jeudi 17 août 2017

Tous visiteurs

(Mac Val - exposition "Tous des sangs mêlés" et présentation de la collection)

Il y a longtemps que je projette de vous parler du Mac Val, un musée qui me tient beaucoup à cœur, pour de multiples raisons : c'est le musée qui m'a appris à aimer l'art contemporain et ses musées, avec leurs larges espaces, ouverts vers l'extérieur ; c'est aussi un musée "de proximité", installé dans une ville de banlieue proche, de profil "populaire" (Vitry-sur-Seine), avec l'objectif de faire venir l'art à la rencontre des visiteurs ; c'est enfin un musée familial, par bien des aspects. Un musée où nous avons des souvenirs ensemble, et avec d'autres, des souvenirs qui ne se limitent pas aux œuvres : notre aînée y a fait ses premiers pas, et je me souviens des goûters pris dans le jardin de sculptures, agréable atout du musée ; elle y a aussi fait un plongeon dans la mare aux canards qui restera dans les annales familiales (une fois séchée et changée, elle avait tout même fait un tour de musée, et oublié sa frayeur face aux œuvres) ; aujourd'hui, elle salue le Chat géant du jardin comme une vieille connaissance, et notre cadette a fait coucou aux "canards" en balade sous la pluie lors de notre dernière visite. Nous y avons emmené un copain (et un tour de manège unique sur l'œuvre installée alors, un manège de fauteuils vintage), les grands-parents... Nous nous y sentons chez nous. Il faut dire que l'équipe du musée accueille chaleureusement les visiteurs, même très jeunes - nos filles reçoivent toujours un sourire et un petit mot gentil, et jamais aucune recommandation méfiante les incitant à bien se tenir. Pour certaines expositions, un petit livret est distribué pour les enfants (parfois un peu difficile pour les plus jeunes, il peut toutefois servir de support à la discussion avec les parents). Les œuvres, elles aussi, interpellent les plus jeunes par leur caractère ludique : je me souviendrai toujours de l'air amusé et du bras tendu de mon aînée, alors qu'elle n'avait pas un an, devant des mannequins accrochés la tête en bas, les cheveux pendants. C'était sans doute sa première réaction face à une œuvre d'art, et je dois avouer qu'elle a ému mon cœur de mère prompte à être fière de sa progéniture.

Vous comprendrez aisément pourquoi nous revenons souvent au Mac Val - si je ne vous ai pas parlé plus tôt, c'est par manque de temps (un musée poussant l'autre), et non d'intérêt pour ce lieu que l'on a chaque fois plaisir à redécouvrir. Car, outre les expositions temporaires qui sont accueillies dans un espace dédié, grande salle modulable qui change de visage à chaque exposition, l'espace d'exposition permanente est lui aussi soumis au changement, puisque les œuvres du fond y "tournent" régulièrement. Ainsi, lors de notre dernière visite, presque toutes les œuvres que nous avons découvertes nous étaient inconnues - et le Varini qui nous sert de repère dans la première salle (nous retrouvons tout de suite le point depuis lequel les stickers rouges forment des cercles) avait été temporairement retiré, Chen Zhen jugeant l'œuvre peu compatible avec la sienne, une table ronde géante et des chaises non assorties, installées dans cette même salle à l'occasion de l'exposition temporaire. Une œuvre qui constitue une bonne introduction à cette exposition intitulée "Tous des sangs mêlés", puisqu'elle mêle divers thèmes abordés par cette belle et riche exposition : le métissage, l'Histoire et la légende, la cohabitation et la différence et peut-être aussi l'errance, le voyage, la quête d'une terre promise.

Dans la grande salle attenante, organisée cette fois comme un espace lumineux et peu cloisonné (cette salle, nous l'avons vue tantôt dans l'obscurité, tantôt cloisonnée, envahie d'écrans ou d'installations lumineuses, et il nous semble que ce n'est jamais la même), les œuvres très variées nous parlent en effet de la question de l'identité nationale, de ses ambiguïtés, de ses mensonges (ceux attachés à la bataille de Fort Alamo, qui occultent la place des afro-américains et des américains d'origine mexicaine), de ses clichés : ainsi de Nina Esber, qui s'est photographiée 42 fois avec la même robe, seules sa coiffure et sa pose se modifiant, chaque cliché (mot ô combien approprié) étant assorti d'une question portant sur la nationalité de l'artiste ainsi "métamorphosée" ("Marocaine?", "Mexicaine?" etc.). Si la plupart des documentaires vidéos sont dans une langue étrangère (mais sous-titrés), et de ce fait peu accessibles aux enfants (ce qui n'est pas toujours à regretter, certains propos étant parfois assez durs), plusieurs œuvres peuvent interpeler les enfants et leur être aisément expliquées : la bascule occupée par deux hommes aux costumes multiculturels et dont les têtes sont des globes les amusera (attention à la tentation de monter dessus !) ; la Marianne en pièces détachées, dans sa caisse estampillée "fragile", a quelque-chose du puzzle, et il est intrigant de découvrir les lettres sous un apparent dessin de fil de fer barbelé. On pourra aussi tout simplement être ému par la beauté de certaines photographies, ou par cet arbre morcelé en plusieurs cadres. Même si certaines expositions temporaires nous auront laissé des souvenirs plus durables, "Tous des sangs mêlés" nous a plu à tous les quatre, et s'avère riche en découvertes.

Après l'exposition temporaire, commence le parcours dans les collections, actuellement intitulé "Sans réserve" (titre énigmatique et, je trouve, peu éclairé par les documents de visite, qui expliquent l'axe choisi pour cet accrochage : la propension des œuvres à raconter). Là aussi, la diversité des œuvres et des supports, mais aussi leur ludisme, séduisent d'autant plus qu'ils agissent dans un espace que l'on parcourt librement, ouvert vers l'extérieur du jardin, et 100% praticable en poussette (une rampe, très appréciée par les parents comme par les enfants, permet de monter au 1er étage, l'ascenseur étant idéal pour redescendre). Parmi nos coups de cœur ou de curiosité : Si les heures m'étaient comptées, film d'Angelika Markul créé à partir d'archives d'une expédition scientifique dans la grotte de cristaux de la mine de Naica (Mexique), et qui propulse le visiteur dans un monde fantasmagorique, inquiétant et fascinant, qui semble fait de glace et dont on se demande s'il est bien réel ; les scientifiques paraissent des cosmonautes échoués dans l'arctique ou enfermés dans une grotte lunaire ; Composition for Two Pianos and an Empty Concert Hall d'Oliver Beer (le chant de deux enfants fait vibrer les cordes de pianos installés dans une salle de concert quasi vide - car elles font vibrer aussi les cordes invisibles de l'unique spectateur, filmé en gros plan) ; les petites portes entrebâillées et lumineuses, pile à hauteur d'enfant, de Polder de Tatiana Trouvé ; ou encore le bateau fantastique intitulé Twice Upon a Time. Ce dernier appartient à un ensemble qui occupe le deuxième étage, où cohabitent plusieurs installations lumineuses : cet espace illustre à merveille le talent des équipes du Mac Val pour créer une cohérence avec les œuvres qu'ils exposent et donner au visiteur l'impression qu'il suit un fil - sentiment qui m'a toujours frappée, quel que soit l'accrochage.

Ce choix d'un fil directeur et cette capacité à composer des ensemble d'œuvres qui semblent se répondent contribuent à faire de la visite du Mac Val une promenade plus qu'une visite de musée : promenade libre, dans un espace ouvert, et qui se prolonge tout naturellement dans le jardin, où l'on peut s'arrêter pour lire, goûter, bronzer au milieu des sculptures et des bosquets (et écouter une œuvre sonore diffusée au pied d'un arbre à l'occasion de l'exposition "Tous des sangs mêlés"). Si nous n'avons pas eu cette chance lors de notre dernière visite, marquée par des trombes d'eau, nous y avons tout de même fait une rapide virée pour découvrir une nouvelle installation, Panorama, projection vidéo de Christian Boltanski dans une sorte de maison de brique rouge imaginée par deux architectes chiliens. S'asseoir là, écouter la pluie tomber tout en entendant tinter dans le vent les clochettes japonaises que Boltanski a accrochées dans le désert chilien, c'est un peu comme se trouver hors du temps quelques minutes ; même nos filles se sont laissées prendre par la poésie du lieu - avant de repartir en courant sous la pluie battante ! Une promenade au sec réussie !


Mac Val : ouvert tous les jours sauf le lundi, de 10h à 18h en semaine, de 12h à 19h les week-end et jours fériés (fermetures les 1er janvier, 1er mai, 15 août, 25 décembre).

Tarifs : 5 euros ; 2,5 euros pour les enseignants, les seniors et les groupes de 10 personnes et plus ; gratuit pour les moins de 26 ans et les étudiants, notamment. Entrée gratuite le premier dimanche de chaque mois.

Un audioguide est fourni gratuitement. Une visite gratuite est proposée tous les mercredis à 15h, tous les week-end à 16h. Nous n'avons testé ni l'un ni l'autre. D'autres visites, ateliers et événements sont organisés régulièrement autour des expositions.

"Tous des sangs mêlés" : exposition collective, du 22 avril au 3 septembre 2017.
"Sans réserve": 8e présentation des œuvres de la collection, à partir de juin 2017. Chaque "parcours" est accroché environ 18 mois.

jeudi 10 août 2017

Visites en solitaire

(Cité du vin - Bordeaux ;       Cité de l'Océan - Biarritz)

Cet été, c'est vers le sud-ouest que nous a porté le vent des vacances en famille, pour une nouvelle combinaison-compromis une semaine ville et culture - une semaine plage : après Nantes et Le Croisic, ce sont Bordeaux et Biarritz qui, ligne à grande vitesse aidant, ont reçu la visite de nos deux tornades et de leurs parents. L'occasion pour nous de découvrir un tout nouveau type de musée, visiblement à la mode dans la région - un musée qui n'en est presque plus un d'ailleurs, d'où peut-être le titre ronflant de "Cité" choisi dans les deux cas.

Mais quelle différence entre un musée et une cité ? Si je pense aux deux que nous avons visitées cet été, mais aussi aux Cités de la musique, des Sciences ou encore de l'Architecture à Paris, la cité serait un lieu consacré à un objet précis (et non à une région, une période ou un art), à un objet qui ne s'expose pas (à l'opposé des peintures et sculptures qui occupent les institutionnels musées) : un objet qui se visite ou s'écoute, s'apprend ou se goûte. Un objet qui se découvre et s'appréhende de multiples manières, et pas seulement par la vue. L'autre point commun de toutes ces cités est effectivement l'appel aux 5 sens (senteurs du vin et de ses arômes, toucher des pierres ou des percussions, musiques de l'océan ou des instruments, goût du verre de vin dégusté à la fin de la visite de la Cité bordelaise) et, plus globalement, à la manipulation (à son sommet à la Cité des sciences, cette tendance est aussi largement représentée dans les différents ateliers de la Cité de l'Architecture et du Patrimoine). Car le recours à l'interactivité est sans doute le principal dénominateur commun de ces cités, qui veulent ainsi se distinguer des musées "traditionnels", où le visiteur est encore, le plus souvent, passif face aux œuvres - même si de nombreux musées tentent de casser cette image, notamment à destination des enfants, l'interactivité n'y est le plus souvent que seconde, car systématiquement associée à une visite organisée ou à un support spécifique, et suppose donc une démarche de la part du visiteur.

Cette interactivité - qui, à Biarritz, transforme presque la Cité en un parcours d'activités - atteint des sommets aux Cités du vin et de l'océan, sous des formes très diverses cependant : à Bordeaux, chacun dispose d'un casque et scanne le code des animations (vidéos et vitrines animées) qu'il souhaite découvrir ; le parcours que l'on suit ainsi en autonomie est également jalonné de bornes interactives, de projections sous divers formats, et de quelques vitrines, sans oublier les cabinets de senteurs ; à Biarritz, point d'audioguide, mais une succession d'espaces interactifs sous des formes variées et dans des décors complets (squelette de baleine, bathyscaphe, station polaire etc.) ; les informations sont tantôt projetées sur le sol, où vous manipulez le menu avec vos pieds (dispositif un peu capricieux), tantôt fournies à l'occasion d'un jeu de memory, ou par des têtes parlantes accrochées au mur. Les écrans ont la part belle dans ces deux cités. Mais ce qui m'a le plus frappée, et gênée, ce n'est pas la profusion des images et des écrans, au fond assez prévisible dans ce type d'espace. C'est que le parcours de visite proposé, dans l'un et l'autre cas, impose une visite très individualiste - en somme, les Cités sont des musées de notre temps, en accord avec le solipsisme dominant. Mais cette modernité en fait des espaces peu propices au partage et donc aux visites en famille.

Ce constat doit cependant être nuancé en ce qui concerne, assez paradoxalement, la Cité du vin, qui semble pourtant isoler les visiteurs les uns des autres en les munissant chacun de leur casque. Tout d'abord parce que, comme dans beaucoup de musées à Bordeaux (j'y reviendrai dans un autre billet), une effort réel est mené vis-à-vis des enfants : une version "enfants" de l'audio-guide est proposée, avec des casques à peu près adaptés (alors que je me souviens m'être battue avec les casques de la Cité de la musique - là aussi au audioguide enfants est disponible - qui glissaient tout le temps). Passées les dix premières minutes, temps d'adaptation nécessaire pour que notre grande comprenne le fonctionnement de la machine et le parcours sans avoir envie d'aller trop vite d'un écran à l'autre, au risque de se (nous) perdre, elle a été véritablement intéressée par les petites présentations du parcours historique (que nous n'avons pas suivi de manière exhaustive, toutefois, car il s'avère un peu long, surtout pour notre cadette de deux ans et demi, pour qui l'audioguide était encore un peu trop compliqué). Captivée, elle écoutait très sérieusement, et voulait tout voir, tout entendre. Même si j'ai trouvé cette visite moins reposante que celle d'un musée traditionnel, surtout à la "mise en route", je dois reconnaître que cette Cité a beaucoup plu à notre aînée (et pas déplu à la cadette). Disons simplement qu'une visite partagée demande plus d'efforts dans ce type d'espace hautement interactif : efforts pour trouver un bon rythme de visite, pour coordonner ses pauses et temps d'écoute, efforts pour décoller les enfants des écrans lancés en boucle, efforts aussi pour se faufiler entre les autres visiteurs, chez qui la tendance à se coller aux "œuvres" est ici accentuée par le format réduit des écrans et vitrines animées. À cela s'ajoute les efforts pour comprendre comment fonctionnent certaines bornes interactives peu accessibles pour les enfants, et parfois un peu capricieuses. Car c'est là le risque de ces musées tout-technologiques : que ça ne marche pas ! C'était le cas de certaines bornes à Bordeaux comme à Biarritz, ce qui réduisait les possibilités ; j'ajoute qu'à la Cité du vin l'individualisation de la visite connaît une limite technique un peu agaçante : les bandes sons étant le plus souvent adossées à des vidéos ou animations diffusées en continu, lorsque vous scannez un code, le son démarre au point où se trouve la projection au moment de votre arrivée - cela peut être en plein milieu ou même dix secondes avant la fin...

Mis à part ces quelques couacs techniques, et la contrainte de l'audioguide, la Cité du vin est un espace attractif, et suffisamment riche pour que chacun y trouve son compte. Sa grande qualité est la diversité des activités proposées, l'audioguide n'épuisant pas toutes les possibilités, et de loin. Et c'est grâce à cette variété que le partage est possible : on s'arrête ensemble dans la salle où sont projetés les voyages imaginaires d'un Bacchus traversant le temps et les océans en protégeant les cargaisons de vin ; c'est ensemble aussi que l'on se laisse bercer par la musique qui accompagne une projection d'œuvres d'art que l'on contemple, au-dessus de nos têtes, dans un sofa rond qui forme comme un cocon sonore ; ensemble nous avons découvert les senteurs surprenantes qui peuvent s'associer à celles du vin. Le seul moment difficile à partager est celui de la dégustation finale, que nous avons un peu "expédiées", nos filles trouvant le temps long malgré la belle vue qu'offre la salle du dernier étage. C'est surtout avec nos verres de vin que nous avons pensé que cette visite aurait été plus simple sans enfants.

Cette pensée, au contraire, ne nous a pas quittés tout au long de notre (trop rapide) visite à la cité de l'Océan, à Biarritz (1). Bornes interactives au fonctionnement peu intuitif ou qui ne fonctionnent pas, joysticks trop difficiles à manier pour nos filles et, surtout, plusieurs activités de réalité virtuelle qui ne sont accessibles qu'à partir de 13 ans (ou du moins déconseillées entre 6 et 13 ans) : une plongée à 180° dans les eaux australiennes (tortues, dauphins et autres beautés de l'océan) et une séance de surf virtuel, rendues possibles par des lunettes qui vous immergent dans une autre réalité (et des planches mobiles pour la seconde). Nous n'avons testé que la première de ces deux activités, mais nous avons été obligés de le faire seuls, séparément, pendant que l'un de nous gardait les filles et les emmenait dans un autre espace. C'était un peu dommage de ne pas pouvoir partager cela, et presque tout le reste était trop difficile pour nos filles. Nous avons testé la plongée en bathyscaphe dans le gouffre de Cap Breton (un film en 3D), mais cela les a un peu effrayées. Quant à la démonstration-présentation du poulpe géant - virtuel lui aussi - je l'ai trouvée un peu décevante - le poulpe ne fait pas grand-chose, à part aller chercher ses proies à toute vitesse - et mais aussi un peu longue et lente pour des enfants. Même la salle consacrée aux enfants (car il y en a une, mais il faut bien la chercher !) est décevante : il s'agit plutôt d'un espace dédié aux animations ; le reste du temps, hormis quelques livres, deux puzzles, et trois planches de surf en mousse, les visiteurs y trouveront bien peu de choses pour compenser la frustration née dans les salles d'exposition. Le fait même que cette salle existe, et soit si isolée, illustre bien l'esprit dans lequel cette Cité a été conçue, sans penser aux visites en famille, mais plutôt aux ados, jeunes adultes et adultes qui vont faire du surf sur la plage de la Milady toute proche. La Cité biarrote semble née d'un délire de surfeurs et de scientifiques passionnés par l'océan, plutôt que d'un projet de vulgarisation ouvert à tous les publics. Bref, ce n'est vraiment pas un musée !


(1) Globalement, les "musées" biarrots au sens large nous ont un peu déçus : le musée Asiatica compte de très belles pièces, mais exposées dans un espace un peu petit et entassé, qui tient plus du cabinet de curiosité - c'est dommage, car il y a une vraie volonté d'accueillir tous les publics, des plus pointus (livres et brochures très complètes sont disposés sur des bureaux où l'on peut s'installer confortablement) aux plus jeunes (petites tables et chaises, coloriages et crayons sont disposés à chacun des deux étages, et complètent le livret distribué à l'entrée, sympathique mais mal organisé malheureusement, dans le même esprit "fouillis" que le musée malgré une grande volonté pédagogique affichée) ; j'ajoute qu'il s'avère un peu cher pour le temps que l'on y passe ; quant à l'aquarium, il est un peu étroit pour l'affluence familiale qu'il reçoit, même si les enfants sont toujours ébahis devant les tortues de mer ou les otaries.



Cité du Vin : ouvert tous les jours, de 9h30 à 19h30 en été (horaires plus restreints aux autres périodes de l'année, voir le site) ; billet parcours permanent + belvédère (avec dégustation) 20 euros (réductions étudiant, handicap etc. 16 euros) ; 9 euros pour les enfants de 6 à 17 ans, gratuit pour les moins de 6 ans ; pack famille (2 adultes, 2 à 4 enfants), 50 euros.
Cité de l'Océan : ouvert tous les jours à la haute saison (fermé le lundi en hiver ; plus 3 semaines de fermeture en janvier), 10h-22h en été (horaires plus restreints aux autres périodes de l'année, voir le site) ; plein tarif 11,90 euros, de 13 à 17 ans 8,90 euros (tarif qui concerne également les tarifs réduits adultes : étudiants etc.), de 6 à 12 ans 7,50 euros, gratuit pour les moins de 6 ans. Possibilité de billet combiné avec l'aquarium de Biarritz (19,90 euros pour les adultes, 15,50 euros pour les 13-17 ans et les tarifs réduits, 13,50 pour les 6-12 ans, 10,50 euros pour les 4-5 ans).

jeudi 11 mai 2017

À vau-l'eau

(Édouard Sautai, "Flood" - Galerie Fernand Léger, Ivry-sur-Seine)



Si vous êtes de passage à Ivry-sur-Seine, il est un coin caché où l'art contemporain s'expose sous toutes ses formes : installations, notamment sonores et vidéos, projections lumineuses, mais aussi maquettes, photographies d'installations in situ - avec une attention particulière à la place de l'art dans la ville.

Avec l'exposition "Flood", Édouard Sautai exploite diverses facettes d'un élément qu'il perçoit comme structurant pour l'espace urbain, mais avec lequel il joue, explorant sa capacité de destruction ou de perturbation. Car l'eau, c'est bien entendu la Seine, dont le trait bleu défile sur le fond noir d'une série de tableaux exposés en cascade, la Seine, filmée en travelling lors de la crue de 2016. La vidéo, projetée dans l'un des deux grands espaces du second sous-sol, montre le paysage urbain à la fois inchangé (Notre Dame, les piétons sur les ponts, les immeubles sur les quais) et pourtant transformé par la montée des eaux (passage oppressant sous les ponts devenus trop bas, arbres qui ont les pieds dans l'eau, volées de marches qui mènent tout droit au fleuve) ; une "modification" qui se traduit aussi dans la bande-son, que l'on peut écouter grâce à quelques casques, et qui met au premier plan le bruit des flots, qui se mêle aux sons de la ville. Ce dispositif permet de se plonger dans cette "remontée" du fleuve, voyage presque maritime dans un paysage pourtant familier.

Car l'eau a ce pouvoir de troubler les repères, et c'est aussi sur le mode ludique qu'Édouard Sautai l'explore pour mieux nous perdre. Les deux autres vidéos projetées au second sous-sol l'illustrent de deux manières bien différentes : dans Prendre un bol d'air, l'artiste, plongé tête en bas dans l'eau d'une piscine, semble verser le contenu d'une bouteille dans un bol qu'il porte ensuite à sa bouche ; puisque tout est renversé, quand il semble vider la bouteille, il la remplit, et ce sont les bulles d'air qui s'en échappent alors qui figurent le breuvage versé. Ce jeu, répété à l'envi, intrigue, car le cadrage ne permet pas d'emblée de comprendre la posture du personnage, qui semble couché au fond de la piscine ; seules les interruptions, qui interviennent chaque fois que l'artiste reprend son souffle, permettent de remettre les choses à leur place, et de comprendre ce renversement que l'élément liquide rend plus troublant. L'eau est aussi vecteur d'illusion dans Monumelt, où l'on voit des châteaux de sucre se dissoudre et s'effondrer sans tout à fait comprendre comment : ils sont en fait progressivement plongés dans un aquarium, où les cristaux de sucres, avant de se dissoudre, flottent ou s'envolent, donnant l'impression d'une neige fantasmagorique sur des paysages désertiques. Nos filles sont restées longtemps assises pour contempler les multiples constructions imaginaires et observer la façon dont l'eau les détruisait, certaines s'affaissant sur leurs bases, d'autres s'écroulant progressivement, d'autres semblant presque disparaître en un instant. Leur destruction avait quelque-chose de fascinant et me rappelait d'autres images, d'authentiques bâtiments abattus ou parfois comme avalés par la terre. Les ruines de sucre ne gardaient pas toujours leur aspect ludique, et prenaient parfois des allures fantomatiques qui faisaient écho au Paris modifié par la crue.

La perte de repères dans l'espace et l'illusion, l'eau les crée aussi grâce à ses pouvoirs réfléchissants, particulièrement bien exploités dans l'installation qui semble offrir une échappée au visiteur qui arrive au premier sous-sol de la galerie. Une échappée vertigineuse : pour ma part, j'ai eu l'impression que si j'avançais, j'allais tomber dans le vide - ou tomber au plafond, puisque ce sont ses caissons qui se reflètent dans l'eau répandue sur le fond noir brillant qui occupe tout l'espace de ce petit cabinet. Édouard Sautai joue des reflets et de la perspective avec Mazzocchio, référence à la peinture italienne de la Renaissance et à ses recherches sur la perspective : une sculpture en bois qui occupe l'angle d'une salle, face à des miroirs, représente un quart de cette figure géométrique, qui se trouve ainsi complétée par le reflet. Ces jeux d'eaux et de miroirs exploitent les divers recoins de la Galerie, dont l'espace se prête à toute installation et est propice à la déambulation (avec pour seul défaut sa disposition sur trois niveaux, sans ascenseur - mais on peut laisser sa poussette au rez-de-chaussée avant de partir pour l'espace d'exposition qui se situe au sous-sol) : hall d'entrée et couloir propices à l'exposition de petites œuvres ou à la présentation de catalogues ou flyers, cages d'escaliers souvent exploitées pour des projections vidéos (cette fois, le miroitement de l'eau semblait flotter au-dessus de nos têtes tandis que nous descendions vers les œuvres), puis, au sous-sol, des salles aux murs blancs, vastes, et très claires malgré l'absence de lumière naturelle. Un espace chaleureux malgré l'éclairage artificiel, peut-être grâce au comptoir d'accueil et au coin bibliothèque qui ouvrent le premier sous-sol. Un espace où il est agréable de déambuler, parce qu'il est ample et très peu fréquenté (la galerie était vide en ce samedi après-midi pourtant pluvieux) - quel dommage ! On imagine assez bien une classe accueillie dans ces salles, sans que les élèves soient entassés - la galerie organise d'ailleurs des animations avec les scolaires (par exemple, reproduire l'expérience des châteaux de sucre). Les enfants sont d'ailleurs très bien reçus à chacune de nos visites, et cette fois nous avons bénéficié d'explications données spontanément, et adressées à notre aînée. J'ajoute qu'aucune mise en garde ni réflexion ne lui a été faite quand elle s'est penchée au-dessus de l'eau miroitante, quoiqu'elle fût près de la toucher. Maîtresses de maternelle (et de primaire), n'hésitez pas, emmenez vos (nos) petits voir "Flood" - ou une prochaine exposition de cette galerie, vous y trouverez toujours ludisme et bon accueil.


Galerie Fernand Léger : 93, avenue Georges Gosnat 94200 Ivry-sur-Seine (à proximité du métro Mairie d'Ivry). Ouvert du mardi au samedi, de 14h à 19h (et/ou sur rendez-vous). Entrée libre - mais il faut sonner pour qu'on vienne vous ouvrir la porte : ne surtout pas penser que la galerie est fermée parce que vous n'arrivez pas à ouvrir la porte ! Exposition "Flood" : du 17 mars au 27 mai 2017.

lundi 1 mai 2017

Musée hanté

(Musée du quai Branly - Visite contée "Devins et sorciers")


Pour notre seconde visite en famille au musée du Quai Branly, où nous devions retrouver une amie et ses deux fils de 5 et 7 ans, nous avons opté pour une visite guidée avec une conteuse, sur le thème des devins, shamans et sorciers (visite estampillée "à partir de 6 ans", mais qui m'a semblé adaptée à ma fille et à son copain de 5 ans - la cadette faisait un tour en poussette avec son père pendant ce temps). Ce fut un beau moment, pour les enfants comme pour les parents - personnellement je me suis sentie happée par la voix de la conteuse et, comme l'a dit l'aîné de mon amie alors que nous sortions du musée, dix minutes - un quart d'heure après la fin de la visite, "on est encore dans les histoires". Car notre guide avait un certain talent pour conter, mais aussi pour créer une atmosphère.

Elle a commencé dès le point de rendez-vous au sous-sol, avant même que nous commencions à nous diriger vers le musée. Après une rapide présentation du Quai Branly sous forme de questions-réponses, elle nous a "préparés" au conte avec une petite gymnastique (se dégourdir les oreilles etc.), suivie d'une chanson accompagnée d'une gestuelle, petit rituel que nous avons répété à chaque transition de la visite. Puis c'est sur le mode du jeu et du mystère tout à la fois que nous sommes entrés dans le musée : la rivière de mots qui flotte sur le sol de la rampe qui mène aux collections permanentes est devenue pour nous la mer qui sépare le monde visible du monde invisible, et les enfants (et les parents mais... chut !) se sont bien pris au jeu de ne marcher que sur la rivière, suivant ses méandres en évitant de poser le pied dans le monde invisible. Dernière étape de la création de l'atmosphère, la présentation, comme en passant, d'un long morceau de bois exposé au sol et visible à travers une vitrine comme un long serpent endormi, qui pourrait bien se réveiller - et qui, comme les autres objets du musée, raconte des histoires.

La conteuse a en effet présenté d'emblée les objets du musée comme les sources de ses histoires : c'est eux qui lui les racontent, quand elle vient les écouter, la nuit, dans le musée. Pourtant, et c'est un des bémols que je mettrais à cette visite contée, seuls deux objets serviront de point de départ aux histoires de cette visite contée, qui relève bien plus du conte que de la visite : la première histoire, racontée "pour les parents" (un mythe de la création associé à une histoire d'enfantement divin, qui reprenait le thème de la traversée de la rivière évoqué par notre montée sur la rivière de mots), le fut à l'entrée des collections, sans autre support que la parole, certes très évocatrice, de la conteuse ; le musée fut ensuite parcouru à toute vitesse pour aller d'un point de conte à un autre, ce qui peut s'avérer frustrant pour les enfants qui ne l'ont jamais visité (prévoir un petit tour libre dans le musée, avant ou après les contes). Car les deux contes destinés aux enfants furent l'occasion de longues stations assises dans un recoin du musée (dans les deux cas, un espace relativement restreint, un peu à l'écart des grandes allées - peut-être à dessein). Deux stations qui nous ont fait voyagé par l'imagination, grâce à deux histoires magnifiquement contées (deux histoires de démons, et non de sorciers, d'ailleurs), mais qui ne nous ont rien appris des objets qui leur servaient de support (je ne suis même pas sûre qu'il y avait un lien entre le premier objet - un costume de démon utilisé dans les cortèges de diables et d'anges dans la Cordillère des Andes - et le premier conte qui, lui, venait du Cap Vert et du Brésil). Car le parti pris de notre guide était celui de l'imagination, et non de la pédagogie. Ce qui n'était pas désagréable, et a semblé plaire aux enfants. Mais qui, en tant qu'adulte, m'a laissée un peu sur ma faim : j'aurais aimé savoir d'où venait chaque histoire, précisément, et ce qu'était chaque objet - sans avoir à lire le panneau explicatif.

Finalement, je me suis demandé si les objets étaient vraiment nécessaires (puisqu'ils étaient fort peu exploités, presque comme les illustrations d'un album), et ce qui distinguait cette visite contée d'une séance de contes dans un tout autre espace (théâtre, médiathèque). C'est un peu dommage de ne pas exploiter davantage cette mine inépuisable qu'est le musée du quai Branly (même si ce n'est pas mon musée préféré, j'y reviendrai). Mais peut-être était-ce un choix personnel de la conteuse ? Je me souviens que lors d'une précédente visite, nous avions croisé (et un peu suivi) une visite contée au fonctionnement bien différent : la conteuse, tout aussi passionnante, changeait fréquemment de vitrine et d'objet au fil de son histoire (tout en restant dans une zone bien délimitée). Ce souvenir d'une visite que nous aurions aimé suivre du début à la fin (et pas en clandestins) est peut-être aussi responsable de ma légère déception. Car je dois reconnaître que notre conteuse était captivante (quoique parfois légèrement confuse ou imprécise) et que les enfants ont apprécié. Avoir traversé le musée avec elle leur a donné envie de l'explorer ensuite (ce qui n'est malheureusement pas si facile, mais ce sera l'objet d'un autre billet). Quand nous y avons fait un petit tour en visite libre, ils semblaient encore baigner dans l'atmosphère de mystère qu'elle avait créée (surtout le plus grand). Ses histoires de démons les ont impressionnés aussi, je crois, mais n'ont pas paru les effrayer durablement - elle a très bien exploité le plaisir que les enfants ont à se faire peur.

À noter enfin que l'accueil des enfants au musée du quai Branly est plus que satisfaisant : aucun regard négatif, mais des sourires, au contraire, même pour notre cadette mise en liberté ; les livrets de visite destinés aux enfants sont en libre accès dans des présentoirs juste à l'entrée (peut-être pas extrêmement visibles au premier regard), et des versions dans diverses langues sont proposées au guichet de l'accueil. De nombreuses activités sont proposées : visites guidées et contées des expositions permanentes et temporaires, ateliers pour divers tranches d'âge - se reporter à l'agenda sur le site du musée, pas très pratique pour qui cherche des détails sur l'offre destinée aux familles. Un manque d'information regrettable : après la visite contée, nous avons rempli un petit questionnaire de satisfaction qui nous interrogeait également sur ce que nous savions de l'offre destinée aux familles et aux enfants. Je n'avais aucune idée de certains programmes de fidélisation, qui ne sont pas clairement présentés sur le site. Et comme le questionnaire ne laissait pas la possibilité de donner son mail pour recevoir les informations éventuellement désirées, je reste toujours dans l'ignorance (1)... Tant de bonne volonté vis-à-vis des enfants et si peu de communication avec les parents (pour qui les visites sont, de plus, un peu chères, je trouve), c'est un peu du gâchis !


(1) Après avoir fouillé sur le site, voici ce que je découvre : vous pouvez demander à l'accueil un "Passeport d'aventurier" pour votre enfant, à faire tamponner à chaque visite ; au bout de 3 tampons, vous gagnez un cadeau d'aventurier (?) pour votre bambin, et le droit de bénéficier d'un tarif réduit sur le Pass Duo+ (accès illimité au musée pendant 1 an, pour le titulaire et l'invité de son choix, réductions sur les activités ; tarif plein 60 euros - tarif réduit non précisé). Pourquoi ne pas avoir inventé un pass "famille", accessible à un tarif plus intéressant dès la première visite ? J'ajoute qu'après deux visites avec nos filles, nous ne nous sommes jamais vus proposer ce "Passeport". Encore une fois, le défaut d'information annule la bonne volonté.


Musée du quai Branly - Jacques Chirac : ouvert tous les jours sauf le lundi, de 11h à 19h (mardi, mercredi, dimanche) ou 21h (jeudi, vendredi, samedi) ; ouvert les lundis pendant les vacances scolaires (toutes zones confondues ; vacances d'été exclues). Tarifs : 10 euros pour les collections permanentes ou l'exposition temporaire de la Galerie jardin (billet jumelé : 12 euros) ; tarif réduit 7 euros (9 pour le billet jumelé) ; gratuit pour les moins de 25 ans (moins de 18 pour les expositions temporaires).
Visites guidées ou contées, ateliers enfants ou familles : 8 euros (auxquels il faut ajouter, pour les visites, le prix d'entrée dans le musée, donc 18 euros) ; tarif réduit (moins de 26 ans, familles nombreuses, pass' éducation) 6 euros.

mercredi 26 avril 2017

Ciao Bambini !

(Milan, Pavie, Bergame)


Il est d'usage de dire que les Italiens adorent les enfants. Et ils sont effectivement prompts à s'attendrir devant une tête blonde : nous n'avons pu compter le nombre de caresses et tapottes qu'a reçues la tête de notre cadette installée (plus ou moins) sagement dans sa poussette lors de notre virée italienne de ce printemps (premier voyage à l'étranger à quatre, après une longue parenthèse de vacances françaises). L'aînée a elle aussi fait une belle récolte de sourires, surtout quand elle s'essayait à quelques "ciao" ou "grazie" (une passion pour les langues étrangères est née). Et nous avons eu lieu de nous féliciter de cet amour des bambini lors de notre passage à l'aéroport de Milan : pour la première fois, nous avons eu le droit de conserver notre poussette jusqu'au moment de monter dans l'avion (ce qui est vraiment appréciable quand bébé est tout petit, et, même quand il a grandi, pas désagréable pour poser sacs et manteaux) ; nous avons également profité de la file spéciale "familles" pour le passage des contrôles de sécurité (salutaire quand l'attente pour l'enregistrement a déjà bien énervé vos têtes folles), et lors de l'embarquement les familles étaient prioritaires, ce qui n'était pas le cas à Roissy avec la même compagnie. De petits détails à ne pas négliger dans le parcours à multiples étapes du voyage en avion en famille.

Alors, allez-vous me dire, les enfants sont-ils bien accueillis dans les musées italiens ? Eh bien, pas vraiment mieux qu'ailleurs, aussi inégalement qu'en France en tout cas, et moins bien que dans d'autres villes européennes que nous avons visitées - la palme revenant à Madrid, où l'accueil était plus que chaleureux pour notre aînée alors âgée de deux ans, sans oublier une mention spéciale à Stockholm avec ses parcs à poussette (même si nous n'y avons pas toujours trouvé le tout-pour-les-familles tant annoncé - c'est d'ailleurs dans les gares de Madrid que nous avons trouvé des tables à langer, et non en Suède, étrangement).

Mais ce qui m'a le plus frappé pendant cette courte semaine en Italie, c'est que la présence des enfants y étaient bien mieux vécue dans les églises que dans les musées. C'était presque comme si cette présence était évidente, normale, comme s'il n'y avait rien à remarquer d'inhabituel dans le fait que des enfants entrent dans des chapelles, cathédrales et autres basiliques. Les gens qui les croisaient adressaient à nos filles les mêmes signes amicaux que dans la rue ! Voilà une situation bien paradoxale : dans ces lieux consacrés, où un silence "religieux" est de mise, et manifeste le respect du visiteur pour le culte qui s'y tient, les enfants ne semblaient jamais considérés comme une menace contre ce silence, comme une nuisance sonore ; et c'est dans les musées, lieux normalement arpentés par les touristes (parfois groupés en troupes plus ou moins discrètes), que nous avons croisé des regards désapprobateurs, subi des "chut" désobligeants (et injustifiés) et senti dans notre dos la surveillance des gardes et l'attente de notre départ. Pourtant, nos filles ne se tenaient pas plus mal dans les musées que dans les églises : comme ce ne sont pas des statues de cire, elles parlent, et la petite, qui a tout juste deux ans, ne maîtrise pas toujours le volume de sa voix ; et elle a eu autant de crises d'indépendance dans les églises que dans les salles de musées. Pourtant, là, au milieu des autres touristes mais aussi des paroissiens venus prier en cette période particulière qu'est la semaine sainte, nul regard ne m'a donné le sentiment que j'étais une criminelle parce que j'avais osé entrer avec des enfants.

Je ne me risquerai pas à expliquer cette tolérance observée dans les églises italiennes - indifférence des touristes face à l'atmosphère sacrée des lieux de cultes, bienveillance des croyants qui perçoivent les églises comme des lieux de vie et non comme des mausolées figés dans un silence éternel, je ne sais. Ce qui me frappe, c'est le sentiment qu'aujourd'hui, ce sont les musées qui sont perçus par leurs visiteurs comme par leurs personnels comme des lieux saints, quasi mystiques, où le silence, voire le recueillement, est de rigueur. Combien de fois avons-nous pensé, mon mari et moi, dans divers musées, "mais nous ne sommes pas dans une église !", quand les regards ou réactions des autres visiteurs se faisaient clairement hostiles (et de façon injustifiée : je n'ai pas la prétention de croire que mes filles sont des anges, mais elles savent globalement "se tenir" dans les musées, elles ont appris les règles toutes petites -  ne pas toucher, ne pas courir, ne pas crier - et même si la plus jeune ne les maîtrise pas encore parfaitement, la plupart du temps elles les respectent) ! Il semble que la dimension sacrée qui autrefois s'attachait aux lieux de culte se soient transférée dans les lieux de culture (après tout, l'étymologie est la même !), pensés comme les lieux où se célèbre un savoir partagé par une communauté. Récemment encore, je lisais dans les commentaires qu'avait déchaînés sur Facebook un reportage sur la visite plus que houleuse d'une classe de banlieue au musée d'Orsay (1) les mots suivants, qui m'ont frappée : "un musée c'est comme une église c'est solennel (...), on y va comme à une prière". Inutile de vous dire que je ne suis pas d'accord (je n'étais pas la seule, dans le fil des commentaires, d'ailleurs). Pour moi, un musée est un lieu de promenade, de découverte, un lieu de vie, bref, tout sauf un lieu de silence recueilli. Tout sauf un lieu de culte, aurais-je dit. Mais je comprends aujourd'hui que la définition même du lieu de culte qui sous-tend cette comparaison entre musée et église n'est pas si évidente.

Pendant notre séjour en Italie, nous n'avons pas croisé le moindre froncement de sourcil, dans aucun lieu de culte - que ce soit dans le Duomo ultra-touristique de Milan, dans des lieux plus "intimes" comme l'église San Maurizio (absolument magnifique), ou même dans des lieux a priori dévolus au silence. Le moine qui nous a fait visiter l'église et les cloîtres de la fascinante Chartreuse de Pavie n'a pas eu un geste ni un regard de gêne, de désapprobation ou même de surprise en nous voyant arriver avec nos deux filles. Ici comme là, des regards bienveillants les accueillaient. Au pire, elles passaient inaperçues. Faut-il en conclure que les églises ne sont pas conçues par ceux qui les "habitent" et les "animent" comme des lieux solennels, confits dans un silence empesé (et ce malgré les avertissements et appels au silence qui accueillent invariablement les visiteurs) ? Notre aînée l'a peut-être compris plus tôt que nous, elle qui ne se sent pas plus intimidée que cela dans les églises, et vient y admirer les vitraux, peintures, sculptures avec la même curiosité que dans un musée ; elle qui, à deux ans, était dépitée de ne pas pouvoir entre dans les églises lors de notre premier soir à Venise... Il faut dire qu'elle a un engouement assez mystérieux pour les églises (nous ne sommes pourtant pas pratiquants !), où elle tient toujours à "prier", c'est-à-dire à allumer un cierge (ce qui nous vaut des négociations dignes d'un magasin de jouets !). Quant à la cadette, c'est aussi bien dans les églises que dans les musées lombards qu'elle a appris à dire "c'est beau!".


Il faut dire que pour nous qui ne sommes pas croyants les églises sont avant tout des lieux touristiques, des lieux de contemplation d'œuvres d'art, tant architecturales que picturales. Et notre séjour à Milan ne nous a pas déçus sur ce plan : si, comme tous les touristes (en flots impressionnants, il est conseillé d'éviter les heures de pointe et d'acheter son billet dès l'ouverture), nous avons admiré les beautés du Duomo de Milan (de la façade, aux couleurs changeantes selon les heures de la journée, à l'intérieur, riche en beautés de toutes sortes, et sans oublier surtout la montée sur les toits, promenade vertigineuse dans une "forêt de symboles"), nous n'avons pas regretté nos explorations dans des quartiers moins fréquentés mais tout aussi riches en chefs d'œuvre religieux. Éblouissement à San Maurizio, couvert de fresques du sol au plafond, arc-en-ciel de couleurs à Sant'Eustorgio (pas très loin d'un petit parc sympathique où les filles ont pu profiter des jeux), dentelles de pierre de la basilique Sant'Ambrogio. Bonne pioche aussi que cette journée à Pavie, pour la Chartreuse bien sûr (à voir absolument, même la petite marche en plein champs depuis la gare y a son charme), mais aussi pour les églises de Pavie elle-même : la ville manque cruellement de charme, et c'est dommage, car ses églises sublimes (San Pietro in Ciel d'Oro, avec sa mosaïque et l'impressionnant tombeau d'Augustin, que l'on nous a invités à venir voir de plus près avec nos filles ; le Duomo avec son architecture majestueuse ; San Teodoro et ses fresques, la basilique San Michele Maggiore et ses plafonds, aucune ne nous a déçus) valent vraiment le détour et méritaient un plus bel écrin. L'unité était davantage au rendez-vous à Bergame, dont la ville haute, un peu figée dans le temps, offre aux touristes bien plus nombreux l'irrégularité de ses pavés en même temps que les beautés de ses monuments (chapelle Colleoni à couper le souffle, basilique San Maria Maggiore pour les amoureux du baroque (sur)chargés...) et surtout le panorama imprenable depuis le quartier San Virgilio après un second funiculaire. Nature et architecture nous ont offert à Bergame comme à Pavie de jolies parenthèses dans le décor très urbain de Milan, qui nous dépaysait assez peu.

Belle architecture et parenthèse verte aussi, ainsi qu'une atmosphère festive, étaient au rendez-vous dans des lieux a priori non touristiques mais a voir absolument : les universités de Pavie et de Milan. En plus de la semaine sainte, il semble que nous avions aussi visé la semaine de remise de diplômes : nous avons croisé de nombreux jeunes gens coiffés de couronnes de lauriers, symbolisant l'obtention du diplôme de Laurea (l'équivalent du M2 ici), et avons même déjeuné près d'une famille fêtant une jeune femme aux cris de "dottore". Les rues de Pavie et de certains quartiers de Milan étaient parsemées de confettis et, le jour où nous sommes passés dans le quartier de l'Università Cattolica, des flots d'étudiants en sortaient, et nombre d'entre eux fêtaient au champagne avec leurs copains leur couronne toute fraîche. L'Università Cattolica, mais surtout l'Università Statale sise dans l'ancien Hôpital de Milan (magnifique bâtiment du xve siècle) offrent un cadre idyllique aux étudiants : cloîtres arborés, antiques bâtisses, quelque-chose comme la cour aux Ernest (rue d'Ulm) en mieux, avec le charme de l'ancien et le soleil de l'Italie. J'ajoute que la découverte de l'Antico Ospedale Maggiore fut une bonne surprise, car y étaient exposés quelques "restes" de la semaine du design récemment achevée : robes géantes habillant les colonnes, installation sonore et visuelle interactive, sculptures géantes et constructions provisoires, mais aussi des fauteuils, faisaient de la cour principale un lieu accueillant et vivant, que l'on pouvait appréhender de haut grâce à une plateforme située au sommet d'un grand escalier de bois. Modernité et charme du passé cohabitaient avec brio, de même que l'installation de miroirs qui habillait la cour dite de la Pharmacie mettait en valeur la construction tout en lui donnant une profondeur inattendue.


Une autre partie de cette exposition de Design, essentiellement consacrée au convivio, se trouvait installée dans le petit jardin botanique qui se trouve derrière la Pinacoteca de Brera, et par lequel nous avons été bien inspiré de faire un petit détour. Installations et sculptures à base de verres se fondaient dans le vert des plantations et offraient une pause bienvenue après les riches nourritures artistiques de la Pinacothèque.

Car - il fallait bien que j'y vienne - les muséophiles sont à la fête à Milan. Encore avons-nous fait une sélection de ce que les guides présentaient comme les incontournables, en tenant compte de nos goûts. Nous n'avons visité "que" cinq musées pendant cette semaine en Lombardie, tous les cinq à Milan. Nous avons négligé des musées très spécialisés (Scala, Novecento, archéologie) et/ou scientifiques (musée d'Histoire naturelle, musée des Sciences et Techniques - qui pourrait probablement plaire à des enfants un peu plus grands que les nôtres, et qui aurait pris la 6e place si nous avions eu plus de temps) pour nous concentrer sur les musées artistiques, et notamment de peinture. Deux catégories de musées cohabitent à Milan : les grandes institutions, et les maisons particulières de collectionneurs. Et ce sont deux ambiances bien différentes qui y règnent : à des degrés divers, les musées à proprement parler manquent clairement de chaleur dans leur accueil qui est au mieux indifférent, au pire particulièrement odieux. Ce fut le cas à la Pinacothèque Ambrosienne, dont nous sommes ressortis furieux et déçus : non seulement on nous a expliqué, sur un ton fort peu aimable, que nous ne pouvions circuler avec la poussette qu'à un seul étage (alors qu'un ascenseur les dessert visiblement tous) - alors que la seule personne aimable du musée, au guichet, n'avait pas été aussi catégorique... - mais nous avons été suivis d'un regard soupçonneux pendant toute la visite (et je passe sur les aboiements quand j'ai voulu prendre une photo, ce que j'ignorais être interdit...) ; cela nous a poussé à reléguer la petite "en quarantaine" sur les terrasses, pour ensuite traverser les salles très vite avec elle, histoire de limiter au maximum ce qui était clairement vécu comme une nuisance (guides et visiteurs au diapason, comme si les premiers donnaient le ton). Etrangement, c'est justement quand elle est mal accueillie, et donc quand nous sommes crispés et sur le qui-vive dès le début de la visite, que notre cadette a de folles envies de traversées fantastiques ou des éclats de voix et de rires des plus sonores. Pour ne rien arranger, entre les premières salles et les toutes dernières, où sont enfin révélés les chefs d'œuvre du musée qu'on désespérait de trouver, cette Pinacothèque offre beaucoup de "croutes", toiles sans intérêt exposées dans un espace labyrinthique et ponctué d'escaliers. Rien ne venait donc rattraper l'atmosphère hostile de ce musée, qui ne vaut pas les 15 euros que l'on débourse, et que je ne vous recommande absolument pas, avec ou sans enfant.


Si vous allez à Milan, vous aurez bien meilleur compte de passer du temps dans les salles étourdissantes de chefs d'œuvre de la Pinacoteca de Brera, et dans les multiples musées du Castello Sforzesco. La première vous offrira un incomparable florilège de peinture italienne, de Raphaël à Caravage, en passant par Mantegna (saisissant Christ mort), Bellini, Piero della Francesca, ou encore de belles toiles de Véronèse, grands formats auxquels une composition binaire offre relief et profondeur... Tandis que la petite admirait depuis sa poussette, la grande cherchait à reconnaître les tableaux reproduits en miniature sur le plan du musée (maigre support de visite pour une enfant). Puis les vastes salles de bâtiment sans charme mais pratique et lumineux ont offert leur sol à nos dessinatrices en herbe : les cahiers de coloriages et les crayons furent les bienvenus pour les faire tenir jusqu'au bout de cette longue visite. Nous avons regretté que les salles intitulées "Museo visibile", et notamment le laboratoire de restauration, n'aient pas été davantage exploitées et animées : la grande cage vitrée du laboratoire laissait voir les œuvres en cours de restauration (méthode qui avait été aussi choisie à l'Ambrosienne pour montrer "quand même" l'un des clous du musée, le dessin préparatoire de L'École d'Athènes, mais avec moins de bonheur car l'œuvre, couchée sur une grande table, n'est pas vraiment visible, ce qui n'est pas vraiment compensé par la vidéo et l'écran interactif voisins), mais à part quelques papiers explicatifs peu visibles, rien ne permettait de comprendre ce qui pouvait bien se passer dans ce laboratoire (nous étions un vendredi de Pâques...). Il est toujours dommage que ces grandes institutions culturelles (comme, chez nous, le Louvre) n'estiment pas nécessaire de faire un peu de pédagogie et d'interactivité à destination des enfants comme des autres publics.

La Pinacothèque offre donc une collection très cohérente malgré sa richesse (mises à part quelques œuvres modernes issues d'une collection particulière). Si vous recherchez plutôt la variété, c'est au château des Sforza et à ses multiples musées que vous devrez consacrer une demi-journée, qui sera d'ailleurs agréablement prolongée par l'exploration de l'immense Parco Sempione (les jeux pour enfants sont à l'autre bout du parc, mais valent la balade). Selon vos goûts et vos envies, vous choisirez le musée de la Préhistoire et le musée Égyptien, le musée des instruments de musique (parcouru rapidement, il nous a semblé un peu défraîchi), ou encore la collection de Mobilier (nous avons aperçu quelques pièces, dans une nouvelle installation qui nous a semblé attrayante et dynamique) et le Musée des Arts décoratifs. Pour notre part, nous avons surtout apprécié le Musée d'Art ancien, vraiment magnifique : sculptures, mais aussi tapisseries s'admirent dans des salles du château qui ont conservé leurs beaux plafonds, voûtes peintes et armoriées. Le décor ajoute du charme à cette collection d'une très belle qualité. Quant à la Pinacothèque, malgré quelques belles toiles, elle fait pâle figure en comparaison, et nous l'avons parcouru rapidement tout en jouant à "cherche et trouve" avec les œuvres reproduites sur le plan ; un parcours rapide qui nous a permis de constater, comme d'autres fois, qu'il ne faut pas se fier à l'enfant qui ne regarde pas - quand nous avons traversé quelques salles un peu vite, j'ai tout de même dit à mon aînée "s'il y un tableau qui te plaît, tu me dis", et elle m'a alors menée en arrière, voir un tableau représentant Vulcain, pourtant pas des plus visibles. Mine de rien, elle observait et sélectionnait.

Ce même regard efficace et discret l'a amenée à jouer au "tableau que je préfère" lors de notre visite du musée Poldi Pezzoli, l'un des deux musées-maisons que nous avons visités, et clairement le plus beau des deux à nos yeux (il y avait souvent deux ou trois "tableaux préférés" désignés par salle !). Le musée Bagatti Valsecchi nous avait pourtant séduit par son atmosphère hors du temps : les deux frères Bagatti ont réuni au xixe siècle une belle collection d'art lombard du xvie siècle, mais ils l'ont surtout installée dans un décor "d'époque", un palais néo-Renaissance tout-confort (gigantesque salle de bain, électricité, etc.) mais meublé et décoré d'objets, de toiles et même de plafonds datant de la Renaissance. Il devait être étrange de vivre dans cette maison-musée... mais il n'était pas désagréable de l'arpenter. Même décalage temporel au musée Poldi Pezzoli, palais d'un autre collectionneur du xixe siècle fou d'art de la Renaissance. Là aussi, meubles anciens côtoient les toiles de maître dans le décor néo-gothique qui fut celui de la vie privée du propriétaire. Certes, le musée étant plus grand, certaines salles frappent moins par leur atmosphère, les meubles étant sensiblement moins nombreux que chez les frères Bagatti, et l'on pourrait parfois se croire dans un musée "traditionnel". Mais la collection de peinture (Botticelli, Pollaiolo et bien d'autres beautés), comme d'objets précieux (horloges de toutes tailles et de toutes formes), est proprement fascinante. Nous nous sommes régalés. Pourtant, la visite avait très mal commencé : alors que notre cadette venait tout juste de commencer sa sieste, on nous annonce au guichet qu'il est impossible de visiter le musée avec une poussette (interdiction comme souvent abusive). Annonce faite en français, sur un ton fort aimable et même vraiment navré, mais ferme. Nous voilà donc obligés de faire "deux équipes" : je monte visiter avec mon aînée pendant que mon mari reste avec la belle endormie au rez-de-chaussée, où se trouvent des salles visibles gratuitement - une impressionnante collection d'armes, mais aussi des salles où étaient exposés les travaux réalisés par des élèves d'une école milanaise de design autour du bois ; une petite vidéo montrait très rapidement la genèse de leur travail et, quand ce fut notre tour de rester en bas pendant que mon mari visitaient le musée, mon aînée bénéficia d'une visite guidée gratuite de l'exposition par le "garde" posté dans la salle de projection. Ce charmant guide nous expliqua en italien la symbolique ou la fonction des objets, et nous offrit même quelques démonstrations - tours de toupies, battements d'éventail qui semblaient n'être donnés que pour nous, avec un sourire complice (certains objets étaient fragiles, je ne suis pas bien sûre que quiconque avait le droit de les manipuler!), pour faire plaisir à notre fille. Si j'ajoute qu'à notre retour à l'accueil notre aînée s'est vu offrir une belle boîte de peinture, vous comprendrez que nous n'en avons pas trop voulu au musée Poldi Pezzoli de ne pas être accessible aux poussettes, car c'est bien là que l'accueil fut le plus chaleureux pour nos enfants. Beauté des toiles de la Renaissance, modernité du design contemporain et sourires pour les bambini, cette toute dernière visite avant le départ sonnait comme un beau résumé de notre séjour milanais.



(1) Voir par exemple un article du Parisien sur cette "affaire", et celui de l'Humanité, un peu plus partial (du moins en apparence) - j'y reviendrai peut-être dans une autre note.



Musée Poldi Pezzoli : ouvert tous les jours sauf le mardi, de 10h à 18h ; entrée 10 euros, 4,50 euros pour les 11-18 ans et les étudiants, gratuit jusqu'à 10 ans. No poussette.

Musée Bagatti Valsecchi : ouvert tous les jours sauf le lundi, de 13h à 17h45 (nombreux jours de fermeture dans l'année) ; entrée 9 euros (6 euros le jeudi et pour les étudiants), 2 euros pour les 6-18 ans, gratuit jusqu'à 5 ans. Le site indique qu'un audioguide spécifique (en italien) et des panneaux explicatifs sont dédiés aux enfants.

Pinacothèque de Brera : ouvert tous les jours sauf le lundi de 8h30 à 19h15 (22h15 le jeudi) ; entrée 10 euros (2 euros le jeudi à partir de 18h), gratuite pour les moins de 18 ans et les premiers dimanche du mois ; tarif réduit (7 euros) pour les étudiants.

Pinacothèque Ambrosienne (site catastrophique, très difficile à parcourir, et qui témoigne du caractère poussiéreux de la Pinacothèque, confirmé par l'organisation de son accueil des publics) : ouvert tous les jours sauf lundi, de 9h à 18h ; entrée 15 euros (les tarifs ne sont pas indiqués sur le site, mais nos filles n'ont pas payé).

Musées du château des Sforza : ouverts tous les jours sauf le lundi, de 9h à 17h30 ; entrée 5 euros, gratuit pour les moins de 18 ans.

Attention, en plus des jours fériés habituels, beaucoup de musées sont fermés pour Pâques!

samedi 8 avril 2017

Ceci n'est pas une exposition

(Musée d'Orsay - "Au-delà des étoiles : le paysage mystique de Monet à Kandinsky" ; Musée du Louvre - "Valentin de Boulogne" et "Vermeer et les maîtres de la peinture de genre"... à moins que ce ne soit l'inverse)

Ceci n'est pas un récit de visite. Et je vais sortir un peu du cadre habituel de ce blog, puisque les réflexions qui vont suivre m'ont été inspirées plus récemment (même si ces idées ne sont pas nouvelles, car cela fait un moment que je les rumine) par des expositions visitées sans enfants (special thanks aux grands-parents baby-sitters qui nous permettent de travailler pendant les vacances scolaires mais aussi d'en profiter pour rattraper notre retard côté sorties culturelles). Les deux expositions phares du moment risquaient en effet d'attirer beaucoup de monde (la foule amenée au Louvre par le nom de Vermeer a fait l'objet de plusieurs articles de presse) et nous souhaitions les "tester" entre adultes pour voir s'il était envisageable de les tenter ensuite avec notre grande. J'avoue que je ne sais pas trop quoi répondre à cette question de départ (l'attente pour Vermeer, un mercredi de vacances vers 17h30, était raisonnable - nous avions préréservé le créneau sur internet - mais les salles restaient bien pleines ; la foule était supportable le jeudi après-midi au musée d'Orsay, mais l'exposition un peu "difficile", j'y reviendrai). Mais je suis ressortie de ces deux visites pleine d'interrogations sur ce que j'attends d'une exposition, et sur ce que les visiteurs viennent y trouver en général. Suis-je la seule à ressentir une impression de frustration, d'insatisfaction quand je sors des expositions à la mode ? Comme si, après avoir vu des toiles magnifiques, je n'avais pourtant pas trouvé ce que j'attendais - ou plutôt j'avais reçu plus que je n'en désirais. La confrontation avec une exposition moins médiatisée, celle de Valentin de Boulogne qui est jumelée avec celle de "Vermeer and co" au Louvre, m'a permis de comprendre qu'en termes de muséographie, je suis probablement une affreuse réactionnaire.

Je m'explique. L'exposition présentée actuellement au musée d'Orsay offre aux visiteurs un certain nombre de chefs d'œuvre - deux Meules de Monet venues de musées américains, mais aussi les Peupliers et quatre façades de la cathédrale de Rouen, des Van Gogh plus que superbes, des Gauguin, dont La vision après le sermon, de lumineux Maurice Denis, un Klimt, des Odilon Redon ou encore un Chagall... Bref, des étoiles, on en a plein les yeux pendant cette visite, qui est aussi l'occasion de (re)découvrir des peintres moins connus : j'avais oublié que Maurice Denis offrait des couleurs si pures, et j'ai été touchée par la douceur qui se dégage du Paysage aux arbres verts, ou par la lumière qui tombe sur la mer d'un bleu turquoise dans La solitude du Christ, laissant dans l'ombre le Christ qui prie au premier plan ; l'exposition m'a aussi rappelé l'éblouissante rétrospective Odilon Redon que j'avais tant aimée il y a quelques années, et proposait également à la découverte des visiteurs des peintres scandinaves et canadiens probablement peu connus en France (pour ma part, j'ai surtout apprécié Tom Thomson et le Paysage décoratif de Lawren Stewart Harris, mais il y en avait vraiment pour tous les goûts). Si j'ajoute un Nocturne de James Abbott McNeill Whistler (ci-dessous), vous aurez compris que je n'ai pas manqué de coups de cœur lors de ce passage au musée d'Orsay. Pourtant, quelque-chose m'a gênée tout au long de la visite : je n'ai cessé de lui chercher du sens et de la cohérence. J'en suis ressortie avec l'impression d'une exposition fourre-tout, dont les sections n'étaient pas toujours très liées entre elles (pourquoi cette micro-salle consacrée à l'anecdotique Dulac, au milieu d'un développement sur le thème de la nuit ?), et dont certaines salles semblaient franchement hors-sujet (les paysages dévastés par la guerre ne m'ont semblé emprunts d'aucun mysticisme)...

Mais peut-être le problème est-il là : c'est qu'il y avait un sujet. Ou plutôt, une thèse. Oui, les grandes expositions de ces dernières années me font l'effet d'un résumé de thèse illustré. C'est comme si des chercheurs en histoire de l'art jouaient à "Ma thèse en 180 tableaux" [note pour les non-initiés : ces dernières années fleurissent dans le monde universitaire les éditions d'un concours qui impose de présenter son sujet de thèse de manière sexy et claire en 180 secondes]. Comme s'ils s'emparaient d'un concept ou d'une idée pour en faire le fil d'une exposition. Ainsi de l'ironie romantique qu'on avait cru nécessaire pour donner un sens à l'exposition Klee présentée à Beaubourg l'année dernière - un concept qui n'a rien à voir avec l'ironie dans son sens premier, et qui m'avait semblé bien anachronique (en tout cas, aucun panneau ne justifiait son utilisation pour un peintre situé bien après la période romantique). Ainsi du mysticisme dans les paysages de la présente exposition du musée d'Orsay : de l'aveu même des panneaux de présentation, Monet ne voyait aucune espèce de transcendance dans ses Meules, mais puisque d'autres ont pu y voir une métaphore de la vie, ces toiles, mais aussi de simples Nymphéas, trouvent leur place dans la première salle de l'exposition sous le titre "Contemplation". Mais l'exemple qui m'a peut-être le plus frappée de cette tendance à la démonstration fut l'exposition Magritte (à Beaubourg cet automne et cet hiver) : une magnifique exposition, vraiment, mais qui, en ce qui me concerne, fut parasitée par la présence de panneaux tentant de donner une cohérence aux salles et à l'ensemble de la visite, sur un thème qui aurait pu être "Magritte et la philosophie". Chaque panneau introducteur proposait un rapprochement entre un thème, un texte ou un auteur philosophiques et les œuvres présentées dans la salle. Si le mythe de la caverne semblait clairement illustré par certaines toiles, d'autres rapprochements semblaient gratuits, voire proprement acrobatiques. Surtout, rien ne venait les justifier : Magritte a-t-il écrit quelque-part qu'il avait été inspiré, ou au moins intéressé par tel texte de Pline ? A-t-on au moins une preuve qu'il possédait les ouvrages cités dans sa bibliothèque ? La chercheuse qui sommeille en moi se trouvait clairement en manque de notes en bas de page !

Sans ces justifications explicites, les choix thématiques, les cohérences affichées par les panneaux explicatifs, bref le fil rouge de ces expositions semblent sujets à caution. Le soupçon s'installe, et règne une forte impression d'artificialité. Etait-il à ce point inenvisageable d'annoncer une exposition "Klee" ou "Magritte" ? De même, pourquoi vouloir à tout prix confronter le Douanier Rousseau avec d'autres peintres, contemporains, antérieurs ou postérieurs, qui ont traité des mêmes thèmes ? Son œuvre ne se suffit-elle pas à elle-même ? Et même si cela supposait une exposition moins volumineuse, ne pouvait-on pas s'en contenter ? Voir des tableaux que l'on n'est pas venu contempler et qui n'ont a priori rien à voir avec le Douanier Rousseau, n'est-ce pas un peu agaçant ? Quand on piétine devant chaque œuvre, piétiner devant autre chose que le peintre-titre peut s'avérer un peu irritant. De même, l'exposition sur le mysticisme a-t-elle pour but de nous faire découvrir, sans le dire, des peintres scandinaves et canadiens inconnus ? Un objectif à moitié atteint, puisque les visiteurs, qui se massaient en grand nombre devant les toiles de grands maîtres, passaient bien rapidement devant la majorité de ces chefs d'œuvre méconnus.

Même déséquilibre visuellement et physiquement frappant au Louvre pour ce qui pourrait s'intituler "Ceci n'est pas une exposition Vermeer". Certes, une petite dizaine de Vermeer, de toute beauté, sont présentés au public qui s'attroupe pour les voir. Mais cette exposition ne serait rien sans les toiles de Gerard Dou, Gabriel Metsu, Caspar Netscher, Pieter de Hooch ou Gerard ter Borch, peintres contemporains de Vermeer, qui illustrent les mêmes thèmes que lui, avec parfois des poses, des personnages ou des motifs qui se retrouvent d'une œuvre à l'autre. L'exposition, organisée par séries de motifs (la toilette, la lettre, la pesée, le savant, etc.), montre de manière saisissante combien les peintres hollandais de cette époque travaillaient en réponses les uns aux autres, sous la forme, semble-t-il, du défi pictural. Intéressante aussi la confrontation de la Dentelière de Vermeer avec celles de ses contemporains, de la Laitière avec une Cuisinière hollandaise de Gérard Dou, et cette idée soufflée par les panneaux explicatifs : Vermeer peindrait par "soustraction", par épure de motifs de la peinture de genre. Une simplicité, une pureté servie par sa maîtrise de la lumière. Ce qui ne veut pas dire que les autres peintres sont dénués d'intérêt, loin de là. Il m'est même arrivé de ne donner à Vermeer que la seconde place face à l'un ou l'autre de ses collègues.

L'exposition est très pédagogique : pour chaque série, un panneau explicatif précise les développements du motif, les particularités de chaque peintre, indique qui a inspiré qui (dommage que parfois les œuvres soient ensuite présentées dans un ordre chronologique inverse). Quelques cartels développés viennent commenter certaines œuvres plus précisément. Bref, une vraie leçon d'histoire de l'art. Car les cartels, les panneaux, introductions, présentations, prolongements, etc. sont devenus légion dans les expos façon thèse. Des textes, imprimés sur les coffrages sombres qui recouvrent les murs et créent l'atmosphère de rite initiatique de rigueur, sont souvent situés à l'entrée de chaque salle, et l'on voit les visiteurs s'agglutiner devant eux, empêchant parfois la circulation. Car chacun vient recueillir la bonne parole qui permet de comprendre et d'apprendre. Ou pas. Au musée d'Orsay, par exemple, ces fameux textes étaient beaucoup trop denses, pleins de termes non expliqués (je m'excuse, mais je crains de ne pas être la seule à ne pas connaître le courant divisionniste), les analyses de quatre ou cinq peintres ou œuvres se succédant sans transition en l'espace de dix lignes. De quoi prendre une indigestion de culture ! Mes filles étant absentes, je me suis fait un devoir de profiter de l'occasion que j'avais exceptionnellement de tout lire, mais j'avoue conserver mon scepticisme face à cette profusion d'informations (comme face aux analyses proposées à Orsay, à mon sens "tirées par les cheveux").

Car je me rends compte que ce qui me fait venir dans un musée ou une exposition, ce sont les œuvres, et non le savoir qui les entoure (paradoxal, pour une prof !). Sans doute n'allons-nous pas tous chercher la même chose dans les expositions. En sortant du musée d'Orsay, mon mari a conclu cette série de visites par cette formule : "je suis content, on s'est bien cultivés". C'est drôle, mais je n'aurais pas du tout dit la même chose. Je me réjouis plutôt d'avoir vu des œuvres magnifiques, tellement plus belles et lumineuses que dans les meilleures reproductions. Je suis heureuse aussi d'avoir (re)découvert des peintres que j'avais oubliés ou négligés, voire que je ne connaissais pas. Et c'est là que réside la surprise de ces deux jours : des trois expositions que nous avons vues, j'ai de loin préféré celle qui est consacrée à Valentin de Boulogne. Celle que je n'allai pas voir intentionnellement, mais seulement parce qu'elle se trouvait dans le même espace que ce qui n'est pas une exposition Vermeer. Celle que la grande majorité des visiteurs ne vont pas voir en sortant des salles hollandaises, à en croire le calme qui y régnait et la facilité que l'on avait à y circuler.

C'est bien dommage que cette exposition soit ainsi occultée par la médiatisation de sa voisine, car elle est magnifique. Ce peintre méconnu, pourtant si célèbre à son époque (c'était le rival de Nicolas Poussin, et Louis XIV, comme d'autres grands de son temps, possédait certaines de ses œuvres), aurait mérité de faire cavalier seul plutôt que d'être dans l'ombre de Vermeer, lui que l'ombre du Caravage, son maître, avait progressivement éclipsé. C'était un plaisir de découvrir ces grandes toiles, certaines reprenant très nettement des motifs traités par le Caravage - il est dommage d'ailleurs que les commissaires de l'exposition n'ait pas pensé à faire figurer en regard des œuvres des reproductions (photo ou format numérique, pourquoi pas ?) des toiles de Caravage "imitées" par Valentin - d'autres se détachant clairement du maître, notamment par leurs couleurs tranchées et lumineuses ; je pense notamment aux Saint Marc et Saint Mathieu, dont les visages et les vêtements se dégagent nettement sur des fonds unis neutres, dans un décor quasi-nu. Le traitement des tissus, mais aussi des corps, est saisissant : un Saint Jean-Baptiste musculeux a notamment séduit mes chastes yeux. Enfin, les visages, leurs expressions sont l'objet d'un travail raffiné de Valentin de Boulogne : dans la Cène, chaque apôtre a une expression différente, une personnalité ; le regard du Christ au Couronnement d'épines est emprunt d'une mélancolie inhabituelle, et les visages des soldats qui l'entourent ne sont pas pour autant négligés. Même les musiciens et diseuses de bonne aventure, dans des toiles a priori moins "originales", semblent rêver, le regard ailleurs.

Voilà pour moi une visite réussie : découvrir des œuvres inconnues, un peintre dont j'ignorais jusqu'au nom, apprécier son œuvre, repenser à d'autres que l'on a aimées, pouvoir observer tel détail, ressentir telle ou telle impression, être touchée par une toile, sans forcément trop savoir pourquoi, et ressortir en voulant à tout prix garder la trace de cette découverte. J'ai eu plusieurs fois cette semaine l'occasion de me souvenir de l'exposition Odilon Redon qui avait été pour moi une découverte tout aussi enthousiasmante. Comme pour Valentin de Boulogne, je garde en mémoire l'image d'une muséographie assez simple : les toiles du peintre, présentées par périodes ou par séries thématiques, sont servies par quelques simples explications qui ne parasitent pas la découverte personnelle mais donnent éventuellement des repères ou des clés pour situer et comprendre l'œuvre à qui le souhaite. Pas de thèse mal justifiée, et donc pas d'esprit critique mis en éveil, juste l'œil qui savoure les émotions suscitées par ce qui l'entoure, simplement un visiteur et des œuvres qu'il peut aimer ou ignorer, contempler longuement ou regarder furtivement, se laissant fasciner parfois, restant indifférent l'instant d'après, au gré de sa sensibilité. Bref, vous l'aurez compris, en matière d'art, je suis tout sauf une spécialiste, et c'est donc l'impression personnelle que je privilégie - ce qui fait de moi une très mauvaise visiteuse des expositions d'aujourd'hui, que je trouve souvent plus pédantes que sensibles. Je suis persuadée que c'est cette intuition esthétique qu'il faut avant tout faire naître chez les enfants, et qu'elle se passe de tout savoir, de toute lecture ; il n'y a pas d'âge pour trouver une œuvre belle (ou pas). Il n'y a pas d'âge pour aller au musée...

Et vous, pourquoi allez-vous dans les expositions ?

Musée d'Orsay : exposition "Au-delà des étoiles. Le paysage mystique", 14 mars - 25 juin 2017.
Musée du Louvre : exposition "Vermeer et les maîtres de la peinture de genre", du 22 Février 2017 au 22 Mai 2017 ; exposition "Valentin de Boulogne. Réinventer Caravage", du 22 Février 2017 au 22 Mai 2017. Attention : réservation d'un créneau de visite obligatoire.