nymphéas, trouvent leur place dans la première salle de l'exposition sous le titre "Contemplation". Mais l'exemple qui m'a peut-être le plus frappée de cette tendance à la démonstration fut l'exposition Magritte (à Beaubourg cet automne et cet hiver) : une magnifique exposition, vraiment, mais qui, en ce qui me concerne, fut parasitée par la présence de panneaux tentant de donner une cohérence aux salles et à l'ensemble de la visite, sur un thème qui aurait pu être "Magritte et la philosophie". Chaque panneau introducteur proposait un rapprochement entre un thème, un texte ou un auteur philosophiques et les œuvres présentées dans la salle. Si le mythe de la caverne semblait clairement illustré par certaines toiles, d'autres rapprochements semblaient gratuits, voire proprement acrobatiques. Surtout, rien ne venait les justifier : Magritte a-t-il écrit quelque-part qu'il avait été inspiré, ou au moins intéressé par tel texte de Pline ? A-t-on au moins une preuve qu'il possédait les ouvrages cités dans sa bibliothèque ? La chercheuse qui sommeille en moi se trouvait clairement en manque de notes en bas de page !
Sans ces justifications explicites, les choix thématiques, les cohérences affichées par les panneaux explicatifs, bref le fil rouge de ces expositions semblent sujets à caution. Le soupçon s'installe, et règne une forte impression d'artificialité. Etait-il à ce point inenvisageable d'annoncer une exposition "Klee" ou "Magritte" ? De même, pourquoi vouloir à tout prix confronter le
Douanier Rousseau avec d'autres peintres, contemporains, antérieurs ou postérieurs, qui ont traité des mêmes thèmes ? Son œuvre ne se suffit-elle pas à elle-même ? Et même si cela supposait une exposition moins volumineuse, ne pouvait-on pas s'en contenter ? Voir des tableaux que l'on n'est pas venu contempler et qui n'ont
a priori rien à voir avec le Douanier Rousseau, n'est-ce pas un peu agaçant ? Quand on piétine devant chaque œuvre, piétiner devant autre chose que le peintre-titre peut s'avérer un peu irritant. De même, l'exposition sur le mysticisme a-t-elle pour but de nous faire découvrir, sans le dire, des peintres scandinaves et canadiens inconnus ? Un objectif à moitié atteint, puisque les visiteurs, qui se massaient en grand nombre devant les toiles de grands maîtres, passaient bien rapidement devant la majorité de ces chefs d'œuvre méconnus.
Même déséquilibre visuellement et physiquement frappant au Louvre pour ce qui pourrait s'intituler "Ceci n'est pas une exposition Vermeer". Certes, une petite dizaine de Vermeer, de toute beauté, sont présentés au public qui s'attroupe pour les voir. Mais cette exposition ne serait rien sans les toiles de Gerard Dou, Gabriel Metsu, Caspar Netscher, Pieter de Hooch ou Gerard ter Borch, peintres contemporains de Vermeer, qui illustrent les mêmes thèmes que lui, avec parfois des poses, des personnages ou des motifs qui se retrouvent d'une œuvre à l'autre. L'exposition, organisée par séries de motifs (la toilette, la lettre, la pesée, le savant, etc.), montre de manière saisissante combien les peintres hollandais de cette époque travaillaient en réponses les uns aux autres, sous la forme, semble-t-il, du défi pictural. Intéressante aussi la confrontation de la Dentelière de Vermeer avec celles de ses contemporains, de la Laitière avec une Cuisinière hollandaise de Gérard Dou, et cette idée soufflée par les panneaux explicatifs : Vermeer peindrait par "soustraction", par épure de motifs de la peinture de genre. Une simplicité, une pureté servie par sa maîtrise de la lumière. Ce qui ne veut pas dire que les autres peintres sont dénués d'intérêt, loin de là. Il m'est même arrivé de ne donner à Vermeer que la seconde place face à l'un ou l'autre de ses collègues.
L'exposition est très pédagogique : pour chaque série, un panneau explicatif précise les développements du motif, les particularités de chaque peintre, indique qui a inspiré qui (dommage que parfois les œuvres soient ensuite présentées dans un ordre chronologique inverse). Quelques cartels développés viennent commenter certaines œuvres plus précisément. Bref, une vraie leçon d'histoire de l'art. Car les cartels, les panneaux, introductions, présentations, prolongements, etc. sont devenus légion dans les expos façon thèse. Des textes, imprimés sur les coffrages sombres qui recouvrent les murs et créent
l'atmosphère de rite initiatique de rigueur, sont souvent situés à l'entrée de chaque salle, et l'on voit les visiteurs s'agglutiner devant eux, empêchant parfois la circulation. Car chacun vient recueillir la bonne parole qui permet de comprendre et d'apprendre. Ou pas. Au musée d'Orsay, par exemple, ces fameux textes étaient beaucoup trop denses, pleins de termes non expliqués (je m'excuse, mais je crains de ne pas être la seule à ne pas connaître le courant divisionniste), les analyses de quatre ou cinq peintres ou œuvres se succédant sans transition en l'espace de dix lignes. De quoi prendre une indigestion de culture ! Mes filles étant absentes, je me suis fait un devoir de profiter de l'occasion que j'avais exceptionnellement de tout lire, mais j'avoue conserver mon scepticisme face à cette profusion d'informations (comme face aux analyses proposées à Orsay, à mon sens "tirées par les cheveux").
Car je me rends compte que ce qui me fait venir dans un musée ou une exposition, ce sont les œuvres, et non le savoir qui les entoure (paradoxal, pour une prof !). Sans doute n'allons-nous pas tous chercher la même chose dans les expositions. En sortant du musée d'Orsay, mon mari a conclu cette série de visites par cette formule : "je suis content, on s'est bien cultivés". C'est drôle, mais je n'aurais pas du tout dit la même chose. Je me réjouis plutôt d'avoir vu des œuvres magnifiques, tellement plus belles et lumineuses que dans les meilleures reproductions. Je suis heureuse aussi d'avoir (re)découvert des peintres que j'avais oubliés ou négligés, voire que je ne connaissais pas. Et c'est là que réside la surprise de ces deux jours : des trois expositions que nous avons vues, j'ai de loin préféré celle qui est consacrée à Valentin de Boulogne. Celle que je n'allai pas voir intentionnellement, mais seulement parce qu'elle se trouvait dans le même espace que ce qui n'est pas une exposition Vermeer. Celle que la grande majorité des visiteurs ne vont pas voir en sortant des salles hollandaises, à en croire le calme qui y régnait et la facilité que l'on avait à y circuler.
C'est bien dommage que cette exposition soit ainsi occultée par la médiatisation de sa voisine, car elle est magnifique. Ce peintre méconnu, pourtant si célèbre à son époque (c'était le rival de Nicolas Poussin, et Louis XIV, comme d'autres grands de son temps, possédait certaines de ses œuvres), aurait mérité de faire cavalier seul plutôt que d'être dans l'ombre de Vermeer, lui que l'ombre du Caravage, son maître, avait progressivement éclipsé. C'était un plaisir de découvrir ces grandes toiles, certaines reprenant très nettement des motifs traités par le Caravage - il est dommage d'ailleurs que les commissaires de l'exposition n'ait pas pensé à faire figurer en regard des œuvres des reproductions (photo ou format numérique, pourquoi pas ?) des toiles de Caravage "imitées" par Valentin - d'autres se détachant clairement du maître, notamment par leurs couleurs tranchées et lumineuses ; je pense notamment aux
Saint Marc et
Saint Mathieu, dont les visages et les vêtements se dégagent nettement sur des fonds unis neutres, dans un décor quasi-nu. Le traitement des tissus, mais aussi des corps, est saisissant : un
Saint Jean-Baptiste musculeux a notamment séduit mes chastes yeux. Enfin, les visages, leurs expressions sont l'objet d'un travail raffiné de Valentin de Boulogne : dans la
Cène, chaque apôtre a une expression différente, une personnalité ; le regard du Christ au
Couronnement d'épines est emprunt d'une mélancolie inhabituelle, et les visages des soldats qui l'entourent ne sont pas pour autant négligés. Même les musiciens et diseuses de bonne aventure, dans des toiles
a priori moins "originales", semblent rêver, le regard ailleurs.
Voilà pour moi une visite réussie : découvrir des œuvres inconnues, un peintre dont j'ignorais jusqu'au nom, apprécier son œuvre, repenser à d'autres que l'on a aimées, pouvoir observer tel détail, ressentir telle ou telle impression, être touchée par une toile, sans forcément trop savoir pourquoi, et ressortir en voulant à tout prix garder la trace de cette découverte. J'ai eu plusieurs fois cette semaine l'occasion de me souvenir de l'exposition Odilon Redon qui avait été pour moi une découverte tout aussi enthousiasmante. Comme pour Valentin de Boulogne, je garde en mémoire l'image d'une muséographie assez simple : les toiles du peintre, présentées par périodes ou par séries thématiques, sont servies par quelques simples explications qui ne parasitent pas la découverte personnelle mais donnent éventuellement des repères ou des clés pour situer et comprendre l'œuvre à qui le souhaite. Pas de thèse mal justifiée, et donc pas d'esprit critique mis en éveil, juste l'œil qui savoure les émotions suscitées par ce qui l'entoure, simplement un visiteur et des œuvres qu'il peut aimer ou ignorer, contempler longuement ou regarder furtivement, se laissant fasciner parfois, restant indifférent l'instant d'après, au gré de sa sensibilité. Bref, vous l'aurez compris, en matière d'art, je suis tout sauf une spécialiste, et c'est donc l'impression personnelle que je privilégie - ce qui fait de moi une très mauvaise visiteuse des expositions d'aujourd'hui, que je trouve souvent plus pédantes que sensibles. Je suis persuadée que c'est cette intuition esthétique qu'il faut avant tout faire naître chez les enfants, et qu'elle se passe de tout savoir, de toute lecture ; il n'y a pas d'âge pour trouver une œuvre belle (ou pas). Il n'y a pas d'âge pour aller au musée...
Et vous, pourquoi allez-vous dans les expositions ?
Musée d'Orsay : e
xposition "Au-delà des étoiles. Le paysage mystique", 14 mars - 25 juin 2017.
Musée du Louvre : e
xposition "Vermeer et les maîtres de la peinture de genre", du 22 Février 2017 au 22 Mai 2017 ; exposition "Valentin de Boulogne. Réinventer Caravage", du 22 Février 2017 au 22 Mai 2017.
Attention : réservation d'un créneau de visite obligatoire.